Revue de livre : Afghanistan de Steve McCurry

L’américain Steve McCurry n’est plus à présenter dans le monde du photojournalisme contemporain. Connu pour avoir parcouru le globe de long en large, et en particulier les zones de conflits comme l’ex-Yougoslavie, l’Iran, l’Irak, le Cambodge et d’autres, il est l’un des photographes actuels dont les photos ont été le plus diffusées et publiées… On ne présente plus l’iconique « jeune fille afghane » qui a fait la couverture de nombreuses publications !

C’est pourquoi Taschen vient de sortir une nouvelle monographie consacrée au travail de long-terme du photographe en Afghanistan. De ses fréquentes missions l’ayant amené à sillonner ce pays pendant plus de 40 ans, il en recueille une large collection d’images dont plus de 140 sont compilées dans les 256 pages de cet imposant ouvrage, sobrement intitulé « Afghanistan« . Véritable rétrospective de l’oeuvre de Steve McCurry dans « le pays de la rébellion », ce livre trilingue (traduit en anglais, allemand, et français) offre un panorama complet depuis les cavernes de Bamiyan au Nord jusqu’au désert de Kandahar au Sud.

De 1979 à aujourd’hui : un livre rétrospectif grand-format

Le grand-format de ce livre (26,7x37cm) fait écho à l’importance de ce projet de long-terme en Afghanistan dans la carrière du photographe. Plus qu’une monographie de photos collectées sur plusieurs décennies, l’ouvrage s’avère être un aperçu fidèle de l’univers photographique du reporter américain, connu pour ses photos d’Asie, d’Inde et du Moyen-Orient hautes en couleur et ses portraits aux airs graves qui semblent questionner le spectateur.

En plus de sa taille grand-format, le livre laisse une place prépondérante aux images de par son design simple et épuré, qui sépare les photos des textes et légendes, et fait souvent la part belle aux doubles-pages. La première page nous plonge directement dans ces portraits aux visages tournés vers l’objectif, typiques de Steve McCurry dès sa première mission en Afghanistan entre 1979 et 1980. Ainsi, en guise d’introduction, ce sont les photos en noir et blanc de cette mission initiale qui sont mises en avant et attestent déjà du style du photographe : des portraits posés, au regard fixe et grave, se mêlent aux clichés de la vie de tous les jours, représentant sur un pied d’égalité les moments de prières, de repos, et les scènes d’action de soldats afghans en faction.

Après ce préambule monochrome, qui est d’ailleurs séparé du reste par la page de titre, le livre nous immerge finalement dans le monde aux couleurs et contrastes prononcés de Steve McCurry. Les photos se suivent, sans logique apparente, alors même qu’au contraire, elles finissent par dresser un tableau complet et cohérent de l’Afghanistan et de son peuple, « fier et au regard droit », selon William Dalrymple, historien écossais qui signe la postface de l’ouvrage.

Mais cette série d’images, qui se mélangent sur plus de 4 décennies, ne représente pas uniquement l’histoire du pays, ses paysages désertiques et montagneux, ses clivages entre tribus et ethnies concurrentes, ses guerres internes ou celles contre les envahisseurs comme les Talibans, et son évolution à partir de 2001 vers plus de modernité, bien que traditions et ruralité restent d’actualité. Cette série se révèle aussi comme un exemple emblématique de l’oeuvre de Steve McCurry, tout en témoignant de son « amour ancien pour l’Afghanistan, de sa solidarité envers le peuple de ce pays et de sa volonté d’en montrer la merveilleuse diversité ». Au gré des images, on y retrouve sa patte, son œil, sa touche dite humaniste, mais aussi trop intrusive, et surtout son portrait iconique réalisé en 1984, celui de la « jeune fille afghane » qui de ses yeux verts perçants interpelle et déstabilise.

Un panorama de l’Afghanistan aux photos intemporelles ?

Les photos de Steve McCurry sont souvent qualifiées, à tort ou à raison, d’icônes parce que considérées, à la fois comme emblématiques d’une culture ou d’un pays, et comme universelles. Mais avec Afghanistan, on va au-delà de cette culture de l’icône, et on ne peut qu’applaudir le choix éditorial de ne pas représenter la « jeune fille afghane » en couverture ! Et alors que celle-ci est reléguée après la 100ème page, le photographe de rue sélectionné pour la couverture représente bien plus les thèmes sous-jacents du livre : la tension entre modernité et traditions, et même la réflexion sur l’omniprésence de l’image partout aujourd’hui.

Ici c’est l’ensemble de la série qui importe et non pas telle ou telle photo. Plus encore, c’est leur nature intemporelle qui est mise en avant. Parce qu’aucune des images n’est accompagnée d’un titre et d’une légende, celles-ci étant reléguées à la fin de l’ouvrage, elles font comme partie d’une même décennie et semblent presque être dénuées de tout marqueur temporel : des portraits des années 1980 s’associent avec des photos prises sur l’instant, du quotidien d’écoliers ou de militaires des années 2000.

Bien que les images les plus récentes des villes laissent apparaître des architectures plus modernes, c’est l’ensemble de l’Afghanistan qui semble être représenté ici : l’Afghanistan sous les Talibans et celui d’après, celui de la souffrance et des blessés, celui de l’insouciance et des jeux, celui des villes et des ruines, celui des déserts et des plaines. Avec ses portraits d’hommes et enfants ensanglantés, de femmes éplorées, de tanks en marche et d’habitations en feu, Steve McCurry « n’élude jamais l’horreur ni le tragique des guerres afghanes modernes ».

Cependant, il montre les deux faces d’une même pièce, et connaissant ce pays en profondeur, il représente aussi bien les bons que les mauvais côtés, les souffrances que les bons moments et instants d’espoir. Ainsi on découvre ponctuellement des écoliers en pleine réflexion, de jeunes filles en plein jonglage de balles, un amateur de glaces et un certain nombre de vendeurs de rues et portraitistes. À cela s’ajoutent des photos plus bucoliques des prairies et des cavernes bouddhistes du Bamiyan, des panoramas couleur ocre de Kandahar, et des images plus animées de quelques rues de Kaboul et Herat.

Un portrait historique de l’Afghanistan et un témoin visuel de l’univers de McCurry

Cette nouvelle monographie de Steve McCurry offre une véritable rétrospective du travail de long-terme du photoreporter en Afghanistan. Ayant visité « le pays de la rébellion » (ou Yagistan, surnommé ainsi par les Afghans) pendant plus de 40 ans, le photographe en connaît tous les soubresauts historiques, la beauté et la rudesse des paysages, faisant d’ailleurs écho à celles du peuple.

Bien que l’on peut reprocher à Steve McCurry d’universaliser un regard pourtant biaisé, parce qu’étranger, et d’opter pour une approche parfois intrusive, son intérêt sincère et sa connaissance profonde de l’Afghanistan et de ses habitants lui permettent d’en offrir un véritable panorama. Dans ce livre, les photos représentant les drames des guerres sont à pied d’égalité avec les clichés plus insouciants de scènes de la vie de tous les jours. L’ouvrage s’adresse autant aux grands fans et connaisseurs du photographe américain qu’à ceux qui ont envie de connaître son travail plus en profondeur, au-delà de ses seuls portraits iconiques, car on y retrouve une série photo complète et moins connue, et un bon aperçu de son style photographique.

Le livre, traduit en anglais, allemand et français, est disponible chez Taschen et sur Amazon à 59,99 euros.

Contenu du livre
8
Mise en page et impression
7.5
Rapport qualité / prix
8
7.8