Jalalabad, Nangarhar, Afghanistan, 12 février 2024. Une famille, récemment expulsée du Pakistan, s'est temporairement installée dans un quartier de la banlieue de Jalalabad, dans l'est de l'Afghanistan. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Prix Carmignac 2024 : No Woman’s Land, la voix étouffée des Afghanes

Depuis leur retour au pouvoir en 2021, les talibans ont instauré un régime de répression sévère, particulièrement à l’encontre des femmes. Face à cette crise humanitaire, le Prix Carmignac du photojournalisme 2024 a décidé de braquer les projecteurs sur la situation des femmes en Afghanistan. Lauréates de cette édition, la photojournaliste Kiana Hayeri et la chercheuse Mélissa Cornet livrent un témoignage poignant de la brutalité du quotidien des Afghanes, privées de leurs droits fondamentaux. Un travail documentaire d’une urgence vitale, exposé à Perpignan et bientôt à Paris.

Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 17 février 2024. Un institut privé dans l’ouest de Kaboul où les filles suivent le programme américain en anglais, mais ne peuvent obtenir aucun certificat officiel d’éducation afghan, ni aller à l’université en Afghanistan, fermée aux femmes. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Un prix engagé pour la défense des droits humains

Créé en 2009 par Édouard Carmignac, le Prix Carmignac du photojournalisme soutient chaque année un reportage photographique et journalistique d’investigation portant sur les violations des droits humains et les enjeux géostratégiques dans le monde. Cette année, la 14ème édition du prix est dédiée à la condition féminine en Afghanistan, un sujet d’une urgence indéniable. Pour Amnesty International, la situation en Afghanistan pourrait désormais constituer un crime contre l’humanité et une persécution fondée sur le genre.

Kiana Hayeri et Mélissa Cornet, lauréates 2024

Pour cette édition 2024, le prix a récompensé la photojournaliste canado-iranienne Kiana Hayeri et la chercheuse française en droits des femmes Mélissa Cornet.

Kiana Hayeri © Aaron Vincent Elkaim
Melissa Cornet

Kiana Hayeri a vécu huit ans à Kaboul avant le retrait des forces de l’OTAN, tandis que Mélissa Cornet continue de résider en Afghanistan. En 2021, Hayeri a reçu la prestigieuse médaille d’or Robert Capa pour son reportage sur l’incarcération des femmes dans les prisons d’Hérat. L’année suivante, elle a fait partie de l’équipe de journalistes du New York Times dont l’enquête, The Collapse of Afghanistan, a été récompensée par le prix Hal Boyle et nominée pour le prix Pulitzer dans la catégorie reportage international.

Durant six mois, les deux femmes, soutenues par la Fondation Carmignac, ont parcouru sept provinces afghanes. Leur objectif était d’offrir une perspective intérieure élargie, au-delà des seules limites de Kaboul, en rencontrant une centaine de femmes et fillettes.

District de Yamit, Badakhshan, Afghanistan, 10 mai 2024. La fille de Kheshroo et sa cousine, toutes deux élèves de 11e année, se sont suicidées un an auparavant en se jetant à l’eau après avoir été expulsées de l’école. La famille joue dans des flaques d’eau, parmi des troupeaux de yaks, de chevaux et de chèvres, devant les montagnes du Wakhan, une région qui n’avait jamais été contrôlée par les talibans avant 2021. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Ce travail documentaire révèle une réalité brutale : les filles sont privées d’éducation, enfermées à domicile, tandis que journalistes et activistes luttent désormais dans l’ombre pour préserver leurs droits fondamentaux. À ce jour, les filles ne sont autorisées à étudier que jusqu’à la 6e année et sont interdites de fréquenter lycées et universités. Des écoles clandestines installées dans des maisons, des mosquées ou des espaces alternatifs continuent d’éduquer les filles, au prix d’un risque élevé.

Mélissa Cornet et Kiana Hayeri ont également rencontré les membres de la communauté LGBTQI+ afghane, qui vivent dans une situation d’extrême vulnérabilité. Pour toutes ces femmes et membres de minorités, le retour des talibans a marqué la fin de leurs libertés, plongeant le pays dans un obscurantisme toujours plus profond. 

Kaboul, Kaboul, Afghanistan, 29 février 2024. Des journalistes féminines travaillent dans le bureau d’un média axé sur les femmes. Depuis l’arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, le paysage médiatique afghan a été décimé. © Kiana Hayeri pour Fondation Carmignac

Un cri d’alerte international

Le travail de Kiana Hayeri et Mélissa Cornet, succède à celui des lauréats 2023, projet porté par deux photojournalistes, Bénédicte Kurzen (basée à Lagos, agence Noor) et Muntaka Chasant (basé à Accra). Le duo de photographes était accompagné d’Anas Aremaw Anas, journaliste d’investigation et avocat anti-corruption connu pour son travail d’infiltration au Ghana (BBC, CNN, Al Jazeera), dont le visage reste inconnu pour sa sécurité.

 No Woman’s Land est exposée à Perpignan dans le cadre du festival Visa pour l’Image.

L’exposition met en lumière non seulement des photographies, mais aussi des vidéos, des dessins et des œuvres cocréées avec des adolescentes afghanes. Ce corpus d’œuvres illustre comment l’espoir s’amenuise peu à peu chez les Afghanes, dans un pays où l’intégration et l’éducation ne sont plus qu’un souvenir lointain.

Les témoignages recueillis par les 2 femmes révèlent l’ampleur d’une tragédie qui s’ajoute aux crises sanitaires, alimentaires et économiques frappant l’Afghanistan. Ces crises affectent particulièrement les plus vulnérables, en premier lieu les femmes et les jeunes filles. Le Prix Carmignac du photojournalisme 2024, en mettant en lumière ces réalités sombres, lance un cri d’alerte international sur la situation des femmes en Afghanistan. Après les projections et conférences à Perpignan, l’exposition No Woman’s Land sera présentée à Paris, au Réfectoire des Cordeliers, du 25 octobre au 18 novembre 2024.