Table de travail "fantômes", rue du Moulin-Vert, n.d. © Hervé Guibert, Christine Guibert/Courtesy les Douches la Galerie

Hervé Guibert, photographe fantôme

Les éditions Créaphis publient un ouvrage édifiant sur Hervé Guibert, un recueil d’articles critiques qui entrent en dialogue avec une personnalité pour qui la photographie a toujours été au centre. Dans ce format poche économique sont reproduites quelques-unes de ses images, sans doute les plus marquantes – ou les plus significatives pour comprendre son œuvre.

Hervé Guibert © Christine Guibert

Si Hervé Guibert et connu et reconnu pour son travail d’écriture, son travail photographique reste la plupart du temps réservé à quelques amateurs, experts, ou aficionados. En 2011, pourtant la Maison Européenne de la Photographie (MEP) avait organisé une première grande rétrospective avec quelque 230 tirages et un ouvrage publié aux éditions Gallimard. Quelques-unes de ses photographies avaient également été déterrées par la MEP dans le cadre de leur exposition « Love Songs, photographies de l’intime ».

La photographie et le travail

Hervé Guibert n’a eu de cesse d’écrire sur la photographie. Journaliste culturel dans la rubrique photo (ses articles ont été publiés dans La Photo, inéluctablement puis dans Articles intrépides 1977-1985), le huitième art prend également une grande place dans son œuvre littéraire, jusqu’à y consacrer un livre à part entière aux éditions de Minuit : L’image fantôme (1981). Les notions de visible et d’invisible se confrontent, la capacité qu’a la photographie de faire fiction et son travail d’écrivain…

Hervé Guibert © Christine Guibert

En 1985, il publie Des aveugles, résultat d’une enquête, ou plutôt d’une investigation, d’une interrogation sur la cécité, la capacité de voir, l’aveuglement. Dans ses livres, Guibert écrit l’image, ce qu’il nomme des « fantasmes de photographies », des prises de vue qu’il n’a pas pu faire parce qu’il était absent, pas assez réactif, ou simplement parce que l’image appartient au registre de l’invention, de la fiction, d’une vision.

Table de travail « fantômes », rue du Moulin-Vert, n.d. © Hervé Guibert, Christine Guibert/Courtesy les Douches la Galerie

« L’envers du visible », le titre choisi par les éditions Créaphis, semble prendre tout son sens. Il s’impose comme une évidence : Hervé Guibert ne montre pas les choses telles qu’elles sont, il les enveloppe, créé un cadre ou une mise en scène, un voile. Il ne cherche pas le réalisme mais bel est bien sa transfiguration pour mieux évoquer un moment, une sensation, un sentiment. Noir et blanc, focale fixe… malgré l’éparpillement géographique et temporel de ses photographies, un corpus se crée, singulier, où on peut reconnaître aisément çà-et-là, à travers les portraits, autoportraits ou prises de vue de son bureau ou d’objets, les thématiques qui ont traversé sa vie et son œuvre.

La photographie est aussi une pratique très amoureuse.

Hervé Guibert, L’image fantôme
Vincent, main torse, 1985-1986 © Hervé Guibert, Christine Guibert/Courtesy les Douches la Galerie

En 1995, les éditions Actes Sud publiaient dans une édition posthume des lettres d’Hervé Guibert accompagnées des photographies d’Hans Georg Berger : Lettres d’Égypte. Si la confrontation texte-image est récurrente dans l’œuvre de Guibert – son livre Suzanne et Louise se revendique comme « roman-photo », Vice également oppose image et texte –, ici son regard s’efface pour laisser la place aux lettres qu’il écrit à ses amis et à ses amants, et aux photographies de voyage d’Hans Georg Berger. Autant en littérature qu’en photographie, Hervé Guibert a cherché à produire du visible, sans que l’un des deux médiums limite l’autre, au contraire ; l’écrit et l’image s’autoalimentent, s’amplifient et se soutiennent.

Corps désiré, corps photographié

Le portrait prend une place prépondérante dans l’œuvre d’Hervé Guibert, et en premier lieu, le portrait amoureux – bien qu’il ait pu photographier nombreux de ses amis, dont Mathieu Lindon et Isabelle Adjani. Avec Vincent, Thierry est sans doute l’amant qu’il a le plus pris en photo ; une vingtaine de photographies sont publiées, prises entre 1976 et 1984. Photographier chez Guibert devient un acte amoureux, une façon de prouver, de manifester son désir.

Thierry dans la baignoire, yeux bandés, Santa Caterina, n.d. © Hervé Guibert, Christine Guibert/Courtesy les Douches la Galerie

Revendiquer son désir, aussi, sans doute : « Le Fiancé » montre Thierry nu sous un voile, placide, et renvoie à l’impossibilité de cette situation, au statut absolument fictionnel de l’image – à qui se destine ce marié ? En créant cette confrontation entre deux signifiants qui s’opposent (le voile et le corps nu), cette photo-fiction semble vouloir exposer l’enjeu du mariage, de ceux à qui il est réservé et, plus généralement, d’un désir jugé légitime ou non.

Le Fiancé I, 1982 © Hervé Guibert, Christine Guibert/Courtesy les Douches la Galerie

Comment voulez-vous parler de photographie sans parler de désir ? Si je masquais mon désir, si je lui ôtais son genre, si je le laissais dans le vague, comme d’autres l’ont fait plus ou moins habilement, j’aurais l’impression d’affaiblir mes récits, de les rendre lâches. Je ne saurais pas vous dire ça plus simplement : l’image est l’essence du désir, et désexualiser l’image, ce serait la réduire à la théorie…

Hervé Guibert, L’image fantôme

Hervé Guibert, l’envers du visible est disponible aux éditions Créaphis au tarif de 13 €, pour 288 pages (dont 26 reproductions noir & blanc) en format poche.