Interview d’Arianne Clément : un nouveau regard sur la vieillesse

Arianne Clément est une photographe québécoise qui se consacre essentiellement au 3e âge. À travers sa photographie, elle apporte une vision nouvelle de la vieillesse, en mettant à l’honneur des personnes âgées libres, fières de leur corps, et épanouies dans leur sexualité. Un travail photographique qui prend le contrepied de nos sociétés, qui tendent à sous-représenter les plus de 60 ans. Place à l’interview.

Vous consacrez votre photographie à la représentation du 3e âge. Au-delà d’aborder la sensualité et la beauté des personnes âgées, c’est tout un rapport au corps et à la vieillesse que vous questionnez à travers vos clichés. Pourquoi ce sujet vous intéresse-t-il particulièrement ?

C’est en réalisant à quel point les personnes âgées sont sous-représentées dans l’espace public que mon projet photographique est né. Ça fait maintenant 10 ans que je travaille sur le thème de la vieillesse et mon intérêt ne fait que s’accroître. Il y a tant de choses à en dire, tant d’angles possibles à explorer. J’ai beaucoup travaillé sur les thèmes de la beauté et de la sexualité, mais je n’ai fait qu’effleurer la surface de ce que signifie vieillir.

Arianne Clément

Dans 100 ans, âge de beauté : portraits de femmes centenaires, vous révélez la sensualité des femmes âgées à travers leurs rituels de beauté. Dans L’art de vieillir, vous réalisez des photographies de nu de personnes âgées ; une démarche assez rare. Quel a été votre déclic pour aborder ces sujets très peu représentés et réaliser ces photographies de nu si particulières ?

Ça a été un processus. Au début, j’avais obtenu une bourse pour parler des femmes et de l’âge ; j’avais décidé de faire un projet sur les femmes centenaires de ma région mais je n’avais pas choisi d’angle particulier. C’est en rencontrant de nombreuses centenaires que l’angle de la beauté s’est imposé, simplement parce que mes modèles étaient préoccupées par leur apparence sur les photos.

Marie-Berthe, une femmes de 102 ans qui participait au projet m’a étonnée par son aisance et sa désinvolture devant la caméra ; elle se savait belle et n’avait aucune gêne à le manifester. Comme elle me proposait des poses affriolantes, nous avons improvisé une séance de boudoir. Les photos de cette séance était si intéressantes que l’idée de faire une série de boudoir avec des femmes âgées m’est apparue comme une évidence.

Vous prenez le contrepied de la vision de la société, qui sous-entend que la beauté et la sensualité s’échappent avec l’âge. Quelle est votre vision de la beauté et comment tentez-vous de la représenter dans vos photographies ?

Je pense que la beauté est dans l’attitude. Il n’y a rien de plus beau qu’un corps qui s’accepte et s’assume avec toute son histoire, ses rondeurs, ses rides, ses cicatrices, etc. C’est quand même incroyable de vivre dans une société dans laquelle accepter son corps vieillissant (ou non conforme aux standards de beauté) est pratiquement une transgression. Il est plus accepté d’avoir honte, de se cacher, de se priver, de se battre contre le vieillissement que d’être serein et bienveillant face à celui-ci.

Arianne Clément

Quelles sont vos inspirations artistiques pour les compositions de vos photographies ? Pourquoi ce choix du noir et blanc ?

Voici une liste non exhaustive de photographes qui m’ont inspirée, soit par leur choix de sujets, leur choix esthétique, leur démarche ou leur engagement : JR, Virgílio Ferreira, Gihan Tubbeh, Antoine D’Agata, Amber Brecken, Brittany Markert, Rhéhan, Spenser Tunick, Yann Arthus-Bertrand, Reza, Ed Kashi, Dorothea Lange….

Le choix du noir est blanc est simple ; j’ai commencé à explorer la photographie dans un cours de photo argentique et à developper en chambre noire à l’université. C’était donc par défaut que je photographiais en noir et blanc. C’est ainsi que j’ai appris à lire la lumière et non les couleurs. Je n’ai simplement jamais « gradué » en photo couleur.

Arianne Clément

Vos portraits semblent raconter des vies, et mettre en avant des personnalités à part entière. Quelle démarche adoptez-vous pour obtenir une telle confiance de la part des personnes photographiées ? Est-ce que vous leur demander de poser d’une certaine manière ou laissez-les-vous totalement libres ?

Idéalement, j’aime prendre mon temps et si possible, rencontrer mes modèles à plusieurs occasions pour qu’une confiance s’installe entre nous. J’aime aussi faire participer mes modèles à la création des images en leur demandant de quelle façon ils ont envie d’être représentés. Je leur montre les résultats au fur et à mesure pour qu’ils comprennent le travail et s’engagent dans le processus. Parfois je les guide et parfois je les laisse aller, suivant la personnalité du modèle.

Arianne Clément

Quelle relation entretenez-vous avec vos modèles ? Est-ce que vous conservez un lien avec eux après les séances ? Vous arrive-t-il de produire plusieurs séances avec les mêmes modèles ?

Il m’arrive couramment d’entretenir des liens avec mes modèles après les séances et de faire plusieurs séances avec eux.

Avez-vous eu des retours de vos modèles sur la façon dont il voit leur corps depuis qu’ils ont travaillé avec vous ? La démarche les a-t-elle changés ?

Oui, j’ai eu de nombreux témoignages à ce sujet. On me dit souvent que la séance photo a été un moment important dans un processus d’acceptation de soi. Il y a aussi une fierté associée au fait que les photos soient exposées et célébrées.

Ce travail a t’il eu une influence sur vous, sur votre rapport à votre propre corps ou sur votre relation avec les personnes âgées ?

Définitivement. J’ai appris en travaillant avec les aînés que, contrairement aux idées préconçues, le désir ne se dissipe pas avec l’âge, bien au contraire. J’ai appris qu’il est possible de s’aimer et de s’accepter radicalement, d’embrasser chaque moment, d’être heureux, serein, épanoui, etc. Il est aussi possible de se réinventer, d’apprendre de nouvelles choses, de retourner aux études, de s’impliquer dans la communauté, de transmettre… Tout cela me permet d’envisager ma propre vieillesse avec beaucoup d’enthousiasme !

Arianne Clément

Vous avez également photographié votre grand-mère. Quel rôle celle-ci a-t-elle eu dans votre rapport à la vieillesse ? Comment votre relation a-t-elle joué sur votre démarche ?

J’aimerais vous parler de feu ma grand-mère Perle que je n’ai jamais eu la chance de photographier et de qui il n’existe à peu près aucune photo. En grandissant, j’étais très proche de Perle qui ne voulait pas être photographiée pour la simple raison qu’elle se trouvait trop laide et vieille (elle qui était pourtant si belle).

Nous n’avions catégoriquement pas le droit de la prendre en photo sous peine d’être sévèrement grondés. Je crois que ce fait n’est pas anodin et qu’il a fait germer un début de réflexion sur le rapport à l’image et à la vieillesse.

Dans tous les cas, le fait d’avoir eu une grand-mère présente, aimante, dévouée et généreuse a certainement favorisé le rapport positif que j’ai toujours entretenu avec les personnes âgées. J’ai aussi photographié quelques fois ma grand-mère Maryette qui est toujours vivante et je peux dire que le fait même de la photographier et de l’impliquer dans mes projets nous a beaucoup rapprochées.

Arianne Clément

Pensez-vous dédier une série plus intime aux personnes âgées de votre cercle proche, telle que votre grand-mère ? Quels sont vos (autres) projets en cours ?

Pour le moment, ma série sur l’intimité est terminée. Je travaille sur la mise sur pied d’une exposition extérieure à Upton au Québec qui porte sur la longévité dans les cinq zones bleues où j’ai eu la chance d’aller à la rencontre des gens. En parallèle, je me consacre à un reportage plus politique sur un groupe d’aînés marginalisés de Montréal. En plus de l’aspect documentaire du projet, j’explore la photo conceptuelle et expérimentale, et le photovoice. À suivre !

Arianne Clément

Vous pouvez découvrir l’intégralité du travail photographique d’Arianne Clément sur son site Internet et sur son compte Instagram.

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  1. Les photos de la coquette Marie-Berthe, mère de mon beau-frère m’éblouissent depuis que je les connais. Je suis encore et toujours envoûtée par leur réalisme et la Confiance qu’elle a accepté de vous donner Arianne. Merci pour ce travail de reconnaissance envers le « grand âge ».
    Il m’est arrivé de voir l’exposition de vos photos dans un village des Cantons de l’Est au Québec et d’apprécier leurs immenses dimensions qui obligent à reconsidérer la beauté et la vieillesse.
    De mon coté et face à mon propre âge avancé, j’ai choisi l’écriture pour donner du sens au temps qui me reste et remercier la Vie de ce qu’elle m’a apprise. Vous trouverez quelques histoires sur ma page « Les Magies de la Vie »