Le dessous des images : Le Smoking d’Helmut Newton

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

Si la photographie semble être prise au détour d’une rue, éclairée uniquement à la lumière des réverbères — Helmut Newton a en réalité soigneusement pensé « Le Smoking ».

Parce qu’elle brise les codes sociaux en mettant en scène une femme en smoking, à l’allure dandy, elle est l’une des images les plus reproduites au monde. Affranchie, dominante, androgyne, le modèle sacralisait une nouvelle représentation de la femme. Retour sur l’histoire d’une photographie devenue virale.

© Helmut Newton

Et « Le Smoking » vit le jour…

Une jeune femme, au centre de la photographie, tient nonchalamment une cigarette. Vêtue d’une veste longue, d’un pantalon noir et d’une chemise en mousseline de coton, elle semble avoir été spontanément photographiée dans la rue. Un travail de mise en scène naturelle, qu’Helmut Newton capture en noir et blanc, un soir, à Paris dans la rue Aubriot. D’ailleurs, le photographe n’a pas utilisé de flash, ce qui donne l’aspect réaliste recherché. Et puis, au comble de la spontanéité, il s’agit de la rue même dans laquelle il habite depuis près de 14 ans.

Ainsi, Helmut Newton réalise « Le Smoking » en 1975 pour une commande de Vogue. Elle visait à promouvoir le 1er smoking pour femme, le célèbre « Infamous Tuxedo » qu’Yves-Saint Laurent crée en 1966 pour sa collection « Pop Art ».

Néanmoins, une rupture s’opère car le smoking était jusqu’ici réservé aux hommes, à l’image du dandy ou encore de la star hollywoodienne. Rappelons qu’en France avant 1965, les femmes ne pouvaient pas ouvrir de compte en banque ou travailler sans l’autorisation de leur mari. S’éloignant ainsi de la chic et passe partout robe noire, le smoking sacralisait l’émancipation de la femme en même temps qu’il était une affirmation digressive de la féminité.

« Je suis trop vieux pour me battre physiquement, mais il faut lutter contre tout ce qui est défini comme correct. Le puritanisme n’annonce rien de bon. Que se passe-t-il quand tout le monde pense pareil ? »

Helmut Newton, 1996.

La séance photo de la rue Aubriot se déroule en petit comité, avec un groupe de 5 personnes seulement. Francine Crescent, la rédactrice en chef de Vogue en 1975 y est présente, aux côtés d’Helmut Newton, de la coiffeuse-styliste et des deux modèles. Dont Vikebe, modèle du « Smoking », avec laquelle le photographe collabore régulièrement.

Helmut Newton

Helmut Newton est né le 31 octobre 1920 à Berlin, en Allemagne. Il étudie à l’école américaine de la capitale, et achète son premier appareil photo avec son argent de poche à l’âge de 14 ans. Puis, dans les années 30, il fuit l’oppression nazie en s’installant à Singapour avant d’émigrer en Australie en 1940.

C’est en 1956 qu’il visite Paris pour la première fois. Alors séduit par l’atmosphère de la ville, il y pose ses valises 6 ans plus tard et y habitera durant 26 ans. En effet, lorsqu’il prend cette photo « Le Smoking », dans cette rue parisienne étroite, Helmut Newton connait bien la capitale.

Que ce soit avec son Graflex Super D 4×5, son Rolleiflex ou un Instamatic, Helmut Newton créait des photographies aux scénarios provocateurs tout en s’inspirant de la peinture classique pour ses mises en scène. Il avait un équipement limité avec lequel il pouvait se déplacer facilement et prendre des photographies n’importe où. Il révèle un jour se munir de « 4 boitiers, 5 objectifs, un stroboscope, un polaroïd, tout cela peut tenir dans un sac qui pèse moins de 20 kilos. »

En plus de photographier des produits pour des images publicitaires, Helmut Newton a livré un univers du luxe, qu’il représente avec provocation et glamour tout en s’affranchissant des codes de la mode. Dans la veine des photographes de mode qui se démarquent, il a imprégné ses clichés de son univers et d’un supplément d’âme. C’est le cas également de Guy Bourdin, avec lequel il partageait les pages de Vogue magazine.

« Le Smoking » devenu viral

Cette scène iconique — pourtant simple et minimaliste — semble se dérouler spontanément au détour d’une rue, à la lumière des réverbères. Cependant, elle impose une révolution des codes sociaux de l’époque. C’est pour ce style innocent avec en filigrane un message subversif, qu’elle devient, avec le temps, iconique.

En effet, cette approche simple et naturelle fait du « Smoking » d’Helmut Newton une référence et une inspiration photographique. Car le modèle androgyne dégage une classe et une force – qui ont représenté pendant longtemps l’affranchissement de la femme. Dès 1975, « Le Smoking » devient iconique, et par effet de cause, une des photographies les plus reproduites au monde.

Helmut Newton imagine une femme détachée, puissante, affranchie et libre — portant un smoking jusqu’ici réservé aux hommes. Cet univers propre au photographe de mode des plus renommés et scandaleux — a su séduire le public de par son mystère, sa classe, et finalement, sa différence.

« Je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût qui n’est que la normalisation du regard. »

Elle est la première d’une longue série qui mettra en scène d’innombrables femmes en smoking. Bianca Jagger l’endossera pour son mariage avec Mick Jagger, alors que Catherine Deneuve et Kate Moss ont posé pour la campagne enclenchée par « Le Smoking ».

Quand l’image brise les codes sociaux

« Il faut faire comme l’on pense. Je ne suis pas là pour être aimé, ce n’est pas ma fonction. Je ne suis pas un photographe qui fait un commentaire social comme Sebastião Salgado ou Henri Cartier-Bresson. Moi, je suis superficiel et je montre le monde des riches et leurs relations. La vie d’une femme qui peut dépenser 10 000 dollars pour un vêtement et qui ne rentre pas chez elle en métro mais en voiture avec chauffeur. Et j’essaie de le faire de la manière la plus bizarre, afin de ne provoquer aucun ennui« , confiait Helmut Newton à Libération lors d’une interview en 1996.

Peut-être l’image était encore trop classique aux yeux du photographe habitué aux modèles dénudés et à la provocation sur papier glacé. Car ce jour là, Helmut Newton prend une seconde photographie – en dehors de celle commandée par Vogue. Sur celle-ci, une femme nue se rapproche délicatement de la modèle Vikebe en smoking. Alors qu’il sous-entend une relation entre les deux femmes, le cliché hisse au premier plan ce tabou de l’époque, en affichant les relations homosexuelles au grand public. Ce qui n’était pas à l’ordre du jour dans les années 60.

© Helmut Newton

On l’a compris, Helmut Newton était contre la normalisation du regard. C’est ce leitmotiv qui le conduit à créer des images inédites, complètement en décalage avec son temps. En véritable précurseur, il fait bouger les codes avec classe et toujours une pointe de provocation. Si la photographie « Le Smoking » – que l’on a tou déjà vu quelque part – semble être une photographie de rue prise par le plus grand des hasards, elle a en fait révolutionné l’image de la femme. De par son originalité et sa rupture avec son temps, elle s’est hissée au rang d’image-icône.

Pour aller plus loin…

Pour redécouvrir les photographies d’Helmut Newton, rendez-vous sur le site de la Fondation Helmut Newton. À consulter également, notre Zoom Photographe sur Guy Bourdin, qui partageait les pages de Vogues avec Newton.

Zoom photographe : Guy Bourdin

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