Le dessous des images : Sadie Pfeiffer, fileuse de coton

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

Pour ce Dessous des images nous revenons sur une image des débuts de la photographie puisqu’elle date de 1908. « Sadie Pfeiffer, fileuse de coton » de Lewis Hine est devenue une image icône à travers le monde. Photographie militante qui a oeuvré à l’élaboration de lois pour le droit des enfants au travail aux États-Unis, elle a également des qualités esthétiques incontestables.

Sadie Pfeiffer, fileuse de coton, 1908 – © Lewis Hine

Une esthétique de la photographie

Photographie humaniste, « Sadie Pfeiffer, fileuse de coton » de Lewis Hine, représente une jeune fille du début du XXe siècle qui ne va pas à l’école secondaire pour travailler dans une usine à coton de Caroline du Nord. Le flou au premier et à l’arrière plan et la position de Sadie Pfeiffer au centre de l’image mettent l’emphase sur la petite fille, pas de doute, elle est bien le sujet de la photographie.

Les lignes de l’image convergent vers une femme adulte en arrière-plan sûrement chargée de la surveillance et la perspective montre la fragilité de l’enfant au centre de machines démesurément imposantes face à elle. L’espace vide prenant un tiers de l’image renforce sa solitude face à l’alignement des bobines suggérant un travail pénible et répétitif. Le tout baigné dans un halo de lumière — provenant des fenêtres symétriques disposées parallèlement aux machines — qui éclaire le sujet de la photographie et donne un style affirmé et esthétique à l’image. Il nous rappelle l’extérieur, qu’on ne perçoit pas et l’enfermement de Sadie Pfeiffer.

Un photographe infiltré

C’est en 1910 que Lewis Hine, alors sociologue missionné par le Comité du National Child Labor (CNCL), passe les portes de cette usine à coton de Caroline du Nord. En cette époque de Révolution industrielle qui durera jusqu’en 1920, les usines connaissent un essor surprenant aux États-Unis et le travail des enfants, dans des conditions difficiles pour un salaire médiocre, demeure un secret de polichinelle.

Muni de sa chambre photographique, d’un calepin et d’un stylo qu’il glissent dans sa poche, comment Lewis Hine a-t-il pu faire accepter son passage aux patrons des usines ? Le photographe a littéralement dû s’infiltrer dans ces usines et manufactures prétextant être un représentant de commerce venu photographier les machines.

« J’ai voulu montrer ce qui devait être corrigé. J’ai voulu montrer ce qui devait être apprécié. Il faut de la lumière, de la lumière à flots. »

Il photographie alors le travail des enfants dans un souci documentaire sans s’interdire la mise en scène et la composition photographique si elle peut servir la vérité. La qualité esthétique de ses images augmente leur impact sur le public. Chaque image est soigneusement légendée avec le nom, l’âge des enfants et des informations contextuelles. Il donne d’ailleurs le nom de Sadie Pfeiffer à la photographie — humanisant cette jeune fille travaillant à l’usine en l’identifiant.

Une photographie icône des lois protégeant le droit des enfants

Lewis Hine combine son métier de sociologue à Chicago et sa passion pour la photographie pour illustrer les problèmes de son temps en cette ère progressiste. Il débute sa carrière en 1904 en photographiant l’arrivée d’immigrés à Ellis Island dans le port de New York. Il réalise ensuite des enquêtes photographiques pour le Comité du National Child Labor (CNCL) ou pour « The Survey », un magazine qui prône des réformes sociales. Il parcourt des milliers de kilomètres pour rendre compte du travail des enfants dans différents États américains.

« Si je pouvais raconter une histoire avec des mots, je ne me baladerais pas avec un appareil photo », écrivait Hine.

Lorsque ces photographies sont publiées, les Américains découvrent des enfants travaillant dans des usines, des manufactures, dans les mines ou encore distribuant des journaux. Ce spectacle peu reluisant participe à l’éveil des consciences et aux réformes sociales protégeant le droit des enfants aux États-Unis.

© Lewis Hine
© Lewis Hine
© Lewis Hine

Ce sont ensuite des photographes comme Walker Evans, Dorothea Lange, Ben Shahn qui prendront la relève pendant la Grande Dépression, le FSA (Farm Security Administration) préférant confier cette mission a une nouvelle génération de photographes.

Un siècle plus tard, entre art et document, cette photographie n’a pas perdu sa force. Elle est devenue représentative à la fois du pouvoir d’une photographie dans la prise de conscience des problèmes sociaux aux États-Unis et des débuts esthétiques de la photo, ce qui en fait une image icône.

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