Dans son dernier livre Terre Froide, Philippe Bigard offre au regard des espaces délaissés, où la vie ne s’inscrit que dans la nuance du noir et blanc, tache presque invisible dans ces paysages dépourvus d’êtres humains. A la fois photographe et alpiniste, l’artiste saisit le spectacle rare des déserts de glace et invite à la réflexion autour de ces étendues immaculées. Le grain de papier de ce livre photo rend hommage à la terrifiante et fascinante vision d’un monde vide qui pourtant emplit pleinement les pages.
Publié aux éditions H’artpon, cet ouvrage de Philippe Bigard retrace son voyage en Arctique. H’artpon dont la ligne éditoriale souhaite « donner corps à une vision personnelle de l’édition » qui accorde une place très importante au « rapport texte – image – fabrication – diffusion et à la qualité conceptuelle et graphique » a ainsi édité un véritable livre-objet concept.
A travers une présentation sobre voire austère, l’éditeur révèle des photos dont la beauté réside dans le détail d’une mise en page glaciale sur papiers Munken Polar Rough 170gr et Sirio Nero 170gr, retranscrivant la pesanteur de la glace. De même la couverture imprimée sur toile impériale 4011 donne une trame et une présence au territoire extrême qui est l’objet du livre. Les bordures noires encadrent cette blancheur et structurent ce magnifique livre-objet qui a su mettre en avant les photographies de Philippe Bigard ; des paysages que l’on s’attarde à contempler, comme les derniers rescapés d’un monde au bord de l’extinction.
Voyage solitaire au milieu des éléments figés, le noir et blanc traduit ce « vide plein », uniquement interrompu par une page couleur bleu arctique en plein milieu. Une mouette plane dans ce bleu clair, tache blanche en route vers une destination inconnue…
« J’ai vécu 9 jours d’errance entre le Spitzberg et le pôle Nord…, écrit le photographe. La mer et la glace se confondent peu à peu, puis arrivent la banquise et le moment où le bateau brise le 82eme parallèle nord, cette latitude à laquelle le soleil est visible toute la journée au solstice d’été, et reste sous l’horizon toute la journée au solstice d’hiver. »
La trame et l’ordre des photos suit chronologiquement le voyage du globe-trotteur (il parcourt le monde depuis près de vingt-cinq ans), et chaque jour correspond à une étape dans un lieu différent, et pourtant comme semblables. En ces endroits perdus dans le nord ce sont sur des infimes différences que se jouent toute la force des images d’un monde encore vierge et pourtant menacé…
C’est à Kongsfjorden que débute son voyage, puis Fuglesongen avant de franchir les 82,4 degrés nord. Puis son périple l’entraine à « Martensøya, Kvitøya, Vibebukta… Ce sont des lieux qui ne nous disent rien mais dont les noms sont très évocateurs. » Entre glaciers à la dérives, chaines de montagnes gelées et monts enneigés, les photos virent parfois à la toile abstraite tant seul le rapport entre contraste et nuance constitue l’approche du photographe. Son voyage s’achève alors à Protecktorfjellet en passant par Moffen et Prins Karls Forland… noms tout aussi abstraits que certaines de ses photos.
Quasiment dépourvu de texte, l’ouvrage livre les photos brutes en pleine page, pour venir frapper le lecteur sans avoir besoin de mots ; comme un reflet du silence qui occupe ces étendues blanches. La puissance de ces déserts de glace peut alors pleinement éclore.
Terre Froide de Philippe Bigard est un livre de 112 pages comprenant 75 images, au format à l’italienne (30 x 22,5 cm). On peut se le procurer dans les librairies photo, sur le site des éditions h’artpon ainsi qu’à la Fnac et Amazon au prix de 49€.