© Sam Shere

Le dessous des images : la catastrophe aérienne du Hindenburg de 1937

Dans la série Le dessous des images, nous souhaitons raconter l’histoire qui se cache derrière certaines photos ou images emblématiques, connues ou moins connues, qui ont marqué notre société ou notre regard sur le monde.

La photographie du LZ 129 Hindenburg en flammes, signée par Sam Shere en 1937, est une image iconique dans l’histoire de la photographie. Cet article s’intéresse à sa genèse, et à l’histoire qu’elle raconte, autant sur le photographe que sur la société d’alors.

 Hindenburg
La catastrophe du Hinderburg. 6 mai 1937. Dirigeable allemand LZ 129 photographié par Sam Shere à Lakehurst Naval Air Station. © Sam Shere

Retour sur les débuts de l’Hindenburg: un faire-valoir de l’Allemagne nazie

Le LZ 129 Hindenburg, construit par l’entreprise allemande Luftschiffbau Zeppelin entre 1933 et 1936, était un dirigeable à usage civil et commercial affecté sur une ligne régulière Europe-États-Unis.

Dans les années 1910-1920, la Luftschiffbau Zeppelin fabrique un certain nombre de dirigeables à usage civil, mais aussi militaire. Dès 1933, avec la montée du nazisme, les dirigeables seront utilisés à des fins de propagande.

Le LZ 129 Hindenburg est le plus grand dirigeable de l’époque et ses moteurs Daimler-Benz sont très puissants. L’engin couvre de manière inédite la liaison transatlantique. En l’exposant aux yeux du monde notamment à travers les médias, la société Luftschiffbau Zeppelin tend à promouvoir les avancées technologiques de l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler. Le dirigeable est d’ailleurs largement utilisé lors des Jeux Olympiques de Berlin en 1936.

Stade Olympique de Berlin, le 4 août 1936, vu depuis l’Hindenburg’. Le Miroir des Sports / domaine public.

L’appareil portait le nom d’Hindenburg en hommage au chancelier allemand qui avait précédé Hitler, mais on l’appelait également « le Titanic des airs » car il mesurait 250 m de long (l’équivalent de trois Boeing 747 alignés).

Comme le paquebot transatlantique britannique dont le naufrage dans l’océan Atlantique Nord en 1912 avait marqué les consciences, l’Hindenburg connaîtra tout à la fois une période de grand succès et une fin tragique. Mais à la différence du premier dont le naufrage n’a pas scellé le sort des traversée transatlantiques, la déchéance du LZ 129 Hindenburg mettra fin à la période des vols par dirigeables.

Vue de la nacelle du Hindenburg lors de son premier atterrissage aux États-Unis, à Lakehurst Naval Air Station, le 9 mai 1936. Associated Press / domaine public

Le grand crash

Le vol d’inauguration du LZ 129 Hindenburg a lieu le 4 mars 1936 à Friedrichshafen en Allemagne. Il fonctionne durant 14 mois sans incidents, et effectue plusieurs vols promotionnels.

Le ballon dirigeable avait été initialement conçu pour être gonflé à l’hélium. Mais ce gaz, était essentiellement produit aux États-Unis, qui restreint les ventes à l’Allemagne. La compagnie Zeppelin avait donc choisi l’hydrogène pour la sustentation de l’aéronef, plus économique, mais aussi plus dangereux.

Le Hindenburg survolant New-York l’après-midi du 6 mai 1937, quelques heures à peine avant son embrasement. Associated Press / domaine public

C’est lors de son atterrissage à Lakehurst, dans le New Jersey (à 80 km de New-York), le 6 mai 1937, que se produit l’irréparable. Après un vol sans histoire, le dirigeable est retardé par un orage sur la côte américaine. Le dirigeable s’approche doucement de son mât d’amarrage ; mais à l’arrière de l’enveloppe, une fuite d’hydrogène non-détectée par l’équipage (le gaz étant incolore et inodore) forme une poche hautement inflammable.

Soudain, une gerbe de flammes, vraisemblablement provoquée par le contact d’un câble d’amarrage avec le sol, jaillit à l’arrière du dirigeable et provoque l’explosion de l’hydrogène de l’enveloppe. En quelques secondes, le Hindenburg s’embrase et s’écrase au sol, formant un gigantesque brasier s’élevant de la carcasse difforme de l’aéronef.

Ce crash semble annoncer l’apocalypse dans laquelle s’apprête à entrer l’Europe. Les passagers décédés sont les premiers martyrs d’une propagande nazie ravageuse, qui emportera le vieux continent dans ses pires abysses.

L’Allemagne Nazie, affaiblie par cet échec, se servira de l’évènement et du manque d’explication scientifique pour servir ses pires théories du complot, et alimenter l’antisémitisme dans le pays, sous l’impulsion hitlérienne.

Immortaliser l’irréparable

La destruction du LZ 129 Hindenburg est un événement médiatisé dans le monde entier. L’appareil, qui parvenait à traverser l’Atlantique, avec une vitesse de 100 à 150 km/h selon les vents et un temps de trajet d’environ trois jours, était un moyen de transport réservé aux plus fortunés et aux célébrités.

La presse était donc massivement présente lors de son crash, et les images ont fusé, mais le cliché qui est resté pour toujours dans les archives est celui du photojournaliste Sam Shere. Le soir du 6 mai 1937, il attend sous la pluie depuis plusieurs heures avec une vingtaine d’autres journalistes et de photographes, chargés de tirer le portrait des élites débarquant du dirigeable. Miraculeusement, les 2/3 des passagers survivent au crash, se trouvant dans la nacelle pour observer l’amarrage du dirigeable lorsque son enveloppe s’est embrasée. En revanche, le bilan est considérablement plus lourd du côté de l’équipage.

Sur 97 personnes à bord (61 membres d’équipage, 36 passagers), l’accident cause la mort de 36 personnes : 22 membres d’équipage (dont le capitaine, Ernst Lehmann), un membre du personnel au sol et 13 passagers.

Publiée à la Une du New York Times, l’image choc de Sam Shere incarne ce moment historique qui mettra fin à l’ère du transport transatlantique par ballons dirigeables. Sam Shere travaillait alors pour l’International News Photo, et couvrait des évènements à teneur souvent géopolitique, comme l’invasion de la Sicile pendant la Seconde Guerre mondiale. L’image du crash de l’Hindenburg révolutionnera sa carrière et lui vaudra le prix de l’éditeur de la meilleure photo d’actualité en 1937, l’année de ses 33 ans.

La force de l’image réside dans son aspect irréel. Elle provoque le même effet que les clichés de la collusion des tours jumelles du World Trade Center de New-York frappées par deux des quatre avions détournés par Al-Qaïda près de 60 ans plus tard, le 11 septembre 2001.

De la même manière, même s’il s’agit d’un accident, le crash du LZ 129 Hindenburg semble être une vision d’horreur illusoire. Aujourd’hui, cette tragédie représente la première véritable catastrophe aérienne à avoir marqué les esprits. Pourtant, le crash du Hindenburg est loin d’être le premier ou le plus important dans l’Histoire – et encore moins de celle des dirigeables. En 1930, le R101 cause la mort de 48 personnes au-dessus de Beauvais ; en 1933, l’écrasement de l’Akron avait fait deux fois plus de victimes que le Hindenburg.

La présence de nombreux photographes et de caméras de cinéma crée une situation paradoxale, lui donnant une importance considérable, voire démesurée par rapport au bilans humain d’autres catastrophes où moins d’images sont produites.

"Hindenburg" Disaster Film
Le crash du Hindenburg immortalisé par l’une des caméras de cinéma présentes ce soir-là. Le commentaire radiophonique de Herb Morrison (« Oh, the Humanity ») sont restés célèbres.

De l’Histoire au 45 tours

En 1969, le cliché sort de l’archive historique et médiatique pour devenir un tout autre symbole. Cette année-là, le groupe de rock Led Zeppelin, signé par le label Atlantic et faisant suite au groupe New Yarbirds, fait appel au graphiste George Hardie pour la couverture de son premier disque Led Zeppelin. Ce dernier utilisera la technique du pointillisme pour recréer les formes de la photographie d’origine à travers ses ombres et lumières. La photographie iconique deviendra ainsi, malgré les controverses, l’identité visuelle des débuts de Led Zeppelin.

Sam Shere, à propos de sa photographie, racontait dans le magazine Art Voices/South en 1980 : « Il me restait deux prises de vue dans mon appareil Speed Graphic et je n’ai même pas eu le temps de le porter à mes yeux. J’ai déclenché au niveau de ma taille. Tout s’est passé si vite que c’était la seule chose à faire ». L’auteur ajoutais qu’il avait été « au bon endroit au bon moment », au milieu de nombreux autres photographes voire de compagnies cinématographiques (Pathé, Universal, Paramount) ayant capturé des images selon lui similaires aux siennes.

Et pourtant, c’est par ce geste spontané, presque inconscient et automatique, que l’Histoire reste, grâce à une image parmi tant d’autres. La diffusion médiatique du crash de l’Hindenburg et de son image dépasse de loin l’ampleur des dégâts matériels et humains de l’évènement.

Cet aspect atemporel de la photographie permet sa réinvention et sa réécriture artistique, comme dans le cas des membres de Led Zeppelin qui, entre les mains de George Hardie, ont choisi de donner une nouvelle teneur à une image sur-médiatisée.

Merci à Franck Mée pour les précisions techniques apportées à cet article.

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  1. Je pense que le ZEPPELIN devait plutot etre le TITANIC DES AIRS
    et non Titanic des MERS comme ecrit dans ce bon reportage.
    Cordialement