Toute la beauté et le sang versé : la photographe Nan Goldin au cœur d’un film documentaire engagé

La photographie est statique, fige le temps. Placée au centre du féroce documentaire de la réalisatrice Laura Poitras elle n’en devient que plus puissante. En salle à partir du 15 mars, le film Toute la Beauté et le Sang Versé revient sur la vie et l’engagement de la photographe militante Nan Goldin.

Toute la Beauté et le Sang Versé : la photographie pour vérité

Le documentaire, scindé en chapitres titrés comme un conte noir, tisse deux récits subtilement entremêlés. Un portrait personnel de la photographe, de sa famille et ses amis revenant sur sa pratique photographique dans le New York underground des années 80 puis son combat plus récent contre une famille d’industriels pharmaceutiques

TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ de Laura Poitras - Bande-annonce - au cinéma le 15 mars

Toute la Beauté et le Sang Versé est en quelque sorte une mise en abîme. Ce portrait consacré à Nan Goldin (sans pour autant placer dans l’ombre les proches et militants qui l’accompagnent) place devant la caméra celle qui se tient constamment derrière l’objectif.

Si la photographe américaine a été l’une des premières artistes à « simplement » montrer sa vie et celle de ses amis sur la pellicule, elle se met à nu d’une manière plus pure que jamais. Nan Goldin se confie sur la perte de sa sœur, son overdose ou la violence de son ex-compagnon.

Montrées sous la forme de diaporama, incluant des extraits de sa série phare The Ballad of Sexual Dependency, les photographies de Nan Goldin ont fait de sa vie et de celles de ses proches marginalisés, drag-queens, homosexuels, rebelles ou drogués, la matière brute de son art. Nan Goldin a fait regarder droit dans les yeux à l’Amérique puritaine et conservatrice ce et ceux qu’elle ne voulait pas voir.

Également présentées sous leurs formes originelles de diaporama dans le documentaire, les photographies de Nan Goldin ont permis d’interroger la normalité, de redéfinir la notion de genre et de redonner leur humanité aux êtres tenus en marge de la société.

Documenter sa vie, immortaliser celles et ceux qui l’entourent a été pour Nan Goldin une manière de trouver sa voix, de préserver une trace de la réalité, de sa vérité. Une vérité trop niée par son histoire familiale. La photographie ne triche pas, elle.

L’Art pour seule arme

500 000 : ce nombre vertigineux n’est autre que l’inexorable décompte des victimes de la crise des opioïdes aux États-Unis. Une hécatombe d’overdoses et décès qui touche autant les consommateurs de drogue qu’une population rendue accro par une prescription médicale. Mars 2022 enregistrera un triste record aux États-Unis avec 109 000 victimes.

Fondatrice de P.A.I.N (Prescription Addiction Intervention Now), Nan Goldin se bat depuis des années contre les ravages de l’OxyContin dont elle-même a été rendue accro à la suite d’une opération chirurgicale. Le documentaire met en parallèle la crise actuelle avec la crise et les ravages du sida.

Artistes et militants ont rejoint Nan Goldin dans son combat vindicatif contre la famille Sackler. Des milliardaires à la tête des laboratoires ayant massivement inondé le marché américain avec leurs antalgiques en encourageant la libéralisation des prescriptions de ces opioïdes fortement addictifs.

Sous couvert de riches donations aux musées et universités, financées par cet « argent du sang », la famille Sackler a préservé son image de généreux mécène. Le documentaire nous invite au cœur des happenings menés par Nan Goldin et P.A.I.N au Metropolitan Museum of Art, au Guggenheim et au Louvre.

Alerter l’opinion, les médias et les institutions culturelles grâce à la performance artistique, parvenir au refus des dons puis à l’effacement du nom des Sackler : voilà le combat que la photographe a mené avec une rage sourde. Ce combat inégal, mené dans la douleur et la peur, a trouvé un dénouement proche de l’apaisement pour les militants et les victimes. Preuve une fois de plus du pouvoir de l’Art contre la noirceur.

Le documentaire à l’ambiance musicale tout aussi soignée que les images a été honoré en 2022 d’un Lion d’Or à la 79e édition du festival de Venise. Récompensé de nombreux prix, il a également reçu une nomination aux oscars 2023 dans la catégorie meilleur documentaire.

Toute la Beauté et le Sang Versé (1 h 57), réalisé par Laura Poitras, photographie et diaporamas de Nan Goldin, sera diffusé en salle de cinéma à partir du 15 mars. Dates et projections disponibles sur Allociné.

Retrouvez également une interview de la réalisatrice Laura Poitras sur France Inter.