Jean-Michel André, Voltige sur le terril 101, dit « Lavoir de Drocourt », à Hénin-Beaumont. Thibaut Jorion pratique les arts martiaux mixtes à Avion (Pas-de-Calais). Série « À bout de souffle » © Jean-Michel André / Grande commande photojournalisme

La France sous leurs yeux : les années 2020 vues par 200 photographes

La Bibliothèque François Mitterrand réunit les travaux des 200 photographes missionnés par le ministère de la Culture dans le cadre de la Grande commande pour le photojournalisme. L’exposition « La France sous leurs yeux » porte bien son nom : il s’agit d’un véritable panorama du pays au sortir de la crise sanitaire et sociale liée à la pandémie – davantage présentée comme révélatrice que comme une cause des bouleversements sociétaux récents.

© Baptiste Thery-Guilbert

La Grande commande photographique : portrait photojournalistique de la France post-Covid

Initiée en 2021 par le ministère de la Culture, la Grande commande photographique visait à soutenir la création des photojournalistes et photographes documentaires. La BnF, qui a piloté ce projet de grande ampleur, accueille en ses murs une sélection de plus 400 photographies, parmi les 2000 qui intègrent de facto ses collections.

Antonin, 15 ans, devant son tracteur, en juin 2022. Série « En parenthèse »
© Samuel Kirszenbaum / Grande commande photojournalisme

Cette grande exposition permet de condenser de nombreux travaux déjà aperçus ces derniers mois dans différents lieux sur le territoire, ainsi que de découvrir des tirages encore inédits. Se dessine au fil des photographies un véritable portrait photojournalistique ; le portrait, en effet, semble central dans quasiment l’intégralité des projets présentés.

Feu d’artifice du 14-Juillet sur les bords de l’étang du Gasloup Série « À La Loupe »
© Éric Larrayadieu / Grande commande photojournalisme

Une photographie documentaire, résolument, mais toujours subjective et personnelle : les artistes ont chacune et chacun apporté leur regard, leur style et leur approche qui fait de chaque série la continuité de leurs travaux précédents, malgré la particularité du principe de commande.

C’est ainsi que différents registres esthétiques sont présentés côte à côte – c’est tout le défi de l’exposition collective, surtout avec autant d’artistes –, une multiplicité d’approches et de « sujets » qui composent cette impressionnante radioscopie. Frappante par la surreprésentation de la jeunesse, une jeunesse qui aime, qui travaille, qui lutte, qui crée, et qui bouleverse les codes et les conventions dans lesquels la société l’enferme.

Scarlett Coten, Adrien. Brest. Série « La disparition de James Bond »
© Scarlett Coten / Grande commande photojournalisme
Voltige sur le terril 101, dit « Lavoir de Drocourt », à Hénin-Beaumont. Thibaut Jorion pratique les arts martiaux mixtes à Avion (Pas-de-Calais). Série « À bout de souffle »
© Jean-Michel André / Grande commande photojournalisme

Libertés, Égalités, Fraternités, Potentialités

À travers cette jeunesse (mais pas seulement), ce sont les nombreuses mutations de la société française et l’apparition de nouveaux enjeux sociétaux et culturels qui se profilent dans chaque série. Et à nouveau, le constat sans appel que tout passe par les corps des personnes photographiées, qui vivent les choses concrètement, physiquement, jusque dans les regards saisis parfois avec une grande poésie.

Portrait de Noam dans l’escalier du lycée Paul-Valéry à Paris. Série « Visage d’une jeunesse en quête d’avenir »
© Jérôme Bonnet – Modds / Grande commande photojournalisme

C’est une véritable mise en dialogue qui se dessine au fil de l’exposition, entre les artistes et entre les sujets. Les voici réunis dans un parcours découpé en quatre parties, un découpage plutôt évocateur : Libertés, Égalités, Fraternités, Potentialités.

Ajouter cette idée de futur à la devise passée (et au pluriel !) instaure à la fois un constat et un appel : quels sont les enjeux environnementaux et technologiques qui se cachent derrière cette notion vague d’avenir et de progrès ?

Pablo Baquedano, Surfeur, Plage de la Côte des Basques, 9 mai 2022 Série « Ostreopsis : Baignade interdite »
© Pablo Baquedano / Grande commande photojournalisme

La France sous leurs yeux : un témoignage d’une ampleur inédite

La qualité de cette grande commande – et de l’exposition ainsi que du catalogue qui en découlent – tient dans le statut même des photographies présentées. Au-delà de l’aspect documentaire qui s’en dégage, les images, de par leur porosité avec d’autres médiums notamment, appellent à un regard souvent critique, voire à une certaine indignation.

Et voilà que la photographie fait de l’effet, pour ainsi dire, provoque quelque chose chez la personne qui la voit, dépasse son simple statut d’illustration ou d’archive pour susciter quelque chose d’autre chez le spectateur.

Il y a quelque chose de l’ordre du paradoxal, quand on sait que le ministère de la Culture est derrière ce vaste projet, tant ce qui est montré (et le sentiment d’indignation, voire de colère qui en résulte) apparaît comme des conséquences directes et concrètes de politiques publiques récentes.

Inégalités territoriales, division du travail, oppressions… les personnes photographiées traversent ces problématiques dans leurs quotidiens, inscrits à même leurs vécus individuels et leurs corps.

Samedi soir à Rungis devant le Metropolis, une discothèque en bordure de l’A86. Dorian, Inès et Teddy font un « before » dans la voiture avant d’aller en boîte. Dorian : « Je suis carrossier, la voiture est aussi mon métier. Pour moi, la voiture représente tout : le voyage, l’oseille, la liberté ! » 26 juin 2022. Série « Léon, Mégane et Zoé : Les Français et leurs autos »
© Mathias Zwick – Inland Stories / Grande commande photojournalisme

Ces « photographies malgré tout » témoignent d’une certaine volonté, d’un certain désir des artistes de faire du collectif à partir de l’individuel, de construire, consciemment ou non, quelque chose de commun au-delà de la simple appartenance au même projet. « La France sous leurs yeux » ? La France en miroir, surtout, dans toute son ambiguïté, tout en nuances, que peut-être seul un nombre élevé d’artistes réunis pouvait permettre.

Maïssa converse avec un ami dans le RER D, qui relie Corbeil-Essonnes à Paris en 45 minutes. 23 juillet 2022 Série « L’amour en cité »
© Sandra Mehl / Grande commande photojournalisme

La catalogue de l’exposition La France sous leurs yeux (496 pages, 500 illustrations, 19 x 255 cm) est publié par les éditions de la BnF. Il est proposé au tarif de 49 €.

Ces photographies ont été produites dans le cadre de la grande commande nationale « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » financée par le ministère de la Culture et pilotée par la BnF.

Informations pratiques :
La France sous leurs yeux, 200 regards de photographes sur les années 2020
Bibliothèque François Mitterrand
Du 19 mars au 23 juin 2024
Site François-Mitterrand, quai François Mauriac, Paris 13e
Du mardi au samedi de 10 h à 19 h, le dimanche de 13 h à 19 h
Tarif plein 10 €, tarif réduit 8 €

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  1. L’exposition « La France sous leurs yeux » est lourde.
    Lourde de sens, certes… Mais aussi lourde au sens figuré, c’est-à-dire pesante. Car il s’agit d’un parti-pris de la part de ces photojournalistes qui ont choisi de montrer la vie, l’environnement, le portrait des petites gens, des gens de peu comme on dit. Donc la radioscopie que l’on nous présente est celle-là : une France de la déprime, une France couleur dépression. La France d’après covid (c’était le sujet) ne retrouve pas (sous leurs yeux de photojournalistes) la joie d’aller et venir, la liberté de se déplacer, de se réunir. Sur les 400 photographies une petite dizaine montre quelques sourires : celle d’une famille sur la plage, un mariage… Même lorsqu’il s’agit d’une équipe dite « Oui – Oui » d’une course de caisses à savon, photo toute en couleur, les personnages tirent la gueule. Même dans la partie de l’exposition intitulée « Potentialités », censée nous rendre compte de la possibilité d’une mode de vie alternatif, eh bien, là encore, les photos font grise mine. Cette sombre France cafardeuse existe, pas de doute, mais qu’on ne nous la présente pas comme une radioscopie complète de la France contemporaine des années 2020.

  2. Je m’attendais à l’image des français travaillant dans l’industrie et les campagnes, au repos en famille.