Première collection de livres photo accessible format poche, Photo Poche a fêté l’année dernière ses 40 ans. Géraldine Lay, éditrice pour la Photographie et l’Art contemporain chez Actes Sud, a insufflé un renouveau tant d’un point de vue esthétique que dans le choix des photographes publiés. Nous l’avons rencontrée pour discuter avec elle de l’histoire de cette collection et de la démarche éditoriale et artistique de Photo Poche.
Photo Poche, 40 ans d’histoire
Nous sommes dans les années 1980. Le gouvernement socialiste, avec Jack Lang comme ministre de la Culture, entame une démarche de valorisation des formes d’expression artistique populaires. Démocratiser la culture, donc, et la photographie en tête. Cet « art moyen », comme le qualifiait Bourdieu, avait déjà fait l’objet des désormais célèbres Rencontres de la photographie inaugurées en 1970 (c’est également dans ces années qu’est créée l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles).
Créée en 1982 par Robert Delpire, la collection est d’abord éditée par le Centre National de la Photographie, pour ensuite être reprise par Nathan en 1997, puis par Actes Sud en 2004. Géraldine Lay dirige la collection depuis 2019. Place à l’interview.
La philosophie de la collection Photo Poche est claire : un tarif abordable tout en proposant une certaine qualité de fabrication, de papier et d’impression. Cette accessibilité semble être le fondement même de la manière de (conce)voir cette collection qui a fêté récemment ses 40 ans. Pouvez-vous nous expliquer l’importance d’une telle collection dans le paysage éditorial français, encore aujourd’hui ?
Au cœur de ce projet éditorial, « un effort de vulgarisation, une volonté de mettre à la portée de toutes les bourses des livres soigneusement réalisés » affirme Robert Delpire en 1982. En effet, peu d’ouvrages abordables répondent alors à la curiosité grandissante du public pour la photographie, annonçant l’avènement de l’image comme vecteur principal des cultures populaires du 21e siècle. C’est la « géniale intuition delpirienne », saluée par Benoit Rivero, qui l’accompagne dans cette aventure au CNP, puis aux éditions Nathan, de 1997 à 2004, et enfin chez Actes Sud jusqu’en 2019.
En tant qu’objet, chaque Photo Poche relève le défi de laisser s’exprimer les images dans un petit format. Le rythme soutenu des reproductions offre une rétrospective séquencée et complète de l’œuvre d’un photographe ou d’un sujet. L’iconographie est encadrée par un texte d’introduction et des notices bibliographiques signés par des experts du sujet, qui assurent la qualité didactique de la collection. C’est l’entrée de gamme dans un rayon art en librairie.
Comment avez-vous personnellement découvert la collection Photo Poche ?
Comme beaucoup, étudiante, ce sont les premiers livres que je pouvais m’offrir.
Une nouvelle identité visuelle a été adoptée à l’occasion du quarantième anniversaire. La création de ces nouvelles couvertures a été confiée à Pierre Péronnet et Wijntje van Roiijen. Comment s’est opéré le choix des graphistes ?
Nous aimions beaucoup leur travail. Les éditions Actes Sud avaient déjà travaillé avec eux pour la réalisation d’une monographie de Miguel Barcelo et nous avions une grande confiance dans leur capacité à relever le défi. Il fallait à la fois être respectueux de l’héritage de la collection qui a marqué l’histoire du livre de photographie et de son créateur Robert Delpire ; mais aussi, rester libre pour opérer ce changement.
Nous avons discuté des principes fondamentaux de la collection : format, pagination, texte d’introduction et notices bibliographiques, co-production qui oblige à respecter un changement au noir seulement, etc. Je leur ai montré le design de notre partenaire Thames And Hudson qui depuis le début avait introduit la couleur sur la couverture, ce qui nous plaisait beaucoup.
Nous avons évoqué le choix de la carte de couverture que nous désirions plus tactile. Nous voulions aussi abandonner le pelliculage brillant, symbole des années 80 et clairement pas écologique. Nous avions déjà supprimé la mise sous film à l’unité pour réduire notre usage du plastique lorsque c’est possible.
Malgré un format et une conception technique similaires, il paraît évident que chaque processus de création d’un ouvrage de la collection doit être unique. Comment s’opère le choix des images d’un ou d’une photographe parmi l’étendue de son œuvre ? À quel point collaborez-vous avec ces artistes ?
Chaque ouvrage se construit comme un projet unique et le travail éditorial est le même que celui sur une monographie classique. Ce sont les contraintes posées en amont qui diffèrent : il faut respecter le nombre de pages et la dimension rétrospective lorsqu’il s’agit d’une monographie. Il y a moins de surprise sur le graphisme, le cadre est posé. Il faut alors se plonger dans l’ensemble de l’œuvre pour extraire les 65 photographies représentatives de la carrière du photographe. Il s’agit toujours d’un travail de collaboration, fait de multiples allers-retours.
Pour cela, je travaille avec le photographe, l’ayant droit, mais aussi souvent avec des historiens de la photographie, spécialistes d’une œuvre ou en charge de travailler sur des fonds photographiques. Je me déplace par exemple chez un photographe et regarde avec eux différentes sélections. C’est un moment de partage passionnant comme avec Dolorès Marat ou Bernard Plossu.
La question se pose différemment pour les ouvrages posthumes, résultats d’un véritable travail d’archive. (Je pense notamment aux publications consacrées à Charlotte Perriand et Erwin Blumenfeld.) Comment procédez-vous pour élaborer ces ouvrages ?
Concernant Charlotte Perriand, c’est Damarice Amao, assistante de conservation au cabinet de la photographie du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou et commissaire d’exposition et Emmanuelle Kouchner, aujourd’hui directrice des Éditions Delpire, qui venait de terminer avec moi, le catalogue de l’exposition Charlotte Perriand, Politique du photo montage, qui m’ont proposé de travailler sur le Photo Poche. Cette idée correspondait pleinement à mon envie d’élargir la collection aux usages de la photographie en dehors des artistes photographes uniquement. Pour Erwin Blumenfeld, j’ai été contacté par sa petite fille, Nadia Charbit, qui était en plein montage de l’exposition au Mahj.
Je suis également en contact avec des historiens comme Virginie Chardin avec qui j’ai réalisé le Photo Poche de Sabine Weiss et la nouvelle édition de Franck Horvat ; Christine Barthe pour Samuel Fosso et actuellement James Barnor ; Anne Morin pour Ruth Orkin à paraître en septembre 2023.
Qu’est-ce qui vous pousse à « déterrer » le travail de tel ou tel photographe ?
Lorsque j’ai repris la collection en 2019, j’ai regardé les figures incontournables de l’histoire de la photographie encore absentes de la collection. J’ai tout de suite contacté Marvin Hoshino qui s’occupait des archives d’Helen Levitt pour lui proposer de faire le Photo Poche.
L’actualité d’une exposition, la rencontre d’un historien ou d’un conservateur, l’envie de faire découvrir des figures oubliées sont autant d’autres facteurs déclencheurs. Je me suis également donné comme ligne directrice de mieux représenter les minorités : les femmes photographes, les photographes des autres continents, les artistes qui utilisent la photographie…
En publiant Sophie Calle, vous semblez ouvrir la collection à une conception de la photographie plus éclectique – bien que ce ne soit pas la première fois que Photo Poche publie des artistes pluridisciplinaires, à l’instar de Claude Cahun ou de Peter Beard, pour ne citer qu’eux. Qu’est-ce qui vous a décidé à publier un volume consacré au travail de Sophie Calle ? (Surtout dans un tel ouvrage qui, précisons-le, comporte plus de pages que les autres de la collection)
Sophie Calle est une artiste que nous publions chez Actes Sud depuis ses débuts en 1994. Il était normal de lui proposer d’intégrer la collection. Mais comme je l’ai dit pour Charlotte Perriand, il me semble important d’élargir cette collection aux usages de la photographie. C’est devenu peut-être une nouvelle nécessité si l’on veut que la collection reflète pleinement la création contemporaine qui mêle encore plus qu’hier les médiums. C’était déjà le cas et la collection a souvent publié des représentants de la photographie plasticienne, mais je crois qu’une artiste comme Sophie Calle ouvre d’autres champs de réflexion.
Le Photo Poche de Sophie Calle porte le numéro 101, mystérieusement oublié du catalogue. Encore un jeu de hasard ?
Oui, un hasard qu’affectionne Sophie Calle !
Les publications de la collection ne sont pas de simples corpus d’images : elles comportent constamment des textes d’universitaires, de professionnels de la pratique photographique ou d’écrivains. Les textes apportent aux images un certain éclaircissement, sans pour autant priver le lecteur ou la lectrice de sa capacité d’interprétation personnelle. À quel point cette approche didactique de la photographie est-elle importante selon vous ?
L’intention de la collection est d’offrir un premier accès à une œuvre, un photographe et de lui donner des clés de lecture. Lorsque je demande à un auteur d’écrire l’introduction du Photo Poche, je lui donne les trois indications suivantes :
- Présenter les grandes lignes historiques du sujet, liées à l’esthétique du temps, aux problèmes sociaux et événements pouvant l’avoir influencé ;
- Comporter des éléments d’information biographiques et techniques réduits, dans la mesure où ils peuvent éclairer la personnalité de l’auteur ou la nature spécifique des photographies ;
- Être rédigé dans un esprit qui tienne compte de la large diffusion de la collection auprès d’un public peu informé mais intéressé par la mise en rapport des informations, sans privilégier toutefois une forme de rédaction par trop didactique.
Pour finir, quel est votre premier souvenir de photographie ?
Mes premiers souvenirs sont les photographies de famille sans aucun doute, les photos de classe aussi. La première photo que j’ai dû prendre, peut-être un portrait de famille, aussi…
Merci Géraldine Lay pour vos réponses. Tous les ouvrages de la collection Photo Poche sont à retrouver aux éditions Actes Sud au tarif unique de 13,90 euros.