© Léo Coulongeat

Carnet de voyage : dans les déserts d’Oman

Voici le nouveau carnet de voyage du photographe Léo Coulongeat (alias Erisphère), qui a parcouru le désert d’Oman et ses dunes, à la rencontre des habitants de cette étendue désertique.


En lisant les récits d’écrivains voyageurs comme Thesiger ou William Atkins, je me suis surpris à rêver d’une nouvelle zone désertique : la péninsule arabique. Il y a quelques années j’avais pu apercevoir les frontières de ce nouveau désert depuis la Jordanie, alors que j’étais perché en haut d’une montagne. Aujourd’hui j’ai la chance de pouvoir en fouler les dunes de mes pieds, à partir d’Oman. Bienvenu en terre d’Arabie, une terre parfumée d’encens, de café à la cardamome mais également d’un soupçon de pétrole.

© Léo Coulongeat

C’est fascinant de voir les différences entre les pays arabes. On peut y observer chaque fois l’influence que la géographie du pays a sur la culture et les modes de vie. Si l’identité de la Mauritanie s’est construite entre le mode de vie berbère et ceux des Hommes d’Afrique noire, celle d’Oman s’établit avec des attributs du Maghreb et d’Inde. On y retrouve naturellement un peu des deux à plusieurs niveaux, par exemple la cuisine des ragoûts de tajine, mijotée avec des épices massala.

Manger ici, c’est comme goûter une once de la route de la soie elle-même.

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Je m’enfonce dans la région désertique appelée Wahiba Sands, qui vient du nom de la tribu al-Wahiba.
Depuis 20 ans ici, les nomades ne le sont quasiment plus. Les pluies, devenues trop rares, ont rendu le sol quasiment stérile ; il ne sert plus à rien pour eux de se déplacer avec le bétail à la recherche de nourriture, il n’y en a plus. La sédentarisation est devenue inéluctable et élever des animaux dans le désert, trop cher.

© Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

Aujourd’hui, la plupart des Bédouins possèdent un travail fixe et rémunéré dans des compagnies gérées par l’État ou des entreprises liées au pétrole. Ils vivent dans des villages limitrophes au désert, construits à l’initiative du Sultan, et ont troqué leurs dromadaires contre des 4×4.

Seuls quelques irréductibles bédouins résistent encore et toujours au changement de mode de vie. Les premiers se sont déplacés vers une zone désertique moins sèche, et les seconds se sont reconvertis dans le tourisme.

Scarifications – © Léo Coulongeat

Pour ce voyage, je suis accompagné d’une amie. Elle me fait rencontrer son ami bédouin Bader. Il a construit sa maison dans le désert, il y a 10 ans, et tient un camp qui accueille les touristes.

© Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

On décide de partir traverser les 180 kms de cette région dunaire avec lui et nos deux 4×4.

C’est une expérience très intense mais passionnante ; le sable défile sous nos yeux au gré des dunes.

Il nous arrive parfois de voir un bédouin et son troupeau de chèvres ou de dromadaires. Ce sont les derniers éleveurs semi-nomades d’Oman.

© Léo Coulongeat

Au milieu de notre méharée moderne, on aperçoit au loin un grand bâtiment et une antenne 4G. Étrange… on est au milieu de nul part.

Bader nous raconte l’histoire de cette école incroyable qui réunit pas loin de 800 enfants : elle a été construite il y a 7 ans dans les dunes pour l’éducation des bédouins qui vivent encore ici. C’est un projet mené par le pays pour faciliter l’accès à l’éducation aux familles de bédouins, qui vivent loin de tout.

Aujourd’hui, une quarantaine de bédouins sont devenus chauffeurs de bus scolaire.Tous les matins, ils font la tournée des camps de nomades pour emmener les enfants dans cette école atypique qui a même ramené de l’emploi au milieu d’un désert.

© Léo Coulongeat

Les navigateurs vous le diront, la fin d’une longue traversée commence à l’arrivée des oiseaux. La même règle s’applique lorsqu’on navigue dans les déserts de sable.

C’est le signe que je repère lorsqu’une mouette vient voler au-dessus de notre vaisseau à 4 roues et que le Shamal, le vent qui souffle ici, vient nous montrer sa puissance.

Un corbeau prend son envol au petit matin – © Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

Deux dunes plus loin et nous y sommes : la mer d’Arabie s’étend devant nous, marquant la fin de ce premier périple.

© Léo Coulongeat

Des dunes en croissant grandes comme des baleines mordaient sur la plaine, tels des poissons-éclaireurs envoyés à l’avant d’un énorme banc dont on entendait les cris.

William Atkins – Dans l’infinité des déserts

© Léo Coulongeat

On longe la côte désertique avec curiosité. On m’avait parlé d’eau claires et de réserves de tortues dans le coin.

Lorsqu’on accède à la première plage c’est la douche froide, les vagues ont ramené ici toutes les ordures de la mer d’Arabie.

© Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

Les déchets venant des bateaux, des particuliers et même d’Inde asphyxient la vie marine. La vue des cadavres de tortues étouffées par les déchets et pris dans les filets de pêche m’attriste profondément.

Ces mêmes tortues et leurs pontes sont protégés sur la côte 100 km plus au nord. Pour elles, les dangers dans leur milieu naturel ne se résume plus seulement aux prédateurs naturels. J’en tombe malade pendant 2 jours.

C’est avec gravité que je me dois de vous montrer ces images, je m’excuse si cela choque certaines personnes, mais mon rôle de photographe n’est pas de faire rêver.

© Léo Coulongeat

Cela me rappelle les paroles de l’écrivaine Malika Berak qui a elle aussi observé ces catastrophes :

Le rivage de la mer d’Oman est semé de cadavres et de prières. Et ce vent fort qui balaie et assèche et rend fou met à nu la faille entre mon âme et mon cœur, une blessure palpitante qui me fait chanter.

Malika Berak – Journal d’Oman

Le voyage se poursuit vers une nouvelle zone aride étonnante qui va me sortir de ma torpeur : un champ de dunes blanches, vierge d’hommes et pleines de tendresse.

© Léo Coulongeat

Je foule ce sable blanc cristallin et j’observe un coucher de soleil magnifique et apaisant.

Malgré le risque de rencontrer des scorpions la nuit à cette saison, je savoure les étoiles et m’assoupi calmement à l’arrivée des gerboises, ces souris du désert qui viennent me renifler la nuit.

© Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

Je file au Nord vers le désert du Rub-Al-Khaali – le Quart-Vide.

C’est un désert mythique car c’est la plus grande étendue ininterrompue de sable au monde et il fait partie des déserts où se sont aventurés les premiers explorateurs des zones très chaudes.

© Léo Coulongeat

La réalité, c’est que je suis un peu effrayé.

Tous les locaux que j’ai rencontrés m’ont dit qu’il n’y avait plus personne là-bas et que c’était d’autant plus dangereux de s’y aventurer.

Mais généralement quand on me dissuade d’aller à un endroit avec insistance j’ai tendance à trouver cela suspect.

Que peut-il bien se passer là-bas ?

© Léo Coulongeat
Entrée au Quart-Vide – © Léo Coulongeat

Nous avons franchi de telles distances, nous émerveillant sans cesse devant la beauté offerte des lieux. Et bientôt nous avons touché aux limites de cette région intérieure et sommes venus buter sur le Quart-Vide, le grand désert enfoui en nos cœurs. Aussi exténués nos cœurs que la bouche desséchée des chameaux et de leurs cavaliers au terme de longues traversées.

Malika Berak – Journal d’Oman

© Léo Coulongeat

L’approche par le sud-ouest à la frontière de l’Arabie Saoudite est compliquée. Ici, plus aucune population native ne vit.

D’après mes recherches, seules les compagnies pétrolières ont colonisé des zones de ces terres vides et hostiles.

Comme j’ai pu observer en Amérique latine et ailleurs, les déserts sont souvent l’occasion pour les multinationales d’exploiter les ressources et les hommes loin des regards. Je dois aller voir ce qu’il se passe ici.

Un étrange bunker à l’écart – © Léo Coulongeat
Extraction de minerais au loin – © Léo Coulongeat
Il est écrit sur ce panneau d’une industrie pétrolière :
« Nous avons travaillé 1616 jours sans accident avec arrêt de travail. »
Afficher ces chiffres sur l’espace public au milieu du désert rend la démarche très étrange. – © Léo Coulongeat

Je fais des approches concentriques autours des industries avec attention. Ce qui me marque en premier, ce sont les champs de préfabriqués appelés « Worker Camps » où vivent les ouvriers en grande majorité pakistanais.

Je traîne dans les quelques restaurants de ces villages industriels pour finalement arriver à nouer le contact avec deux d’entre eux qui m’invitent à boire un thé chaï.

Je pénètre dans un des nombreux camps d’ouvriers. C’est la douche froide lorsqu’ils m’ouvrent la porte de leur maison : ils vivent dans 15 m2 à deux.

© Léo Coulongeat

Avec du recul et plusieurs rencontres entre Oman et Dubai, j’observe le même schéma : à la recherche d’une meilleure vie pour leur famille restée au Pakistan, ces hommes acceptent de venir travailler dans les Emirats. Le deal que toutes les entreprises leurs proposent est de travailler 7 jours sur 7, 11 mois de l’année et de faire une pause pendant 30 jours pour voir leur famille. Et ainsi de suite jusqu’à épuisement.

A Oman leurs salaires tournent autour de 450 € dont 400 € qui sont envoyés au pays. Le reste leur sert à s’acheter de quoi vivre ici en acceptant de vivre dans des logements minuscules.

© Léo Coulongeat

Les deux hommes que je rencontre travaillent eux en périphérie de l’entreprise pétrolière du coin. Ils enfouissent dans le sol les déchets des industries environnantes.

Creuser, balancer, reboucher avec du béton : tel est le rythme ininterrompu de ces néo-hommes du désert.

L’impact que j’ai sur l’environnement à la pompe à essence et dans cet avion que j’ai pris pour Oman est beaucoup plus important que ce que je ne pensais.

Une zone où sont enfouis les déchets.
On y voit les trous rebouchés. – © Léo Coulongeat

Dans sa globalité, et même au cœur des villes, Oman m’apparaît comme un pays calme et apaisant. Nul bruit de klaxon et nul homme pressé.

Si l’absence des femmes dans l’espace public reste un grand damn pour la société, le voyageur se console en regardant le sourire des enfants qui chahutent à l’arrière des voitures.

Je passerai les derniers jours du voyage dans les montagnes semi-arides du pays et dans leurs wadis (canyon).

Ici, les phénomènes géologiques sont comme des géants sortis de terre qui veulent casser la monotonie du désert. Je me surprends à imaginer que les cascades qu’on peut trouver dans les wadis sont les larmes de joie de ces mastodontes de pierre.

On s’enfonce alors au creux de la montagne pour trouver le silence, la paix et la méditation.

© Léo Coulongeat
© Léo Coulongeat

Le livre sur les déserts qui reprendra tous mes carnets et mes images est en préparation. Les éditions du chêne prévoient une sortie à l’automne 2022.

Retrouvez l’intégralité des carnets de voyage de Léo Coulongeat.

Fondateur et rédacteur en chef

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  1. Que dire si non que je suis émerveillé par ces images du désert.Par contre je suis toujours surpris par certains commentaires concernant les conditions des travailleurs étrangers qui, tout compte fait acceptent leurs conditions,la divagation des femmes n’est pas pour demain dans cette région du monde.