Invisible, la femme de 70 ans ? Disons plutôt qu’on ne veut pas la regarder. Essayons pour voir : c’est ce que nous propose l’exposition actuellement présentée au Frac Sud à Marseille, une grande rétrospective consacrée à Martha Wilson dont la carrière artistique a été depuis longtemps consacrée à réinventer l’image de la femme. Avec « Invisible », les enjeux soulevés par les liens entre l’âge et cet idéal imposé de beauté féminine sont avancés par l’artiste, au travers d’une proposition à la croisée entre photographie et art plastique. À découvrir jusqu’au 4 février 2024


La vieillesse fait corps
Politiser la vieillesse, le vieillissement des corps et particulièrement ceux des femmes, soumis à davantage d’injonctions que ceux des hommes, les « rendre visible » : la plupart du temps, ce sont les femmes elles-mêmes qui s’en chargent. La littérature d’abord, avec Simone de Beauvoir et La Vieillesse, en 1970, Laure Adler, plus récemment, avec La voyageuse de nuit sorti en 2020 – leurs fils, parfois, comme on a pu le voir récemment avec le dernier ouvrage de Didier Eribon.


C’est que la vieillesse est (enfin) un sujet dont nombre d’artistes s’emparent – disons plutôt que maintenant, c’est un sujet que l’on considère et que l’on regarde. Regarder, essayer de voir… le médecin-photographe Fred de Casablanca nous le rappelait très justement en début d’année, avec un très beau projet sur ses patients, pour nombreux d’entre eux plutôt âgés.


Des corps, décor : une approche artistique à l’avant-garde chez Martha Wilson
Depuis près de cinquante ans – ses premiers travaux remontent aux années 1970 – Martha Wilson développe et articule une œuvre tout à la fois originale, radicale et foncièrement avant-gardiste. Si on changeait de registre, on pourrait presque qualifier son travail de prémonitoire ; comment voir autrement ses autoportraits détournés à l’ère de nos selfies contemporains, anglicisés pour bien convenir aux réseaux sociaux où tout se présente sous forme de grille, de défilement propice aux comparaisons les plus rapides.
Les « comparaisons » de Martha Wilson sont performatives, transformatives… et c’est ainsi qu’elle devient tantôt Catherine Deneuve (2015), tantôt Melania Trump (2017), en montrant toutes les étapes de ces travestissements d’un autre genre intitulés « Makeover ».


Makeover, littéralement la transformation, voire la rénovation (une remise à neuf, un ravalement de façade). Une métamorphose du visage toujours dans l’ère du temps, une multiplication des identités pour mieux déconstruire l’idée d’une vision unique de la femme et de l’image qu’elle devrait renvoyer, uniforme et construite par le regard masculin.
Martha Wilson travaille également cette manière de défaire la notion d’authenticité : derrière tout ce maquillage et ces artifices, où se cache le réel ? Quels sont les rapports entretenus entre corps, représentation et image ? C’est tout ce concept de fantasme alimenté par les réseaux sociaux et la publicité qui est ici remis en perspective, placé en miroir et en confrontation face à nos propres contradictions.

Avant/après. Encore un procédé de plus en plus en vogue que Martha Wilson utilisait bien avant l’essor de cette pratique sur Instagram ou YouTube. Il s’agit la plupart du temps de jeunes femmes qui montrent leurs visages avant et après maquillage (makeup /makeover), de jeunes hommes qui montrent leur transformation physique spectaculaire qu’une pratique sportive intense a opérée sur leurs corps, etc. L’avant et l’après de Martha Wilson se regardent, se toisent, séparées par les années et ce qu’opère le passage du temps sur un corps, une peau, un visage.

Puisqu’il est question d’apparence, il est aussi question d’un regard : celui de Martha Wilson est clair, direct, la plupart du temps rieur sans être cynique. En faisant de chaque image une performance, de chaque photographie une tromperie, c’est la perspective même d’obsolescence (de vieillissement) qu’elle essaie de déjouer, de retourner. Retourner, non pas à son avantage propre et exclusif, mais à l’avantage de toutes les femmes vouées à vieillir et à se comparer – s’opposer – aux représentations stéréotypées et pleines d’injonctions de leur temps.

Informations pratiques :
Invisible de Martha Wilson
Le Frac Sud – Cité de l’art contemporain
Du 1er juillet 2023 au 4 février 2024
20 boulevard de Dunkerque, 13002 Marseille
Du mercredi au samedi de 12h à 19h, le dimanche de 14h à 18h
Tarif : 5 € (tarif réduit : 2,50 €)
Gratuit les dimanches