© The Estate of Jo Spence - Courtesy Richard Saltoun Gallery London/Rome

Le plaisir du texte au Musée des Beaux-Arts du Locle : une exploration de notre rapport aux mots

Le Musée des Beaux-Arts du Locle présente une grande exposition collective qui rassemble plus d’une trentaine d’univers artistiques autour de la relation entre les images et les mots dans l’art. Le plaisir du texte est une invitation à se questionner sur notre rapport aux mots, sur la place qu’ils prennent dans nos vies et sur les enjeux sociétaux qui y sont liés. C’est pourquoi le Musée des Beaux-Arts du Locle a eu à cœur de faire dialoguer sa riche collection permanente avec des œuvres plus contemporaines ; l’occasion également de retracer historiquement cette thématique.

Le plaisir du texte au Musée des Beaux-Arts du Locle : une exploration de notre rapport aux mots
Sara Knelman, Sans titre (sans date) [Photographie de presse]. Lady Readers, collection de Sara Knelman. © Collection Sara Knelman

Plaisir du texte : pour qui ?

À quoi pense celui ou celle qui lit ? Face aux flux continus d’images qu’on nous assène dans nos quotidiens, quelle place prennent désormais les mots ? Sont-ils voués à disparaître ? C’est à ces questions que l’exposition collective du MBAL essaie de répondre avec sa sélection généreuse d’œuvres des dernières décennies.

Au milieu des peintures, des sculptures et des vidéos, des photographies émergent, comme autant de tentatives de représenter la lecture et son plaisir par l’image. Cela débute par une photographie mythique de l’anglaise Jo Spence, une mise en scène burlesque où elle pose, habillée en ouvrière, avec un livre de Freud sur la sexualité entre les mains. Une entrée en matière immédiate : l’image comme un moyen de s’interroger sur les codes et les représentations classiques, une façon d’exposer et de questionner, par le ridicule, ses propres contradictions.

Le plaisir du texte au Musée des Beaux-Arts du Locle : une exploration de notre rapport aux mots
Jo Spence, Remodelling Photo History: Revisualisation, 1981-82. Collaboration avec Terry Dennett. © The Estate of Jo Spence – Courtesy Richard Saltoun Gallery London/Rome

Qui a accès à la littérature et à sa lecture ? Au début des années 1980, peut-on imaginer une ouvrière lire Freud pendant sa pause ? Quelques années auparavant, Ketty La Rocca propose une autre mise en scène : allongée dans son lit avec, pour compagnon, la lettre J. Le regard est perplexe, interrogateur. Qui est ce J qui m’accompagne ? Le « Je » comme une tentative d’une expression de soi ? Le « Jeu » auquel je m’adonne ? Sur la photo, « con inquietudine » est écrit au stylo, qui pourrait se traduire en français par « avec inquiétude », en encore « avec angoisse ».

Oui, si la lecture peut provoquer un réel plaisir, intellectuel voire physique, ce plaisir peut aller de pair avec une certaine anxiété lorsque, par sa force d’évocation, l’écrivain nous fait vivre des sentiments intenses, nous remémore malgré nous des souvenirs qu’on pensait enfouis.

Le plaisir du texte au Musée des Beaux-Arts du Locle : une exploration de notre rapport aux mots
Ketty La Rocca (1971) Con inquietudine [Tirage gélatino-argentique avec stylo-feutre] © The Estate of Ketty La Rocca/Michelangelo Vasta

Le plaisir du texte, c’est ce moment où mon corps va suivre ses propres idées — car mon corps n’a pas les mêmes idées que moi.

Roland Barthes, Le plaisir du texte
Massaro, Bellezza Infinita in “izionario Vol.1”, Milano, 2023. © Massaro

Un livre et son histoire

L’exposition se clôt par le travail de Chloe Dewe Mathews, un projet qui s’est attaché à retracer photographiquement l’histoire de l’écriture d’un livre – et pas n’importe lequel : Frankenstein, de Marey Shelley. Marey Shelley a écrit la première version de Frankenstein en 1818 lorsqu’elle était bloquée dans les Alpes suisses pour des raisons météorologiques.

La série photographique de Chloe Dewe Matthews juxtapose des images de montagnes enneigées, éthérées et douces, et d’autres images plus inquiétantes de bunkers souterrains construits dans les années 1960 dans l’idée de protéger la population suisse en cas d’attaque nucléaire. D’une certaine manière, la boucle est bouclée : 200 ans après l’écriture de Frankeinstein qui concentrait alors toutes les inquiétudes socioécologiques de Marey Shelley, en photographiant les glaciers en train de fondre et ces souterrains désaffectés, Chloe Dewe Matthews explore les angoisses contemporaines liées au réchauffement climatique et aux tensions diplomatiques qui semblent ne jamais cesser.

Il va sans dire que les photographies s’inscrivent dans le cadre de cette exposition davantage par le propos et le fond qu’elles soutiennent que la forme ou une recherche esthétique. Elles permettent de créer des liens, des ponts entre les différentes œuvres qui les entourent, de varier les médiums pour plus de diversité au sein d’une exposition riche et complète. Il n’empêche que, à l’instar des autres institutions artistiques similaires, le Musée des Beaux-Arts du Locle fait entrer la pratique photographique par la grande porte pour la placer au rang des beaux-arts, digne et analogue aux autres pratiques artistiques.

Melissa Catanese, Montage with eyes, Voyagers, 2023. ©Melissa Catanese

Le plaisir du texte est à retrouver au Musée des Beaux-Arts du Locle du 25 mars au 19 septembre 2023. L’exposition donne également lieu à la publication d’un ouvrage collectif sous la direction de Fereica Chiocchetti : L* plaisir du texte, aux éditions Musée des beaux-arts Le Locle, au tarif de 20 euros (en vente au musée et sur demande).

Informations pratiques :
Le plaisir du texte
Musée des Beaux-Arts du Locle, Suisse
Du 25 mars au 19 septembre 2023
Marie-Anne Calame 6, CH-2400 Le Locle
Du mercredi au dimanche de 11h à 17h
Tarif plein : CHF. 8.-, Tarif réduit : CHF. 5.-
Gratuit les premiers dimanches du mois, pour les moins de 26 ans et les étudiants en art.

L* plaisir du texte, éditions Musée des beaux-arts Le Locle