Willy Ronis (1910-2009) est l’une des grandes figures de la photographie humaniste en France, aux côtés des non moins célèbres Robert Doisneau, Edouard Boubat, ou encore Sabine Weiss. Lauréat du Grand Prix national de la photographie en 1979 et du Prix Nadar en 1981, il a dédié sa vie à la photographie de rue. Il laisse ainsi derrière lui une archive foisonnante des tumultes de toute une époque.
Sommaire
Pour une poésie de la rue
Né le 14 août 1910 au cœur de la capitale française, dans le 9e arrondissement, Willy Ronis fait ses premiers pas en photographie dès ses 18 ans. Il se destine alors à la musique, et la photographie n’est pas encore sa vocation première. Pourtant, son talent est déjà notable. Il révèle par ses clichés la réalité quotidienne des habitants de Paris. De la cité Jeanne d’Arc (Paris 13e) aux rues éparses de Ménilmontant, les classes ouvrières deviennent peu à peu les protagonistes de ses récits photographiques.
Après la mort de son père en juin 1936, Willy Ronis se lance comme reporter-photographe indépendant. Sans attendre, il se rend Place de la Bastille, pour la victoire du Front populaire, le 14 juillet 1936. Le photographe repère dans la foule de militants une enfant le poing levé sur les épaules de son père : elle deviendra le sujet d’une de ses photographies iconiques.
Des grèves chez Citroën aux défilés communistes, en passant par les fêtes de l’Humanité, le photographe ne perd pas une occasion de documenter les manifestations et les mouvements sociaux. Ayant travaillé plusieurs années dans le studio photographique de son père, il allie compétences techniques aiguisées et vision artistique singulière, et ses clichés font très vite fureur.
Il mène de front les commandes issues de différentes revues et ses projets personnels. Observateur participant, Willy Ronis ne se contente pas d’un regard posé sur les évènements : il fait corps avec les personnages qu’il dresse comme des héros de leur époque. Ses photographies composent un portrait intime et profond de la société et d’alors. L’ordinaire devient spectaculaire. On y voit le quotidien des prolétaires de l’époque, et les grands moments qui ponctuent leurs parcours. Des trajectoires de vie complexes, des journées sans le sou, mais pleines d’espoir, de force et de ferveur.
Après la persécution, une liberté retrouvée
La Seconde Guerre mondiale est une dure période pour Willy Ronis. Comme de nombreux juifs, il est contraint de se réfugier en zone libre pour ne pas porter l’étoile jaune. Il a alors peu de ressources et se réfugie où il peut, tandis que nombre de ses proches comme sa propre mère sont astreints à la persécution.
Après cette triste période, la Libération confère une nouvelle aura aux œuvres de Ronis qui redonnent le sourire à un peuple traumatisé.
En France comme à l’étranger, il est rapidement au centre de multiples expositions et publications. Le grand livre Belleville-Ménilmontant, qui rend hommage à ce quartier où il déambule fréquemment, sort en 1954 et consacre son travail. Il figure également dans The Family of Man, la grande exposition itinérante d’Edward Steichen en 1955, qui célèbre l’universalité des émotions et des expériences humaines.
Une composition rigoureuse pour des sujets du quotidien
Willy Ronis se définit dès ses débuts comme un artiste. Ce discours tranche avec celui des autres photographes de son époque qui ont tendance à percevoir la photographie comme une technique, un instrument d’information, et non une forme d’art à part entière. Les noirs et blancs de Ronis font état d’un travail rigoureux et précis sur la lumière, et d’une connaissance ample des autres formes d’art. Il souhaite mettre en valeur par ses images les luttes du quotidien, les petits métiers, les ouvriers à l’usine, les couples, la jeunesse, de manière simple, mais digne.
Ses photographies les plus célèbres deviennent iconiques pour toute une génération dont l’engagement politique explose au moment de l’Après-Guerre. Des syndicalistes des usines Citroën-Javel au couple d’amoureux sur la colonne de Juillet Place de la Bastille, en passant par le très célèbre petit garçon rieur qui court avec une baguette de pain sous le bras, Willy Ronis nous fait revivre un Paris fait de choses et de gens simples, mais aussi de luttes. Ces photos apparaissent à nos yeux comme des signaux d’alarme dans un centre parisien aujourd’hui inaccessible pour une grande partie du peuple.
Les jeux de lumière accentués par le noir et blanc, et la manière qu’a Ronis de figer des mouvements puissants nous permettent d’appréhender tous les contrastes de son époque. Une période où la violence de la guerre règne encore comme un spectre sur les jeunes et leurs familles, mais qui est aussi marquée par une liberté retrouvée, un optimisme sans limite quant à l’avenir.
Les années Regards
Le moyen principal de diffusion des œuvres de Ronis est la presse. Il fournit ses œuvres principalement au magazine communiste Regards. Il se méfie des autres revues, après une mauvaise expérience avec le New York Magazine qui avait remanié une de ses images pour servir une critique du syndicalisme. Willy Ronis renonce d’ailleurs à travailler pour le prestigieux magazine américain Life, car il veut garder le plein contrôle sur la portée politique de son art. En pleine Guerre froide, les oppositions politiques sont exacerbées, et Willy Ronis, entier et droit dans son engagement, quitte momentanément son agence, Rapho. Il souhaite maitriser ses images et leur diffusion, et n’accepte plus les moindres retouches.
Willy Ronis est en effet socialement et politiquement très engagé, et il le transmet à travers ses images, en chasse libre ou en reportage. Nombreuses sont ses photographies sur le monde du travail et les luttes ouvrières. Inscrit au parti Communiste, il aura sa carte de 1945 à 1965, et l’importance qu’il confère à l’État l’amènera à lui dédier plus tard toute son œuvre.
L’éclipse et le grand retour
Seules les années 1970 font état d’un vide dans le rayonnement de Willy Ronis, qui semble alors substitué par une nouvelle vague de photographes. L’idéalisme et l’optimisme de la photographie humaniste entrent en décalage avec les cris révoltés d’une jeune génération issue du Baby-Boom et avide de réponses plus que de messages d’espoir.
Il faudra attendre les années 1980 pour voir l’œuvre de Ronis revenir sur le devant de la scène. De nombreux livres, supports, cartes postales, posters sortent sur l’oeuvre complète de Ronis, et l’engouement pour ses travaux est très important. Mais l’inquiétude de Ronis est celle d’une vision caricaturale de son œuvre, parfois perçue simplement comme une ode à la vie parisienne, alors qu’il tentait au contraire d’en révéler les contrastes.
La grande rétrospective du Palais de Tokyo en 1985 remettra à l’honneur l’engagement politique et social de Willy Ronis, en célébrant notamment sa donation de l’ensemble de ses ouvrages à l’État français en 1983, qu’il renouvèlera et complètera ensuite en 1989.
L’art comme domaine public
Cette donation s’inscrit dans la lignée de celle de Jacques-Henri Lartigue (1979) ou encore d’André Kertész (1984). Ces gestes révèlent la volonté de promouvoir l’art et la connaissance comme des domaines publics et accessibles à tous : des problématiques qui sont encore aujourd’hui au cœur des réflexions.
Par ailleurs, une grande rétrospective à l’Hôtel de Ville est organisée en 2005 et perpétue la consécration de l’artiste. Elle attirera plus de 500 000 visiteurs, avides de ces clichés hors temps célébrant la Ville lumière non pas dans son côté spectaculaire, mais dans toute sa banalité radieuse. Gratuite et en libre accès, l’exposition respecte pleinement les volontés de l’artiste d’un art pour tous.
Ayant cessé son activité en 2001, Ronis observe avec affection l’engouement que provoque son travail sur les nouvelles générations. Il est toujours un commentateur aguerri de la politique et de la société sous tous ses aspects, mais il ne la capture plus. Il a laissé l’objectif à d’autres regards, et trône en maître sur la photographie humaniste avec une imperturbable humilité.
Les derniers instants
En 2009, les Rencontres photographiques d’Arles mettent son travail à l’honneur. Willy Ronis s’y déplace, en chaise roulante, pour raconter les anecdotes, les parcours de vie, les rencontres capturées dans ses clichés.
Dans son testament, écrit en 2006, il lègue les derniers éléments de ses collections à l’Etat.
Il insiste sur l’importance de l’unité dans ses archives : négatifs, planches contacts, tirages, correspondances, notes, projets d’expositions et de livres, objets personnels doivent former un ensemble cohérent afin de contextualiser les lieux et les personnes photographiées, leurs parcours et leurs histoires.
Willy Ronis meurt quelques années après, le 11 septembre 2009, dans son cher 20e arrondissement à Paris. À 99 ans, quinze ans après Robert Doisneau, il tourne ainsi la page de la photographie dite humaniste, un courant très riche dont faisait également partie Edouard Boubat, Sabine Weiss ou encore Janine Niépce.
Willy Ronis était issu des classes populaires, et sa connivence avec les personnes photographiées transperce encore ses clichés. Ses parents étaient des juifs d’Europe de l’Est qui avaient fui les pogroms., et qui ont cherché à Paris un refuge cosmopolite. Son regard optimiste sur le monde tranche avec la violence de la persécution que lui et ses proches ont dû subir pendant la Grande Guerre. Mais Willy Ronis fait vivre, encore aujourd’hui, la beauté de l’ordinaire et du banal, et le spectaculaire des luttes qui visent à renverser une réalité oppressante.
Un détour par Vannes jusqu’au 5 mars 2023
Le travail intemporel de Ronis est l’objet d’une exposition à Vannes du 10 décembre 2022 au 5 mars 2023, dans le cadre de la programmation annuelle du Kiosque. Portée par la Ville de Vannes, l’exposition invite à découvrir la vie et le travail complet du photographe, dans un lieu qui promeut l’accessibilité de l’art.
Dédié à la photographie, et situé sur l’Esplanade Simone Veil dans le centre de Vannes, le Kiosque conjugue visibilité dans l’espace public et portage institutionnel, deux éléments dont Willy Ronis se serait certainement réjoui.
Informations pratiques :
Willy Ronis par Willy Ronis
Le Kiosque, Ville de Vannes
Du 10 décembre 2022 au 5 mars 2023
Esplanade Simone-Veil, rive droite du port, 56 000 Vannes
Tous les jours de 10h à 13h et de 14h à 18h
Entrée libre et gratuite