Interview de Richard Vantielcke, photographe de nuit

Après une pause estivale, voici le retour des interviews de photographes. Cette semaine, nous posons nos questions à Richard Vantielcke, un photographe de nuit que nous avons découvert grâce à l’épisode qui lui est dédié sur le site Studio Jiminy. Nous avions envie d’en savoir un peu sur Richard et son univers.

Sommaire

Pour ceux qui ne te connaissent pas, pourrais-tu te présenter ?

Je suis un photographe amateur qui s’est spécialisé au fil du temps dans la photographie de nuit, en y apportant de petites touches narratives pour y raconter des histoires.

Comment est-ce que tu t’es mis à la photo et quelles ont été les étapes importantes dans ton apprentissage ?

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Série A bit like Alice – LudImaginary

C’est l’émergence de la photographie numérique qui m’a permis de mettre le pied à l’étrier. J’ai toujours été intéressé par la photographie, mais la logistique de l’argentique m’avait toujours rebuté.

Une fois mon premier reflex numérique acheté, j’ai commencé à vouloir reproduire ce que je voyais chez d’autres photographes dans tous les domaines imaginables (portrait, paysage, macro, photo animalière, photo urbaine, photo de nuit etc…). Le temps aidant, j’ai commencé à trouver mon chemin sans copier ce que je voyais chez les autres, à prioriser certains domaines de prédilection (la photographie de nuit urbaine et la photographie conceptuelle).

A un moment donné, la seule composante graphique de la photographie (faire de belles images) ne m’a plus suffit… J’ai commencé sans trop y réfléchir à mettre en scène de petites histoires à partir de plusieurs photographies. La composante narrative s’est invitée tout doucement dans mon univers graphique.

Es-tu un photographe ou un raconteur d’histoires ?

Le chasseur d’ombre - LudImaginary
Le chasseur d’ombre – LudImaginary

La photographie reste l’axe principal de mon travail, mais je ne conçois plus la photographie, sans y apporter une touche narrative. La forme doit avoir un fond, sinon ça ne m’intéresse plus.

Au travers du cadrage, de la mise en lumière, du titre que je donne, ma photographie doit raconter quelque chose, elle doit être un point de départ pour le spectateur qui la regarde.

Avec Studio Jiminy, nous avons découvert ton univers surréaliste dans lequel tu explores la ville de nuit. Peux-tu nous parler un peu plus de ta démarche et de ce qui te plaît dans la photographie urbaine de nuit.

Série Urban Oasis - LudImaginary
Série Urban Oasis – LudImaginary

La réalité m’ennuie profondément…

Et comme un enfant, j’aime bien me raconter des histoires quand je m’ennuie.

La nuit me permet de me projeter dans un imaginaire et d’insuffler du mystère, de la substance, de l’étrangeté à des lieux du quotidien, sur lesquels personne ne prête vraiment attention.

Graphiquement, la nuit et les lumières urbaines me permettent de sublimer le quotidien en gommant ce qui ne me plaît pas grâce aux ombres et en accentuant ce que je veux que le spectateur voit grâce à la source de lumière qui va illuminer le sujet.

Au niveau narratif, la nuit et l’obscurité possèdent une grande portée psychologique sur notre imaginaire. Il s’agit donc pour moi de me reposer sur cet inconscient collectif lié à l’obscurité pour donner plus de portée à mes photographies.

J’ai remarqué que tu incarnais tous les personnages sur tes photos : par choix ou par fatalité ?

Un anonyme nommé Pascal - LudImaginary
Un anonyme nommé Pascal – LudImaginary

Je crois que dans tout domaine artistique, tout est lié à une contrainte de départ…

Soit cette contrainte devient bloquante, soit on réussit à la détourner pour en faire un atout et une composante majeure de son travail.

Ma contrainte de départ est que je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai une activité professionnelle autre que la photographie et accessoirement j’aime m’occuper de ma famille. De plus, d’habitude la nuit on dort pour être en forme le lendemain au travail.

Je n’ai donc pas le luxe de préparer mes sorties plus que ça et d’obtenir l’adhésion de quelqu’un pour me servir de modèle et me suivre dans mes pérégrinations nocturnes.

La photographie reste avant tout pour moi une passion, une envie, un besoin. Je n’ai donc pas envie d’en alourdir la logistique, pour que cela devienne un « travail ». Je fais donc avec moi-même.

Ensuite j’ai toujours été attiré par la thématique du double, et plus particulièrement du doppelgänger (le double maléfique pour faire court). Ma pratique photographique a donc très vite trouvé un écho narratif avec cet autre moi qui passe de l’autre côté de l’objectif pour se mettre en scène dans le cadre. Cette silhouette anonyme qui se promène dans mes compositions n’est pas qu’une coquille vide, c’est un peu une projection de moi-même, ma part d’ombre que je mets en lumière.

Sur un podcast de Studio Jiminy, tu parles de cette photo que tu as nommée « Automatic Consumption » comme un déclic. Peux-tu nous en dire plus ?

Automatic Consumption - LudImaginary
Automatic Consumption – LudImaginary

À la prise de vue, je n’avais aucune idée de ce que je voulais. Comme souvent, c’est avant tout la configuration graphique du lieu et son éclairage qui m’ont interpellé. L’objectif étant alors simplement d’obtenir une belle photographie urbaine.

Après quelques prises de vue sympathiques mais pas vraiment concluantes, j’ai eu l’envie d’abandonner la place de simple photographe et de passer devant l’objectif pour me mettre en scène.

Cette photographie a constitué un brouillon de méthodologie pour toutes mes photos suivantes : trouver un décor avec comme support les seuls éclairages disponibles sur place, avoir un début d’histoire en tête et y intégrer mon personnage pour « jouer la scène ».

Au moment de la postproduction, j’ai su que je tenais quelque chose, que je passais du photographe amateur qui se cherche (graphiquement et thématiquement), au photographe « moins amateur » qui a trouvé son meilleur moyen d’expression : la photographie narrative couplée avec la force graphique de la photographie de nuit.

Je crois que tu donnes un nom à toutes tes photos : pourquoi est-ce si important pour toi ?

Série Cardboard Box Head - photo#8 : Box Office - LudImaginary
Série Cardboard Box Head – photo#8 : Box Office – LudImaginary

Tout simplement, car je n’imagine pas regarder un film ou lire un livre qui s’appellerait « IMG8962 ».

Le titre d’une photographie est pour moi très important car c’est le point d’ancrage de ma photographie, c’est un premier indice du sens que j’ai envie de lui donner, c’est le marchepied que je mets à disposition du spectateur pour rentrer dans mon univers.

Au niveau de la construction de la photographie à proprement parlé, le titre va accompagner les différentes étapes de la création d’une photographie (notes dans un carnet, repérage, prise de vue, post production, rédaction du texte pour la mise en ligne sur mon site).

Sur des séries très élaborées (par exemple Cardboard Box Head), le titre de chaque photo était déjà pensé avant la prise de vue. Sur d’autres travaux plus spontanés, je réfléchis à un premier titre lorsque j’extrais mes photos de ma carte mémoire pour les déposer sur mon ordinateur.

Ensuite, à chaque étape d’enregistrement, je vais essayer d’affiner ce titre pour qu’il donne sens à l’image. En fait la postproduction me donne le temps de traduire en mots, ce que mon cerveau reptilien a capté lors de la prise de vue. Le texte final qui accompagne la photographie lorsque je la publie sur mon blog est le travail de cette traduction.

Que cherches-tu dans un lieu pour le photographier ?

You know exactly where it ends - LudImaginary
You know exactly where it ends – LudImaginary

Je cherche avant tout un lieu qui va se révéler au travers des lumières urbaines et des zones d’obscurité liées à la nuit, et dans lequel mon personnage va pouvoir interagir.

Idéalement, je recherche des lieux isolés, qui ne comportent pas de traces d’un passage humain, un peu comme si la ville avait été abandonnée.

Tu n’utilises jamais de flash, comment fais-tu pour éclairer tes scènes ?

Jonas into the light - LudImaginary
Jonas into the light – LudImaginary

Je dépends entièrement de l’éclairage disponible sur place. On en revient à une contrainte initiale (je n’ai pas de flash !), qui est devenue au fur et à mesure une composante essentielle d’une pratique (je n’ai pas besoin de flash, c’est la ville qui va éclairer ma scène !).

Afin de pallier ce manque de lumière, mes prises de vue sont donc pour l’essentiel en longue exposition (entre 1 et 2 secondes max) et réalisées sur trépied.

Durant toute une nuit l’équipe de Studio Jiminy t’as suivi dans les rues de Paris pour tourner l’épisode consacré à la photographie de nuit et découvrir ton regard ainsi que ta démarche photographique. Comment s’est passée cette expérience pour toi qui a l’habitude de faire cavalier seul ?

Sur le tournage de la photo de nuit avec Studio Jiminy
Sur le tournage de la photo de nuit avec Studio Jiminy

Je connaissais déjà Ylan, car il m’avait contacté il y a quelques années, à l’époque où il travaillait chez Pearsons, pour participer à un ouvrage sur l’autoportrait. Je savais donc que c’était quelqu’un qui me voulait du bien ☺

Ensuite nous avons longuement échangé sur le concept proposé par Studio Jiminy et j’ai pu voir le travail en cours sur l’épisode de la photographie de Rue avec Bernard Jolivalt. Je me suis très vite retrouvé en parfait accord avec leur façon de vouloir aborder la photographie, à savoir que ce qui compte, ce n’est pas le moment où on appuie sur le déclencheur, mais tout ce qu’il y a avant et après.

A partir de là, j’ai réalisé en amont quelques séances de repérage pour dénicher des lieux de prise de vue avec du potentiel, géographiquement proches, ceci afin d’éviter que la logistique ne soit un frein à la séance de tournage.

Au niveau du tournage à proprement parlé, passé les premières minutes un peu maladroites où 3 personnes scrutent méticuleusement chacune de vos actions, on oublie très vite l’équipe qui s’affaire autour de nous pour se concentrer sur ce que l’on veut faire. Le plus dur reste de dire à haute voix ce que l’on conserve habituellement pour soi, dans sa tête.

Au final, cette collaboration m’a été particulièrement précieuse. Je ne pouvais imaginer meilleure mise en avant de mon travail. Pouvoir partager la création d’une image de A à Z (des prémices de la réflexion, à la finalisation de l’image en post-production) est quelque chose que j’ai toujours voulu approcher via mon blog, mais sans avoir à dispositions les moyens et l’énergie déployés par le Studio Jiminy (vidéos, interviews , podcasts, revue des tirages etc…)

Qu’est-ce qui fait la différence entre Studio Jiminy et d’autres formes d’apprentissage photo ?

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Je vous invite à taper la requête « photo de nuit » dans Google. Sur les 2 ou 3 premières pages de résultats, vous n’allez trouver que des résultats liés à des tutoriaux, des conseils, des ateliers.

J’en retire deux informations, la première c’est qu’il y a une demande énorme pour trouver des aides dans la pratique de la photo de nuit. La deuxième, c’est qu’à aucun moment vous n’allez tomber sur le site d’un photographe spécialisé dans la photo de nuit (je dois être perdu dans la 4ème page malgré mes nombreux efforts d’optimisation pour le référencement de mon portfolio « photo de nuit »).

Pour Google, la photo de nuit est un apprentissage technique, le photographe est complètement effacé. Ces tutoriaux, ces aides se limitent à une approche technique et une accumulation de conseils de bas niveau (nous conseiller d’avoir un trépied ou de ne pas monter en ISO… merci c’est très utile !).

En ça, Studio Jiminy a une approche radicalement différente, en remettant le photographe, son œil, son univers, son inspiration au centre de la photographie.

La technique n’est pas une finalité, c’est uniquement un outil au service du photographe.

Vous ne savez pas faire de la photo de nuit ? Ce n’est pas grave, si vous en avez l’envie et que vous avez des choses à photographier, vous allez y arriver ! L’œil avant tout, la pratique ensuite, la connaissance technique va suivre naturellement avec le temps.

Je trouve la proposition du Studio Jiminy extrêmement inspirante, car elle permet à toute personne désirant se lancer dans une pratique de se rendre compte qu’il n’y a pas de règles, qu’il n’y a pas de bonnes pratiques, il y a seulement d’innombrables façons de faire pour aboutir à un résultat. Le photographe est également descendu de son piédestal, c’est une personne comme tout le monde qui doute, qui hésite, qui fait des erreurs…

As-tu un conseil (ou plusieurs) à partager avec les personnes qui souhaitent se mettre à la photographie de nuit ?

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Oui, je conseille à tous d’avoir un trépied et de ne pas monter en ISO… 🙂

Plus sérieusement, voici quelques conseils pratiques qui pourraient vous aider lors de vos premières sorties…

La préparation d’une séance de photos de nuit est primordiale

On ne fait pas de la photo de nuit comme on part faire de la photo de jour, en emportant son appareil sous le bras et en déambulant tranquillement dans les rues.

La logistique de prise de vue (un trépied, c’est lourd et on perd du temps à le positionner), la météo (il fait souvent froid la nuit, c’est un fait) et la fatigue (à 2 heures du matin, on a sommeil) font qu’une séance de prise de vue de nuit peut s’avérer éprouvante et finalement assez courte. Personnellement j’excède rarement les sorties de plus de 3 heures, et je programme au maximum 5 à 6 spots.

De la nécessité de faire des repérages

Pour optimiser votre séance de nuit, le mieux est de procéder en amont à quelques repérages. Ceux-ci peuvent intervenir lors d’un repérage spécifique, ou de spots intéressants découverts lors d’une séance précédente.

Une fois que l’on a l’habitude de la pratique de la photo de nuit, on peut également saisir assez facilement le potentiel d’un spot de plein jour. Un éclairage urbain bien placé, une perspective intéressante doivent vous suffire pour détecter le potentiel d’un lieu de nuit.

Ne pas hésiter à faire des photos à main levée

La logistique d’une photographie sur trépied est assez lourde et on peut vite perdre le côté viscéral de la prise de vue (je vois, je shoote).

Pour garder cette saisie de l’instant et ne pas brider la créativité, n’hésitez donc pas à prendre des clichés à main levée (même en longue exposition), cela vous permettre de rapidement vous rendre compte du rendu graphique et de ne pas perdre de temps à placer le trépied si l’angle choisi n’est pas viable.

Jouer avec les réglages de l’appareil

Votre appareil est sur pied, vous avez bien mis 5 minutes à le positionner correctement, l’idée est donc de profiter de cette stabilité pour jouer avec vos réglages et tester des configurations différentes.

Quels sont les sujets qui te plaisent actuellement et sur quoi travailles-tu ?

Série Watching Big Brother - Photo#4 : Slow down, kids and pets at play - LudImaginary
Série Watching Big Brother – Photo#4 : Slow down, kids and pets at play – LudImaginary

En ce moment, j’essaye de compléter deux séries que j’ai débuté il y a quelques temps.

La première s’intitule « A l’ombre de la lumière » et se concentre sur un personnage qui demeure une ombre, même sous la lumière.

La seconde « Watching Big Brother » qui a débuté comme un hommage au 1984 de Georges Orwell, pour glisser progressivement vers le détournement nonsensique d’affichages publics…

J’essaye également de travailler à la conception d’une série jour/nuit en diptyque avec mon personnage de jour, confronté à sa part d’ombre de nuit. Pour l’instant je m’y suis cassé les dents car la logistique est assez lourde : prise de vue identique à deux moments de la journée, avec le même personnage qui interagit avec lui-même. Pas simple quoi !

Qui sont les artistes qui t’inspirent ou t’influencent ?

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Si je devais citer deux photographes contemporains qui suscitent toute mon admiration (et toute ma jalousie !), ce serait Cédric Delsaux pour sa capacité à projeter un imaginaire à partir de décors urbains (sa série Nous resterons sur terre) et Mr Toledano pour son talent de conteur (sa série Dayswithmyfather).

Quel(le) photographe aimerais-tu que l’on interviewe ?

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Un artiste qui mérite d’être vu mais qui ne l’est pas encore assez à mon sens… Julien Coquentin qui sait saisir la lumière et la poésie urbaine comme personne.

Le mot de la fin

Voie sans issue - LudImaginary
Voie sans issue – LudImaginary

Suivez vos envies, n’écoutez pas les conseils des autres (sauf ceux de Studio Jiminy !), faîtes vous plaisir, creusez votre univers !


Merci Richard d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez retrouver les photos de Richard Vantielcke sur son site. Retrouvez également l’épisode sur la photographie de nuit sur Studio Jiminy.