Séléné - © Alexis Pichot

Séléné d’Alexis Pichot : des paysages surréalistes sous une lumière lunaire

Alexis Pichot, habitué des éclairages artificiels, signe avec sa dernière série Séléné un retour à la lumière naturelle… une lumière lunaire pour une exploration surréaliste de paysages intemporels et difficilement localisables. Un hommage à Séléné, déesse de la mythologie grecque, personnification de la lune.

Séléné – © Alexis Pichot

Poussières d’étoiles

Ni neige ni sable, cette poussière claire que le photographe parcourt sans laisser d’empreintes reste impossible à identifier. Elle semble tombée de nulle part, peut-être effritée des montagnes blanches qui la surplombent. Près des sommets, certaines strates laissent apparaître d’autres nuances, d’autres couleurs… autant de témoignages naturels du temps qui passe sur la roche, autant de sédiments entassés au fil des âges, montrés ici avec précision.

L’artiste se place au milieu des paysages qu’il photographie. Il ne domine pas son sujet, il ne se place pas à distance. Des reliefs pris comme des portraits, au plus près des montagnes et des ridules de la poudreuse.

Séléné – © Alexis Pichot

On comprend bien qu’à nouveau, tout comme dans ses séries « Patrimoine enchanté » ou « Les armées lumières », ce qui intéresse Alexis Pichot, ce sont les vestiges, ce qui reste après le passage de générations d’hommes dans un lieu naturel ou urbain.

Interview d’Alexis Pichot, quand la lumière illumine les nuits

La lune comme unique source lumineuse, ou presque

Certains résidus au pied des montagnes rendent compte d’écroulements récents, traces d’intempéries, de rafales de vent ou de secousses qui n’ont pas épargné cette pierre fragile et friable. Les trainées de nuages dans le ciel indiquent des photographies prises en pose longue de nuit, pendant souvent 10 minutes, avec la lune comme unique source lumineuse, ou presque. En effet, le photographe a également utilisé plusieurs sources de lumière artificiel, notamment des torches et barres LED, ainsi qu’un drone doté de lumières, pour façonner des éclairages faisant penser au passage de Séléné.

Séléné – © Alexis Pichot
Séléné – © Alexis Pichot

Le passage du temps

Le passage du temps est devenu une composante même de la prise de vue et de son procédé technique. Alexis Pichot immortalise sur une image le déroulé d’une nuit ; et Séléné, dans le récit mythologique, fige son amant dans le sommeil pour qu’il conserve éternellement sa beauté.

Il y a bien quelque chose d’envoutant dans ces formes et ces couleurs proches d’un imaginaire merveilleux, quoique légèrement inquiétant. Alexis Pichot y voit une certaine sensualité, un environnement presque hypnotique dans lequel il se laisse plonger sans crainte, en errance — tout comme Raymond Depardon, dans sa série éponyme, se perdant sur les routes pour photographier des perspectives en contre-plongée, marquées par une présence humaine rarissime voire inexistante.

Séléné – © Alexis Pichot

Alexis Pichot évolue au milieu de ce décor inanimé. Il marche et foule cette matière qui devient, en ses mots, un corps, celui de Séléné, et son épiderme sur lequel il se promène, lentement.

Je sens ses lumières danser autour de moi. Je les contemple et me laisse envelopper par ses voiles lactées. Cheminant en ses terres, au milieu de ses formes, j’erre. Odyssée à la découverte de sa peau, douce silice prête à briller au premier souffle, je marche en sa chair et y découvre un voyage précieux.

Esthétique surnaturelle

Ces paysages arides d’une esthétique surnaturelle peuvent faire écho à certaines scènes du cinéma de genre. 2001 l’Odyssée de l’espace, où Stanley Kubrick réalise, dans un désert crépusculaire, des séquences d’un spectacle primitif censé se passer à l’ère néolithique. Gerry, de Gus Van Sant, où deux hommes se perdent dans le désert californien, désert blanc sans ombre et à la lumière verticale, au soleil qui tape et brûle la peau ; l’occasion pour ces deux amis, à mesure que le temps et les espaces défilent, de s’enfoncer dans une introspection personnelle aux conséquences inattendues.

Séléné – © Alexis Pichot

Ce regard intérieur et ce retour sur soi sont aussi des composantes importantes de la démarche artistique d’Alexis Pichot. Pour lui, ces panoramas fonctionnent comme des miroirs, et ces miroirs comme des étapes nécessaires à la bonne compréhension de sa conscience et de toutes ses aspérités.

Ces paysages d’une immobilité extatique, m’invitent à une mise en abîme intérieure, point de passage obligé pour qui veut accueillir un présent réinventé. […] Ces tableaux poudre de lune sont aussi mon reflet composé d’ombres et de lumières.

Séléné – © Alexis Pichot

Alexis Pichot nous offre dans sa série un vrai dialogue artistique entre photographie, mythologie, et psychanalyse. Il nous donne à voir une réflexion déjà abordée dans ses séries précédentes sur la notion de volume et de lignes architecturales — qu’elles soient humaines ou naturelles —, et une analyse du mythe de Séléné qui traverse avec justesse toutes ces photographies. Séléné, la déesse de la lune brillante, un impossible qu’on peine à rejoindre, une crête à gravir jusqu’à l’épuisement, un sommet presque inatteignable.

Découvrir la série Séléné sur le site d’Alexis Pichot.