© Cody Cobb

Interview de Cody Cobb, photographe baroudeur qui sublime les paysages naturels

Originaire de Louisiane, Cody Cobb est un photographe américain, vivant aujourd’hui à Seattle et qui se consacre à la photographie de paysage, en particulier celle du paysage naturel exempt de toute trace humaine. Issu du monde du design et du graphisme, il a un style bien personnel qui donne lieu à des photos à l’esthétique éthérée et brute, représentant des paysages qui semblent presque venir d’une autre planète que la nôtre. Son travail a été exposé à de nombreuses occasions et publié dans plusieurs médias.

Avec cette interview, nous vous proposons ici de découvrir son univers photographique, son parcours et le déroulement de ses voyages en vagabond solitaire.

Version en anglais de l’interview / English version here

© Cody Cobb
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Tout d’abord, peux-tu te présenter ? Qui es-tu et d’où viens-tu ?

Bonjour, je m’appelle Cody Cobb et je suis un artiste vivant à Seattle (Etat de Washington). Le Nord-Ouest du Pacifique est ma maison depuis maintenant 11 ans, depuis que j’ai quitté la Louisiane d’où je viens. Comme je travaille à la fois en photographie et en design, la ville de Seattle, très créative, est un bon choix pour ça. J’ai passé plusieurs mois à la fois à errer en Amérique de l’Ouest. Durant ces périodes, je dormais dans ma voiture ou dans une tente parce que ça me procurait une certaine liberté et une flexibilité pour explorer les incroyables paysages pour lesquels l’Ouest est reconnu.

En fait, je passe beaucoup de temps à vagabonder, sans forcement de but, en inspectant des cartes et en escaladant des rochers.

Quel est ton parcours ? Comment en es-tu venu à la photographie ?

J’ai eu beaucoup de chance de me trouver au bon endroit au bon moment. Jusqu’à aujourd’hui j’ai toujours pu compter avec succès sur mon instinct quand il s’agissait de gérer ma carrière d’artiste. Par exemple j’ai pris la décision de ne pas poursuivre d’études longues après avoir fini le lycée à Shreveport en Louisiane. Après avoir passé beaucoup de temps à chercher du boulot comme illustrateur, sans succès du fait de mon manque d’expérience professionnelle, j’ai saisi une opportunité unique de travailler à Digital FX, une boîte de post-production pour films commerciaux à Baton Rouge en Louisiane. J’avais encore moins d’expérience comme compositeur et motion designer (concepteur en animation), mais j’ai été assez chanceux pour entrer dans le métier au tout début de l’ère des tutoriels sur internet. J’ai ainsi pu travailler avec des réalisateurs et des techniciens extrêmement talentueux qui m’ont fourni un environnement inspirant pour apprendre et progresser.

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En 2005, on m’a proposé de rejoindre l’équipe de designers de l’agence de création numérique Digital Kitchen à Seattle. C’est là que j’ai pu travailler sur des projets extraordinaires avec des gens très talentueux. Puis, progressivement, j’ai commencé à passer de plus en plus de temps à me balader dans la nature, juste à l’extérieur de Seattle et à emporter un appareil photo avec moi à la fin.

La photo a toujours été une façon pour moi de m’échapper du stress de mon boulot et du processus de création uniquement sur ordinateur qu’il implique. En fait mon cerveau est conditionné à observer le monde extérieur avec la perspective d’un designer. J’ai la forte impression que mon oeil pour la composition, la lumière et la couleur en a été grandement influencé par ça.

Pourquoi t’es-tu consacré à la photo de paysage, en particulier le paysage naturel sans présence humaine ?

Mes premières photos ont été un moyen pour moi d’explorer les bâtiments abandonnés de ma petite ville de Louisiane quand j’étais un ado cherchant à chasser l’ennui. A l’époque j’avais vraiment conscience que ce que je faisais était illégal et peut-être un peu dangereux même. Je ressentais beaucoup de solitude quand je marchais au milieu des usines en ruine et des églises effondrées. En fait, c’est ce sentiment-là que je recherche et ressens quand je suis me retrouve en milieu isolé en pleine nuit.

Mais dans la nature, ce ressenti est décuplé. Ce faisant, je ne peux jamais passer à côté d’une opportunité à pénétrer illégalement dans un lieu quand je tombe sur une ancienne mine ou un centre commercial à l’abandon.

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Quels sont les artistes et photographes qui t’inspirent, et pourquoi ?

Pour être honnête, j’essaie de ne pas passer trop de temps à m’inspirer du travail d’autres photographes. C’est encore plus dur d’éviter ça aujourd’hui parce qu’il y a énormément de très bon travail créatif qui nous entoure.

Même si ça sonne vraiment cliché, je suis surtout inspiré par la nature même. Je me retrouve toujours perdu en admiration devant son pouvoir d’érosion et de temps.

Y a-t-il d’autres thèmes que tu aimes bien explorer en photo ?

Je me suis surtout concentré sur les paysages formés à la suite d’activités sismiques et volcaniques. L’idée que nous pouvons expérimenter un si petit fragment du chaos qui se joue constamment à l’échelle géologique me fascine énormément. Je suis aussi très attiré par les paysages qui donnent l’impression de venir d’une autre planète.

L’un des thèmes principaux qui revient le plus souvent dans mes photos c’est l’absence de trace humaine ou d’une quelconque intervention. J’aime bien avoir quelques aperçus de ce à quoi la Terre avait pu ressembler des millions d’années avant que la vie n’apparaisse.

D’autres photographes ont déjà fait un très beau boulot pour montrer les conséquences impressionnantes de l’activité humaine sur la planète, donc moi j’essaie plutôt de montrer la Terre telle qu’elle est, à l’état brut. Je n’aime pas donner trop de sens à mes photos cependant. Pour certaines personnes, elles ne sont peut-être même pas plus que des photos d’une destination de voyage. Mais si mon travail en inspire d’autres à traiter la Terre avec respect et à ne pas vouloir y laisser de trace, alors j’en serais content.

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Comment sélectionnes-tu les paysages que tu photographies ? Est-ce qu’il y a beaucoup de préparation avant un voyage ou est-ce que c’est surtout de l’impro ?

La plupart de mes photos sont des exemples de ma manière de faire, qui est de me trouver au bon endroit au bon moment. Au début je peux avoir une destination en tête, mais des formes à l’horizon peuvent souvent me distraire par exemple. Donc je m’accorde du temps pour ne pas toujours suivre un itinéraire prédéfini. J’évite le plus souvent les grandes routes et je suis les plus petites qui me permettent de me garer facilement dès que je vois quelque chose d’intéressant ou de prendre un chemin boueux qui m’amène au milieu de nulle part.

Généralement je me crée une carte en notant les quelques idées d’endroits que j’aimerais explorer, mais je m’en détache presque toujours. J’adore rencontrer des gens au détour du chemin qui cherchent ce même sentiment de solitude. Ils me redirigent souvent dans la bonne direction, et ce sont souvent des couples de retraités partis vivre le reste de leur vie sur la route.

Peux-tu nous parler d’un projet qui t’a beaucoup marqué ?

Je me remémore souvent mon voyage à Taïwan. C’était un tel changement d’air et de paysage rafraîchissant et une nouvelle expérience sensorielle. C’est un lieu où tout est inhabituel, les formes, les sons, les couleurs, les odeurs. C’est aussi un pays qui mélange aires urbaines dynamiques et forêts immenses. J’espère y retourner pour plusieurs mois dans l’année à venir.

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Quel matériel photo emmènes-tu avec toi ?

J’ai une petite collection d’appareils photo avec lesquels j’alterne régulièrement. J’utilise presque toujours un duo d’appareils numérique et argentique. Tous deux ont leurs propres forces et faiblesses, c’est pourquoi je ne préfère pas l’un par rapport à l’autre. J’ai tendance à photographier avec des objectifs à focale fixe comme le 25mm et le 55mm (équivalent 35mm sur mon appareil). C’est seulement récemment que j’ai commencé à expérimenter un peu avec des zooms à focale plus longue. Ça ne me semblait pas très naturel de prime abord, mais j’ai fini par m’y habituer.

Ces derniers temps, ma combinaison parfaite, c’est le Ricoh GR et le Mamiya 7II. J’adorerais essayer le nouveau Fujifilm GFX si j’en ai la chance ! Je commence également à utiliser un appareil grand format pour apprendre quelque chose de nouveau et dans l’espoir de faire des tirages géants.

Quel est l’équipement essentiel qui ne te quitte jamais ?

Je serais vraiment perdu sans une lampe frontale. Je passe beaucoup de temps à faire de la rando la nuit, dans le noir. Je me sers aussi d’une balise SPOT comme récepteur GPS qui me permet de me connecter au monde extérieur si jamais je me trouve en difficulté.

Enfin, me nourrir avec du Soylent (produit nutritionnel vendu en bouteille) me permet de tenir plusieurs semaines à la fois. Étonnamment, c’est d’ailleurs la seule nourriture de rando dont je ne me lasse pas.

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Voyages-tu et travailles-tu le plus souvent seul, et si oui pourquoi ?

Je pense que mon manque d’organisation fait de moi un très mauvais compagnon de voyage. Parfois je peux rencontrer quelques amis sur le chemin, mais la plupart du temps je suis seul. Ce qui est le plus dur, à chaque fois, c’est de me réintégrer à la civilisation ensuite. Je n’ai pas encore trouvé de bonne façon de faire pour ça.

Photographier la nature, c’est finalement aussi un moyen d’être dans la nature. En quoi est-ce important dans ta vie ? Et comment arrives-tu à gérer les conditions climatiques difficiles ?

Faire des excursions en pleine nature est probablement plus important pour moi que la photographie en elle-même. Je me sens toujours plus équilibré et plus heureux quand je suis en extérieur, à escalader et faire de la randonnée ou même à me geler en pleine nuit froide de décembre dans l’Utah. Je commence toujours à m’ennuyer dès que je vis trop dans le confort.

En fait il y a quelque chose d’étrangement satisfaisant à faire des efforts pour répondre à ses besoins les plus primaires comme se trouver un abri chaud ou combler sa faim. Je dépends de la technologie pour ça, comme de mon GPS pour retrouver mon chemin quand je suis perdu, mais je me fie aussi à mes techniques basiques de survie que je n’aurais pas à utiliser avec un peu de chance.

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As-tu commencé à vivre de ta photo, et si oui comment est-ce que ça a changé ta pratique ?

Je n’en vis pas ! Je dépends de mon travail en design pour financer mes voyages, donc la photographie est toujours quelque chose de personnel. J’aime bien l’équilibre entre les deux, mais l’idéal serait que je puisse supporter mon activité photographique en vendant des tirages.

Peux-tu nous parler de ton dernier projet ou voyage ?

Récemment j’ai beaucoup inspecté les cartes de la ligne continentale de partage des eaux. Je n’ai pas passé beaucoup de temps dans les Rocheuses aussi, donc c’est sûrement un bon endroit pour commencer. Je me suis renseigné sur le « bikepacking » (le fait de pouvoir accrocher ses bagages sur un vélo), donc je vais sûrement parti pour un long voyage à vélo cet été. Puis, j’ai toujours été attiré par l’Alaska.

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Quels conseils aurais-tu à donner à des photographes intéressés par la photographie de paysage et qui aimeraient trouver leur propre style ?

Honnêtement, c’est toujours quelque chose que j’essaye de trouver moi aussi. Je me demande s’il y a une bonne réponse à ça, puisqu’être un artiste à l’ère des réseaux sociaux complique pas mal de choses. J’essaye ardemment de ne pas laisser ma création photo influencée par le partage de ce travail. Personnellement, je passe pas mal de temps à partir en randonnée sans appareil photo et sans intention de noter mes observations. J’ai l’impression que ça m’aide à me souvenir de l’importance de la nature en elle-même.

Y a-t-il un photographe que tu aimerais que l’on interviewe ?

Mon ami Reuben Wu réalise des photos incroyables et est une personne extra. Son travail, que ce soit en musique ou dans l’art, a été une inspiration pour moi depuis les 15 dernières années.

Un dernier mot ?

Merci de partager mon travail !

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Vous pouvez retrouver le travail de Cody Cobb sur son portfolio personnel.

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