Double autoportrait à la Linhof Paris, 1938 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAJH) dédie ses espaces à une vaste exposition sur Erwin Blumenfeld, jusqu’au 5 mars 2023. On y sillonne l’Histoire à travers près de 180 photographies capturées entre 1930 et 1950. L’exposition intitulée Les tribulations d’Erwin Blumenfeld (1930-1950) rassemble des clichés et des documents mettant à l’honneur le travail fécond du photographe.

Lisa Fonssagrives sur la tour Eiffel, pour Vogue, 1939 © The Estate of Erwin Blumenfeld

Erwin Blumenfeld : une vie ponctuée de bouleversements politiques

La chronologie choisie pour l’exposition rappelle les différentes étapes qui ont amené la France à la collaboration : les gouvernements d’Édouard Daladier et de Paul Reynaud, puis celui de Pétain. On situe la vie d’Erwin Blumenfeld et ses œuvres dans le contexte politique d’alors : d’abord la montée du Nazisme, la Guerre, et puis l’Occupation en France. Ces époques sont ponctuées par des clichés et des évènements personnels dans la vie du photographe.

L’exposition Les tribulations d’Erwin Blumenfeld 1930-1950 met en lumière une existence marquée par la résilience : aux changements politiques, à l’enfermement et à l’exil. Entre Allemagne, Pays-Bas, France et États-Unis, on observe la manière extraordinaire dont l’artiste s’approprie des évènements et obstacles qui s’abattent sur lui pour avancer et créer. À travers la trajectoire individuelle de Blumenfeld, on appréhende une existence violentée mais ininterrompue, contrairement à celles des artistes-martyrs de la Shoah.

Erwin Blumenfeld
Hitler, Grauenfresse (Hitler, gueule de l’horreur) Pays-Bas, 1938 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

Le Dadaïsme et les prémonitions de la guerre

L’exposition revient tout d’abord sur les débuts de l’artiste et son émergence dans le monde de la photographie professionnelle après plusieurs années de clichés amateurs, dont certains sont présentés pour la première fois au MAHJ.  

Dans les années 1930, Erwin Blumenfeld vit à Amsterdam où il travaille dans une maroquinerie. Il propose à ses clientes de tirer leur portrait grâce à un appareil à soufflet, et les développe lui-même dans l’arrière-boutique du magasin. Il se professionnalise peu à peu dans la photographie, et apprend les techniques de capture et de tirage. Mais c’est surtout son entregent aguerri qui va lui permettre d’accéder rapidement au monde de l’art.

Au sortir de la Première Guerre mondiale et à l’aube de la Seconde, Blumenfeld participe avec son ami Paul Citroen au dadaïsme, qui connait alors un grand succès. Lors de la prise de pouvoir d’Hitler dans l’Allemagne déchue de 1933, il réalise des photomontages, des surimpressions et des mises en scènes presque dystopiques autour du dictateur et de sa barbarie mortuaire.

Autoportrait dans le studio de la rue Delambre Paris, 1939 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

Paris : de l’effervescence à la persécution

Erwin Blumenfeld s’installe à Paris en 1936 sous les conseils de son amie Geneviève Rouault, fille du peintre Georges Rouault. Il photographie des monuments comme la cathédrale de Rouen ou Notre-Dame de Paris, des sculptures comme celles d’Henri Matisse, ou encore des objets du nouveau musée de l’Homme inauguré au Trocadéro. Ses clichés sont publiés dans des revues telles que Arts & Métiers graphiques, Verve ou XXe siècle.

Peu à peu, il est emporté par l’effervescence artistique de la capitale et il s’immisce très facilement dans le monde de la mode, avant que les affres de la défaite de 1940 le rattrapent.

Dans la France de l’Occupation, il est rapidement interné avec sa famille en tant qu’« étranger indésirable » dans des camps sur le sol national et au Maroc – alors colonie française. Il parvient après quelques temps à obtenir un Visa pour les États-Unis, où il s’échappera in extremis.

Erwin Blumenfeld
Sans titre (Margarethe von Sievers) Paris, vers 1937 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

New-York et le « Nouveau Monde »

À New-York, Blumenfeld explore et expérimente son art et son inspiration est foisonnante. Après les photomontages de ses débuts, il va se saisir des techniques de la « Nouvelle vision » : la réticulation, la surimpression, les jeux d’optiques, d’ombres et de lumières. Cette grammaire visuelle servira particulièrement ses clichés de mode, et ce notamment avec l’arrivée progressive de la couleur autour de 1940.

Erwin Blumenfeld
Red Cross (Croix rouge), variante d’une photographie pour Vogue US mars 1945 New-York, 1945 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

De plus en plus connu et reconnu dans son domaine, Blumenfeld n’abandonnera pourtant pas l’idée que son art est entaché par les finalités commerciales de ses clients. Il aspire à la liberté de créer sans produire, et poursuit parallèlement des projets personnels, notamment autour du nu féminin – récurrent dans son travail – et du mouvement. Les clichés issus de ses recherches personnelles ont été très peu ou pas exposés jusqu’à maintenant, et le MAHJ en livre une sélection inédite.

Erwin Blumenfeld
Sans titre (Natalia Pascov) New York, 1942 © The Estate of Erwin Blumenfeld 2022

L’exposition du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme retrace différents moments de l’effervescence artistique de Blumenfeld. Elle déploie autant son travail pour des grands magazines de mode tels que le Harper’s Bazaar et Vogue que des reportages aux Saintes-Maries-de-la-Mer et au Nouveau-Mexique.

Le photographe conjugue dès cette époque une reconnaissance dans l’industrie de la mode et dans le milieu de l’art. Son œuvre est frappante pour ses nombreuses références à la littérature, à la sculpture et à la peinture. Blumenfeld était un artiste complet, mais aussi un professionnel des relations, qu’il a su cultiver au profit de l’art et de la photographie.

Informations pratiques :
Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld 1930-1950
Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme
Du 13 octobre 2022 au 5 mars 2023
71, rue du Temple 75003 Paris
Mardi, jeudi, vendredi : 11h-18h / Mercredi : 11h-21h / Week-end : 10h-19h
Plein tarif : 10 € ; tarif réduit : 7 €