Pseudomnesia : The Electrician © Boris Eldagsen

La promptographie : quand l’IA redéfinit l’art photographique

À l’ère de l’intelligence artificielle, une nouvelle forme d’art visuel bouleverse les codes de la photographie traditionnelle : la promptographie. En remplaçant l’appareil photo par le texte, les artistes explorent de nouvelles possibilités créatives en générant des images à partir de simples descriptions. Entre révolution artistique et questionnement sur la nature de l’œuvre, cette pratique redéfinit le rôle de l’artiste et ouvre la voie à de nouveaux horizons esthétiques.

La promptographie, ou « prompt photography » en anglais, émerge comme une nouvelle forme d’expression visuelle à la frontière entre la photographie traditionnelle et l’intelligence artificielle générative. Ce mouvement novateur remet en question les fondements de la création d’images et le rôle du photographe à l’ère numérique.

Du déclencheur au prompt : une nouvelle approche de la création d’images

Traditionnellement, les photographes capturent des instants en appuyant sur le déclencheur de leur appareil. La promptographie, elle, remplace cet acte par la rédaction d’un « prompt », une description textuelle qui guide l’IA dans la génération d’une image.

Valentin Schmite, enseignant en arts numériques et IA, explique : « Le prompt art, c’est une révolution qui arrive aujourd’hui dans le domaine de l’art et de l’intelligence artificielle. On voit émerger […] sur Internet des images générées à partir de texte. Comme vous lisez un prompteur, le prompt c’est un bout de texte qui va passer par une série d’algorithmes, un réseau de neurones pour générer une image. »

Cette analogie souligne la part d’imprévu et de découverte inhérente à cette nouvelle pratique, rappelant le processus de développement en chambre noire.

Composition et cadrage : le rôle du prompt-artiste

En promptographie, la composition et le cadrage ne se font plus à travers l’objectif, mais par le biais du langage.

Exemple d’images générées par IA via Midjourney

Étienne Mineur, designer et enseignant, compare ce processus à la direction d’un plateau de cinéma : « Je compare souvent les artistes prompteurs à un réalisateur de cinéma qui doit expliquer très précisément à son cadreur ou à son chef opérateur le type de cadrage ou de lumière auquel il pense, ou encore à ses comédiens ce qu’il attend d’eux. »

Cette approche requiert une maîtrise fine du langage et une compréhension profonde des algorithmes d’IA, s’apparentant à une forme de direction artistique textuelle.

Post-traitement et retouche : entre IA et intervention humaine

Comme en photographie traditionnelle, le travail ne s’arrête pas à la génération de l’image. Boris Eldagsen, artiste pionnier du mouvement, décrit un processus itératif et complexe : « Pour The Electrician, j’ai dû passer par une vingtaine d’étapes. Le travail avec l’IA est très complexe. D’abord je conçois mon prompt puis l’IA. Mais ça ne suffit pas. S’ensuit une série de questions : que manque-t-il à cette image, comment changer le résultat par un autre prompt, ai-je besoin d’une autre plateforme ou d’un autre générateur ? »

Ce processus s’apparente à une forme de post-traitement et de retouche, où l’artiste affine progressivement son image, alternant entre ajustements textuels et génération par IA.

L’exposition et la reconnaissance : un terrain controversé

La promptographie bouscule les codes de la reconnaissance en photographie. L’affaire du Sony World Photography Award, où Boris Eldagsen a refusé un prix après avoir soumis une œuvre générée par IA, illustre ces tensions. Eldagsen explique sa démarche : « Je voulais créer un débat sur ce qu’est la photographie aujourd’hui. Les concours de photographie ne sont pas préparés pour les images IA. Nous entrons dans une nouvelle ère. »

Cette controverse soulève des questions sur la nature même de la photographie à l’ère de l’IA et sur les critères d’évaluation des œuvres.

Esthétique et style : vers une nouvelle vision photographique

La promptographie permet l’émergence de styles visuels inédits, mêlant réalisme photographique et imaginaire surréaliste. Pierre Fautrel, du collectif Obvious, souligne dans une émission de France Culture l’importance de l’intention artistique dans ce processus : « Les algorithmes sont des outils et rien d’autre. Après tu as toute la partie artistique : qu’est-ce que tu veux dire ? Quel rendu plastique tu vas donner à ton travail ? En quoi ça résonne avec tes travaux précédents ? »

Cette approche ouvre la voie à une nouvelle esthétique photographique, où les limites du réel et de l’imaginaire se confondent. Eldagsen ajoute :

« Je vois ça comme un nouvel outil. Il induit un autre rôle de l’artiste. Désormais, on peut même s’autociter avec l’IA, créer à partir d’images qui servent de références. Aujourd’hui, j’oscille entre la génération par le prompt, ou par l’image-référence. »

Une image-référence est une image existante utilisée comme point de départ ou guide pour la création d’une nouvelle image par le modèle d’IA. Elle sert de base visuelle que l’IA analyse pour comprendre les caractéristiques, le style ou la composition à reproduire ou à adapter dans l’image générée.

L’utilisation d’une image de référence permet d’obtenir des résultats plus précis et cohérents, en donnant au modèle un exemple concret des éléments visuels souhaités plutôt que de se fier uniquement à une description textuelle.

La promptographie ouvre de nouvelles possibilités créatives, mais soulève également des questions éthiques et juridiques. Comme le note Étienne Mineur : »La plupart des artistes se servent du rendu de l’IA comme d’une matière première qu’ils travaillent ensuite. »

Cette approche soulève des interrogations sur la propriété intellectuelle et la nature même de la création artistique à l’ère numérique. Si elle suscite des débats, elle offre aussi de nouvelles perspectives passionnantes pour l’art contemporain.