Chaque mois, Phototrend vous propose de découvrir les livres photo qui nous ont marqués. En ce mois d’août 2024, voici 5 nouveaux ouvrages que nous avons sélectionnés pour vous.
Ce mois-ci, Phototrend vous propose plusieurs voyages singuliers et inattendus. Soledades, de Gilles Roudière, pose un regard sensible sur l’Andalousie. Jonathan Bertin tisse un lien entre photographie et peinture impressionniste en Normandie. En parallèle, l’Incompiuto de Roberto Giangrande explore les lieux achevés et abandonnés d’Italie, et Wagon Bar abordable la riche histoire de la restauration ferroviaire. Enfin, Gwenn Dubourthoumieu nous offre une immersion savoureuse au sein de la (très) haute bourgeoisie.
Bonne lecture.
Incompiuto
Incompiuto : en italien, ce terme désigne une chose inachevée, laissée en suspension. Il faut dire qu’il désigne un véritable phénomène en Italie : il désigne ainsi tous les bâtiments et ouvrages d’art non terminés, donc inutilisables. À travers une sélection d’une cinquantaine de photographies désaturées, où l’humain semble absent, c’est un portrait alternatif de la péninsule italienne que dessine le photographe Roberto Giangrande.
Parfois abandonnés depuis plusieurs décennies, les squelettes de gigantesques projets de génie civil se dressent. Inutiles – et pourtant dotés d’une singularité graphique indéniable – ils forment une trame narrative d’une grande pertinence. Chaque cliché est d’ailleurs accompagné d’un chiffre (en pourcentages) indiquant le degré de complétion du projet.
S’adressant aux amateurs de photographie d’architecture et d’urbex – et à celles et ceux s’intéressant aux questions d’aménagement urbain – ce petit livre est complété d’une postface de Roberto Ferruccu, qui apporte des clés de lecture très utiles sur le contexte politique, économique et social de l’Incompiuto.
Incompiuto, Roberto Giangrande
Éditeur : Light Motiv
40 €, 128 pages, format broché, 16,8 x 23,4 cm
Acheter le livre : Site maison d’édition / Fnac
Impressionism
Tisser un lien sensible entre photographie et impressionnisme. C’est le point de départ d’un vaste projet, mené pendant 2 ans par Jonathan Bertin. Mené à l’initiative de Normandie Tourisme, il vient rendre hommage à ce courant incontournable de la peinture française, né il y a 150 ans.
Comme sur les toiles de Caillebotte, Degas, Renoir ou Monet, le but n’était pas de reproduire le réel de manière figurative, mais de « mettre l’accent sur la sensation visuelle et l’expression instantanée des effets lumineux« , comme l’indique le photographe. Lieux du quotidien, falaises calcaires ou champs de courses laissent ainsi place à un jeu subtil et fluide autour du mouvement.
Édité par la maison d’édition Four Eyes Edition (fondée en 2023), ce bel ouvrage est singulier à plus d’un titre : couverture en velours bleu nuit, reliure à la Suisse, orientation paysage, façon carnet à dessin. Comme une manière de prolonger son immersion en terre normande et impressionniste.
Impressionism, Jonathan Bertin
Éditeur : Four Eyes Edition
80 €, 96 pages, reliure à la Suisse, couverture velours, 21,5 x 28,5 cm
Acheter le livre : Four Eyes Edition / leslibraires.fr
Wagon Bar
Wagon Bar est à la fois un voyage gustatif inattendu… et un pari osé. Celui de rendre ses lettres de noblesse à la restauration ferroviaire – souvent méprisée (ah, le sandwich triangle SNCF…). Dirigé par Arthur Mettetal, cet ouvrage de 224 pages explore la riche histoire de la « restauration embarquée » sous toutes ses facettes.
Des luxueuses voitures-restaurants de la Compagnie Internationale des wagons-lits à la voiture-bar des TGV modernes, les multiples photographies d’archive ici rassemblés permettent de (re)découvrir les détails de cet univers quotidien – qui a pourtant fait l’objet de recherches approfondies de la part des compagnies. On redécouvre ainsi l’ambiance feutrée des voitures-restaurant du Mistral façon Sixties. Ou encore le « bar Corail » conçu par Roger Tallon, père du design du TGV.
S’il plaira évidemment aux fans de l’univers ferroviaire ou de design, ce livre conçu avec le Service Archives et Documentation du Groupe SNCF et le fonds de dotation Orient-Express explore avec brio cette facette souvent ignorée de l’expérience du voyage.
Wagon Bar, une petite histoire du repas ferroviaire, Arthur Mettetal, Jean-Pierre Williot, Géry Nolan
Éditeur : Textuel
29 €, 224 pages, format relié, 15 x 21 cm
Acheter le livre : leslibraires.fr / Fnac
Soledades
C’est un véritable livre de poésie photographique que publient les éditions lamaindonne avec Soledades. Cinq ans après « Trova », Gilles Roudière revient avec son noir et blanc devenu emblématique, au grain marqué et aux sujets frôlant le surréalisme. Le désert de Tabernas, en Andalousie, devient le terrain de jeu du photographe où se déploie tout un imaginaire du dépeuplement : paysages arides, poussière omniprésente, ou êtres vivants qui se résument à quelques animaux, furtifs.
C’est un livre uniquement fait de lumière, une lumière sculptée par un photographe qui a l’œil. Une lumière à laquelle l’objet-livre rend véritablement hommage, et ce dès la couverture : une toile texturée avec rien que le magnifique titre : « Soledades ». À l’intérieur, entrecoupées de poèmes, les photographies se dévoilent également sur un beau papier qui rend honneur à l’esthétique de Gilles Roudière.
La démarche est claire : il ne s’agit pas d’une tentative de documentaire sur le désert de Tabernas, mais bel et bien d’une photographie sensible qui permet à l’artiste de convoquer les notions de mémoire, d’histoire, de personnes et de lieux qui composent un territoire. Sans doute fallait-il se rendre dans un désert espagnol pour cela, tant il réunit tous les éléments nécessaires à une telle fresque poétique.
Soledades, Gilles Roudière
Éditeur : lamaindonne
42 €, 176 pages, relié, 19,5 x 26 cm
Acheter le livre : Éditions lamaindonne / Fnac
Entre-soi – Le séparatisme des riches
À quoi ressemble la vie sociale des classes dominantes ? La littérature et la sociologie répondent, souvent brillamment, à cette question. La photographie aussi, parfois – on se souvient notamment de l’excellent reportage sur les paradis fiscaux de Paolo Woods et Gabriele Galimberti. Avec Entre soi : le séparatisme des riches, le photographe Gwenn Dubourthoumieu documente le quotidien de la grande bourgeoisie et la manière dont ils reproduisent des logiques de classe.
Toutes les instances de socialisation sont dépeintes par la photographe, de la famille aux rallyes, en passant par l’école, bien évidemment. Car voilà le lieu peut-être le plus important, où se nouent connexions, relations et une éducation exceptionnelle (à tous les points de vue). La force du livre est d’accoler des textes explicatifs aux photographies, qui les replacent toujours dans leurs contextes, en plus d’apporter d’autres informations saisissantes.
La reproduction sociale, notion sociologique démocratisée par Pierre Bourdieu, est ici démontrée dans toute sa splendeur à travers les photographies au vitriol de Gwenn Dubourthoumieu, notamment grâce aux lumières artificielles fortes, ou à l’utilisation du flash : tout est mis en lumière sans concession. Notons également les courts textes très pertinents de Monique Pinçon-Charlot, sociologue qui a travaillé sur ces questions pendant des dizaines d’années, et qui éclairent autrement cet entre-soi bourgeois.
Entre soi – Le séparatisme des riches, Gwenn Dubourthoumieu, Monique Pinçon-Charlot
Éditeur : Pyramyd Éditions
25 €, 176 pages, format broché, 17 x 24,5 cm
Acheter le livre : Pyramyd Éditions / Fnac