Ouvrier et rosace en contre-jour à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Paris, vers 1935. - © Gaston Paris/BHVP/Roger-Viollet

Zoom photographe : Gaston Paris

Photographe et reporter de talent, Gaston Paris (1903-1964) demeure encore largement méconnu. Il a pourtant contribué à la réalisation de nombreux clichés des années 30, qui témoignent de l’effervescence de cette époque charnière. Des spectacles parisiens aux faubourgs populaires, en passant par la soufflerie de Meudon, le photographe jette un regard marqué par les courants modernistes et le surréalistes, mais toujours empreints d’humanité. Les photographies de Gaston Paris font l’objet de deux expositions à Paris, l’une à la galerie Roger-Viollet, l’autre au Centre Pompidou jusqu’à la mi-avril 2022.

Revue du Casino de Paris. Vers 1937-1939. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Gaston Paris, itinéraire d’un photographe oublié

Au registre de la photographie des années 30, l’histoire aura retenu le nom de Roger Schall, Man Ray ou de Dorothea Lange. Celui de Gaston Paris, en revanche, demeure encore dans l’obscurité. Aussi, l’exposition de la galerie Roger-Viollet et celle du Centre Pompidou ont le mérite de réhabiliter la mémoire de cette figure majeure de la scène parisienne des « années folles ».

Né en 1903, il publie ses premiers articles sur les films dans Cinémagazine en 1929. Deux ans plus tard, ses premières photos sont publiées dans Art et médecine. Mais c’est surtout à partir des années 1932-1933 que s’affirme son attrait pour le monde du spectacle, les hommes et les femmes qui le composent. Il publie ses reportages dans le journal La Rampe, ainsi que dans Paris magazine.

Exercices d’assouplissement au studio du gymnase Pons, Pigalle, Paris, 1935. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

En 1933, il devient l’unique reporter salarié du magazine VU, revue incontournable de la période d’avant-guerre, créé par Lucien Vogel et qui s’impose comme le premier véritable magazine d’actualité illustré par le médium photographique. En cinq ans, Gaston Paris y publie ainsi plus de 1300 photos.

En 1937, Gaston Paris rejoint le groupe « Le Rectangle », fondé par Emmanuel Sougez avec le soutien de René Servant et de Pierre Adam dans le but de défendre la spécificité de la photographie française. En parallèle, il débute en 1938 une collaboration avec le magazine Match, qui durera jusqu’en 1940. Pendant l’Occupation, il publie ses reportages dans La Semaine, un journal qui imitera le style de Match (mais avec un choix des sujets plus compatible avec les goûts des autorités de Vichy).

Femmes dans une fête foraine. France, vers 1935. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

En 1944, il photographie la libération de Paris. Un de ses clichés figure d’ailleurs dans l’ouvrage La Libération de Paris de Jacques de Lacretelle. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il accompagne les troupes d’occupation françaises en Allemagne et en Autriche. De retour en France, il illustre l’ouvrage Levée d’écrou de Georges Lupo, en reportage à la prison de Fresnes.

L’après-guerre et les années 50 ouvrent une période plus sombre pour Gaston Paris. De cette époque, de nombreux négatifs témoignent cependant de l’activité du photographe : tournages de films, reportages chez des vedettes du spectacle, illustration de roman-photo.

Cirque. « Les Clerans », duo de trapézistes français, composé de Charlie Gérardin (voltigeur) et Stéphane Hégédus (porteur). France, vers 1936. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Rongé par l’alcoolisme, il s’éteint en 1964 à l’âge de 61 ans. Il ne laisse aucun écrit, aucune note au sujet de ses photos. Après sa mort, une grande partie de son œuvre est dispersée. Seuls ses négatifs sont restés en un ensemble cohérent. Autrefois conservées par sa veuve, ses quelques 15 000 photographies parviennent à l’agence Roger-Viollet par une acquisition en 1964, puis par un don privé en 1983. La galerie réalise un travail de numérisation de ce fonds entre 2013 et 2016, facilitant ainsi sa lecture – et sa redécouverte.

Entre modernisme et surréalisme : Gaston Paris, témoin des transformations et des paradoxes de son époque

Ce qui frappe chez Gaston Paris, c’est son extraordinaire jeu sur la lumière – qu’elle soit naturelle ou artificielle. Grâce à sa formation cinématographique, il sait comment faire poser ses modèles et disposer les éclairages afin de créer cette dimension sculpturale, qui devient en quelque sorte la marque de fabrique de ses clichés. En les éclairant de manière frontale, directe, il modèle les visages et les corps par un subtil jeu d’ombre et de lumière.

Reconstitution d’une scène de meurtre. Composition de Gaston Paris. France, vers 1935. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Ceci se vérifie particulièrement sur ses multiples clichés du monde du spectacle parisien (cabarets, spectacles de variété, fêtes foraines, numéros de cirque…) qu’il photographie dans son intimité jusqu’aux paillettes des représentations. Les postures des trapézistes, lutteurs, danseurs, « filles » des music-halls sont décomposées sous l’œil affûté de Gaston Paris, avec une science du cadrage et de la mise en scène particulièrement précise. Il s’inscrit pleinement dans le courant surréaliste – ce que montrent d’ailleurs ses très nombreux clichés capturés au musée Grévin, lors de la production et de la manipulation des mannequins de cire.

Cirque Bouglione, deux artistes sur le trapèze, vers 1936. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Parallèlement à ce monde en pleine effervescence et aux portraits de célébrités comme Edith Piaf ou Joséphine Baker, il s’attache à montrer une autre facette de ce monde moderne. Préfigurant les œuvres de Brassaï, de Cartier-Bresson ou de Weiss, il livre un éclairage plein d’empathie sur les travailleurs, les pauvres, les gamins des faubourgs, les exilés de la guerre civile espagnole. De l’ouvrier d’un chantier nocturne à celui œuvrant à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en passant par la soufflerie aérodynamique de Chalais-Meudon, Gaston Paris livre une œuvre d’une grande richesse, où l’homme est placé au cœur de sa réalisation, héros du quotidien au milieu d’une machine industrielle infiniment plus grande que lui.

Soufflerie pour les tests d’aviation. Meudon (Hauts-de-Seine), vers 1945. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Cet attrait pour le monde industriel moderne se retrouve également dans ses images de l’Exposition universelle de 1937 ou des navires de guerre français. Dans ces clichés extrêmement cinématographiques, se dessine aussi de manière très forte la course aux armements et les affrontements idéologiques qui mèneront, quelques années après, au conflit mondial. Gaston Paris est donc à la fois photographe en tant qu’artiste et témoin de son époque, de ses évolutions – et de tous ses paradoxes.

Exposition de 1937, Paris. « L’Homme en verre ». © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Quelques mois à peine avant le début de l’occupation de Paris, il réalise une série de photographies de nuit, publiées par Match en janvier 1940. Certains de ces clichés paraissent aujourd’hui d’une surprenante modernité, comme celle en pose longue où les phares des voitures laissent autant de traînées lumineuses qui s’entrecroisent.

L’Abri, Paris, fin 1939. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Utilisant exclusivement un boîtier Rolleiflex, il se sert du format carré pour construire une véritable narration à travers ses clichés. Très graphiques, ces derniers s’inscrivent dans le courant moderniste, qui se développe dès la fin des années 1920. Angles abrupts, plongée et contre-plongée, jeu sur les perspectives, les silhouettes et les gros plans : ses images intriguent, questionnent notre point de vue et jouent avec notre perception.

Une reconnaissance à titre posthume largement justifiée

Contrairement à bon nombre de ses confrères, Gaston Paris n’a jamais réussi à publier d’ouvrage de son vivant. En 1952, il tente de faire paraître une sélection de ses clichés réunis en un ouvrage intitulé Les Mystères de Paris, enrichi d’une préface d’André Breton, auteur phare du mouvement surréaliste.

Jugé trop en décalage avec son époque, le livre n’est jamais publié, malgré « d’indéniables qualités esthétiques », comme l’indique sa maison d’édition. Pourtant, on ne peut s’empêcher de voir quelques traits communs avec les photographes humanistes, dont le style a profondément marqué la photographie d’après-guerre.

Fête foraine. Parade. France, vers 1945. © Gaston Paris/BHVP/Agence Roger-Viollet

Les deux expositions en cours viennent donc enfin tirer de l’oubli l’œuvre protéiforme de Gaston Paris. Celle du Centre Pompidou tire son origine des travaux de l’historien de la photographie Michel Frizot, qui est d’ailleurs co-commissaire de l’exposition. Ce dernier co-signe également les textes du catalogue de l’exposition, rédigé avec Delphine Desveaux, directrice des collections Roger-Viollet.

Chacune des deux expositions explore une facette différente du travail photographique de Gaston Paris. De son côté, l’accrochage réalisé par le Centre Pompidou met particulièrement en valeur sa représentation du monde du spectacle, ainsi que sa photographie « sociale » et surréaliste. D’un autre côté, celle de la galerie Roger-Viollet s’attache à mettre en lumière quelques 80 de ses clichés les plus spectaculaires, de la cathédrale Notre-Dame à ses photographies des célébrités de son époque. Une extraordinaire plongée dans l’univers de cette figure oubliée de la photographie de la première moitié du XXe siècle.

Informations pratiques :

Galerie Roger-Viollet
Gaston Paris, l’œil fantastique
Du 20 janvier au 23 avril 2022
6 rue de la Seine, 75006 Paris
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Entrée libre

Centre Pompidou
Gaston Paris, La photographie en spectacle
Du 19 janvier au 18 avril 2022
Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 à 21h, le jeudi jusqu’à 23h
Entrée libre

Livre Gaston Paris, La photographie en spectacle
Catalogue de l’exposition
Broché, 19,5 x 27 cm, 256 pages
Environ 300 photographies et documents noir et blanc et couleur
45 €