© William Klein

Festival photographique l’Œil Urbain : sillonner la ville et ses marges

Cette année, le Festival l’Œil Urbain s’empare de nouveau des rues de Corbeil-Essonnes pour fêter ses dix ans en racontant l’engagement, ses différentes formes et ses nombreux visages.

l’Œil Urbain
Affiches des 9 premières éditions du festival

Après une neuvième édition dédiée à la French Touch, on dépasse ici les frontières nationales pour explorer les marges urbaines et sociétales de manière large, au travers de l’expérience d’individus ou de territoires variés. De Ceuta à Moscou, en passant par New-York, l’engagement traverse les identités et les nations de manière fluide et se laisse capturer par l’œil aguerri des photographes invités.

Affichage du festival l’Œil Urbain 2022

Un itinéraire urbain pour mettre en scène l’engagement

Les treize artistes exposés capturent des lieux et des vies qui caractérisent les formes d’engagement contemporaines et font écho aux grandes transformations actuelles des sociétés. 

On parcourt les rues de Corbeil-Essonnes et ses lieux d’exposition en y découvrant des réalités urbaines d’ici et d’ailleurs. Les installations forment un itinéraire sillonnant la ville entre espaces intérieurs (Commanderie Saint-Jean, Galerie d’art municipale, Médiathèque Chantemerle, Théâtre) et extérieurs (parvis de l’Hôtel de Ville, square Crété, Rue du Trou-Patrix, kiosque à musique).

Le caractère engagé de l’évènement réside aussi dans le parti pris des organisateurs du festival, qui s’inscrit dans une vision accessible de la ville et de ses ressources. On peut s’y rendre en transport public (RER) et parcourir les expositions à pied et gratuitement.

William Klein : de New-York à Moscou, des clichés XXL dans l’espace public de Corbeil-Essonnes pour un artiste hors catégorie

Pour commencer, le centre-ville de Corbeil-Essonnes est recouvert des œuvres de l’incontournable William Klein en format XXL. Les façades de la halle du Marché, de l’Hôtel de ville, des Moulins Soufflet, ou encore les berges de la Seine incarnent les clichés si caractéristiques de l’artiste. En noir et blanc, les œuvres iconiques et ironiques telles que « Cavale + Pepsi, Harlem, New York, 1955 » s’intègrent parfaitement à l’environnement urbain de Corbeil-Essonnes, même si elles en racontent d’autres.

Cavale + Pepsi, Harlem, New York, 1955 © William Klein

Photographe de renommée, mais aussi sociologue de formation, William Klein continue de révolutionner son art avec une approche pluridisciplinaire déjouant les cadres et les catégories. Entre photographie de mode, cinéma et Street photography, l’artiste tisse des liens visibles entre des phénomènes, des personnes et des objets certes très différents mais qui ont en commun de raconter les sociétés contemporaines. Ainsi, dans les rues de Corbeil-Essonnes, et derrière l’objectif de William Klein, on traverse les époques de l’engagement et certaines de ses formes intemporelles. 

Manifestation étudiante, grandes grèves, Paris, 1995 © William Klein

Un cliché à New York donne à voir Harlem et ses habitants, leurs luttes intérieures et collectives, et la négociation de leurs identités dans les États-Unis des années 1950 ; un autre une manifestation étudiante dans une Paris en grève à la fin des années 1990. À un autre angle de ville, on trouve une photographie d’un 1er mai à Moscou, rue Gorki, dans les années 1960.

Ces clichés en XXL accompagnent la promenade du visiteur et le font entrer au cœur de la thématique de cette édition. On trouve dans les photographies de William Klein les nombreuses émotions qui accompagnent un combat personnel ou une mobilisation collective : l’enthousiasme, la peur, la colère, voire le cynisme. On peut dénicher dans les travaux de l’artiste des éléments de familiarité et d’étrangeté qui suffisent à poser la question de notre propre engagement.

Guillaume Herbaut : l’Ukraine et l’engagement dans le conflit

Un des lieux ponctuant l’itinéraire photographique de l’Œil Urbain est la commanderie Saint-Jean, belle bâtisse du XIIIe siècle ayant déjà accueilli de grands noms tels que Willy Ronis ou Robert Doisneau.

On y trouve pour cette édition l’exposition de Guillaume Herbaut, qui nous ramène à l’essence même du photojournalisme : l’engagement d’un photographe souhaitant révéler et transmettre une information inédite par l’image. Connu pour ses travaux sur les lieux témoins de drames humains, comme Tchernobyl, Auschwitz, ou encore Nagasaki, Guillaume Herbaut dévoile ici les coulisses d’une Ukraine en crise, puis en guerre, à la suite de la révolution de Maïdan.

Maria Kachaîva, leader des Pionniers du Parti communiste de Crimée, dans le bureau de l’organisation à Simferopol, 2008. © Guillaume Herbaut / Agence VU’

En traversant la commanderie, on parcourt l’Ukraine, les débris des zones de guerre, les frontières de la paix et les restes d’une contamination nucléaire historique. On fait également connaissance avec certains protagonistes ayant croisé la route du photographe, et on observe la force de leurs combats personnels et politiques. Les contrastes et les jeux de lumière servent tantôt la monumentalité et le poids de l’Histoire sur le territoire, tantôt la simplicité d’un regard déterminé à agir sur le présent et l’avenir. 

Ukraine, Savur-Mohyla, 05 octobre 2014. Le monument de Savur-Mohyla, à la mémoire des soldats soviétiques morts durant la Deuxième Guerre mondiale pour contrôler cette ligne de crête stratégique, a été détruit. Le 21 août 2014, après des semaines de bombardements entre les forces pro-russes et pro-ukrainiennes, l’obélisque du mémorial est tombé. © Guillaume Herbaut/Agence VU’

La commanderie Saint-Jean accueille également les travaux de deux autres grands photographes : Darcy Padilla et John Trotter. Entre récit d’une vie aux marges de la société et désastre environnemental, ces deux expositions entrent en résonance avec les travaux de Guillaume Herbaut et donnent à voir la violence des sociétés modernes sur les vies humaines et les ressources naturelles. On en sort sonnés, mais conscientisés.

Sandra Mehl : une sociologie de la jeunesse à travers la photographie

En continuant notre parcours dans le centre-ville, on peut ensuite faire étape rue Aristide-Briand, à la galerie d’art municipale, pour découvrir les clichés de Sandra Mehl, photographe et sociologue en résidence lors de la neuvième édition du festival.

© Sandra Mehl

La photographe nous livre le fruit de son immersion dans le territoire : une vision singulière de la jeunesse et de ses relations. Des bribes d’affection et de tendresse pour compenser la dureté d’un quotidien plein d’incertitudes, et régi par les nouvelles règles de la distanciation sociale. Des liens intenses ou platoniques, et des jeunes qui tentent de faire front ensemble face à une société qu’ils ne comprennent plus, ou dans laquelle ils ne se sentent plus entendus.

© Sandra Mehl

Les couleurs parfois acidulées des photographies de Sandra Mehl nous transportent dans la candeur et l’intégrité des relations adolescentes. La photographe capture les accolades et les baisers volés dans l’espace public. Elle nous livre par là-même une vision de l’amour et ses déterminants sociaux dans la jeunesse contemporaine. Le contexte urbain y joue un rôle phare : on identifie dans les photographies des lieux de rencontre, des recoins d’invisibilité, ou au contraire des lieux de représentation.

Au cœur de l’engagement : des urbanités marginales

Les autres lieux et expositions du festival, et tous les photographes non cités jusqu’à présent (Anne Rearick, Hervé Lequeux, Anthony Micallef, Rip Hopkins, Paloma Laudet, Pascal Rivière, Collectif Item, Édouard Élias) fonctionnent en vases communicants et renseignent à eux tous l’engagement contemporain. Mais surtout, les photographes exposés divulguent des réalités invisibles, des vies aux périphéries de la société et des urbanités marginales.

Le 2 février, des centaines de manifestants défilent jusqu’à la mairie de Marseille pour dénoncer le mal logement, les immeubles insalubres et l’attentisme de la mairie. – © Anthony Micallef / Haytham-REA

De cette manière, pour ses 10 ans, le festival l’Œil Urbain fait en quelque sorte le bilan de la deuxième décennie des années 2000 : des années de crises, économiques, sociales, politiques, sanitaires qui ont mis à mal l’environnement et les structures de nos sociétés, mais durant lesquels les liens et les mobilisations collectives ont connu des moments de grande intensité. 

L’œil attentif du résident, Sébastien Van Malleghem en immersion pour la prochaine édition

Comme chaque année, un artiste résident est invité à s’immerger dans le territoire de Corbeil-Essonnes pour livrer sa vision lors du festival de l’année suivante. Le photographe Sébastien Van Malleghem prend ainsi la relève de Sandra Mehl, et révèlera lui aussi sa perspective sur la ville et ses habitants lors de la prochaine édition.

En attendant, accompagnés de la carte des lieux d’exposition, on souhaite encore s’imprégner d’engagement et de détermination, et encourager l’accessibilité de l’art et son exposition dans l’espace urbain. On sillonne Corbeil-Essonnes pour cette dixième édition, déjà impatients de découvrir les artistes qui constitueront la onzième.

Informations pratiques :
Festival l’Oeil Urbain
Centre ville de Corbeil-Essonnes
Du 1er avril au 22 mai 2022
Infos et horaires à découvrir sur le site du festival
Entrée libre