Les deux lauréats de l’édition 2023 du Prix Oskar Barnack viennent d’être dévoilés. Ismail Ferdous est récompensé pour sa série « Sea Beach« , menée pendant deux ans sur la plage de Cox’s Bazar, lieu de villégiature très prisé du Bangladesh. En parallèle, le photographe chinois Ziyi Le remporte le prix Newcomer grâce à sa série « New Comer« . Ces deux séries sont à découvrir à la galerie du Musée Leitz de Wetzlar, en Allemagne.
Ismail Ferdous et Ziyi Le, lauréats de la 43e édition du Prix Leica Oskar Barnack
Créé en 1979, le Prix Leica Oskar Barnack vise à récompenser le meilleur reportage photo. Il tire son nom du père de la photographie au format 35 mm. Les deux lauréats ont été annoncés lors d’une cérémonie au siège de Leica à Wetzlar, en Allemagne.
Ismail Ferdous, photographe originaire du Bangladesh et installé à New York depuis 2016, remporte 40 000 € ainsi qu’un boîtier Leica d’une valeur de 10 000 €. De son côté, Ziyi Le remporte le Prix Newcomer, destiné à récompenser les jeunes photographes de moins de 28 ans, et reçoit 10 000 € ainsi qu’un Leica Q3.
Insouciance pour l’une, doutes pour l’autre : à première vue, tout semble opposer les deux séries primées. Pourtant, toutes deux offrent un point de vue singulier sur notre monde.
Ismail Ferdous, Sea Beach : une parenthèse enchantée à Cox Bazar
Il y a quelque chose d’irréel dans les photographies d’Ismail Ferdous. Le sable fin, la mer est d’un calme olympien, un jeune garçon mène son cheval au galop, pieds nus dans ses étriers. Hommes et femmes ressemblent à autant de personnages d’une fable aux tons acidulés, à l’instar des friandises vendues par les marchands ambulants.
Avec ses quelques 96 km de long, la plage de Cox’s Bazar compte parmi les plus grandes plages du monde. Située sur le golfe du Bengale à 400 km de Dhaka, la capitale du Bangladesh, elle est un lieu de loisirs et de détente où se mélangent toutes les classes sociales du pays. C’est là qu’Ismail Ferdous se rendait avec sa famille pendant sa jeunesse ; c’est également le théâtre de cette série, menée entre décembre 2020 et janvier 2022.
La plage est un sujet photographique maintes fois exploré, de Joseph Szabo à Martin Parr. Pourtant, Ismail Ferdous s’empare du sujet avec une spontanéité remarquable. Malgré l’influence du mode de vie occidental, les comportements sociaux sont radicalement différents des plages des États-Unis (où vit désormais le photographe) : les bains de soleil et la baignade sont mal vus. Ici, les promeneurs arborent leurs plus beaux habits et se trempent les pieds dans l’eau claire.
« Je me suis laissé guider par ma curiosité et mon lien émotionnel. Je viens de me promener le long de la plage pendant quelques heures, j’écoute mon intuition et je laisse les scènes se dérouler de manière naturelle. Pour être honnête, ce n’était pas un défi d’approcher les gens et de leur demander d’être photographiés. Dans la plupart des cas, ils étaient coopératifs et prêts à y participer », explique le photographe.
Cependant, l’apparente simplicité qui pourrait transparaître dans ces images cache un minutieux travail de préparation. Le concept de cette série a été travaillé par Ismail Ferdous avec précision. Tous ses clichés sont capturés pendant les mois d’hiver, et toujours à midi. De même, le photographe a utilisé plusieurs lumières artificielles pour obtenir le rendu presque éthéré qui caractérise cette série.
En outre, plusieurs thèmes chers au photojournaliste transparaissent devant l’apparente douceur de ces photos. Les habitudes des différentes catégories de population sont passées à la loupe. Le luxe et le consumérisme sont présents, comme toile de fond. Comme un écho aux nombreux travaux documentaires qu’il a menés autour de l’effondrement de l’atelier Rana Plaza, qui a causé la mort de plus de 1100 ouvriers du textile en 2013.
De même, difficile d’ignorer qu’à quelques kilomètres de là se tient l’immense camp de réfugiés des Rohingyas, documenté à plusieurs reprises par le photographe. C’est là que vivent plus de 600 000 personnes sur une zone d’à peine 13 kilomètres carrés.
Lauréat de plusieurs prix de renom (un World Press Photo, deux US National Photo Press Award, le prix Manuel Ortiz pour la photographie documentaire…), Ismail Ferdous livre ici une série d’une remarquable vivacité. Porté par Dimitri Beck de la revue Polka, cette série témoigne de réalités complexes, entre tradition et modernité, formant un grand patchwork aux couleurs pastel.
Ziyi Le, New Comer : une jeunesse chinoise en quête de repères
Le prix Leica Oskar Barnack Newcomer vient récompenser le travail de Ziyi Le, autour d’une jeunesse chinoise qui tente de trouver sa place dans une société traversée par de multiples remous.
« Tout au long de mon enfance, j’étais taciturne et mal dans ma peau, ce qui m’a donné l’impression de ne pas avoir trouvé ma place », explique le photographe né en 1993. « Par instinct de photographe, j’ai décidé d’explorer ce sentiment de vide chez de jeunes gens comme moi, dans différentes villes, de voir leurs visages et d’explorer mes doutes profonds ».
De l’ennui qu’il éprouve dans sa vie quotidienne à Hangzou en 2020, il tire une série de portraits intimistes. Portée par l’école de journalisme de l’université de Fudan, à Shanghai, elle forme une véritable fenêtre ouverte sur cette jeune génération en manque de repères. Un portrait touchant de ces « New Comers », qui interrogent le lecteur de ces images sur le sens profond de leur existence.
Très différents l’un de l’autre, les travaux de Ziyi Le et d’Ismail Ferdous sont autant de témoignages d’un monde en contrastes. Ces deux séries – et celle des 10 finalistes du prix Oskar Barnack – sont exposés en Allemagne à la galerie du Musée Leitz, et voyageront dans d’autres galeries Leica au cours de l’année prochaine.
