Biologiste et photographe, Martin Colognoli œuvre depuis plus de 11 ans à la reconstruction des coraux indonésiens, indispensables à la survie des communautés locales comme au maintien de la biodiversité.
Ce rêveur persévérant est parvenu à faire des déserts marins de nouvelles oasis. Grâce à son association Coral Guardian, Martin Colognoli et ceux qui l’ont rejoint ont initié la transplantation de 48 000 coraux en Indonésie, multipliant par 30 le nombre de poissons dans les eaux locales.
Son livre Corail publié aux éditions Hemeria affirme son engagement et sensibilise son public par l’image. Au total, 133 images couleur et noir & blanc — un parti-pris qui exploite toute la palette des rendus photographiques — constituent ce plaidoyer bâti sur 6 années de travail et de reportage. Martin Colognoli y mêle des scènes de la vie quotidienne des pêcheurs et des clichés monochromes au cœur des reliefs et textures coralliennes : comme une vision radiographique de l’animal mystérieux que demeure le corail.
Martin, comment vous est venue cette attraction pour les coraux ? Était-ce un déclic artistique et esthétique ou d’abord scientifique ?
Au-delà des coraux, qui me fascinent, je suis d’abord un amoureux des milieux aquatiques. J’ai travaillé auprès d’une entreprise spécialisée dans l’export de poissons tropicaux. C’est un milieu extrêmement opaque qui repose sur l’exploitation humaine et animale. La plupart des poissons et coraux sont encore prélevés de façon légale et beaucoup meurent au gré des nombreux transports les menant jusqu’à l’aquarium qui sera leur dernière demeure. Cette expérience m’aura sensibilisé à cela et permis de découvrir l’Indonésie où je suis resté.
Pouvez-vous expliquer brièvement en quoi consiste la transplantation corallienne que vous avez menée avec succès en Indonésie ?
J’ai fondé l’association Coral Guardian en 2012 pour protéger le récif corallien par l’implication des communautés locales. La responsabilisation et l’autonomie de ces acteurs sont cruciales pour pérenniser l’action des bénévoles et des salariés engagés à plein temps. Le programme a été mené près de l’île de Komodo à l’ouest des îles Flores. Dans cette zone, la pêche à la dynamite était encore largement utilisée. Cette méthode de pêche extrêmement agressive pour les fonds marins a entrainé la désertification des fonds, ce qui a de fait forcé les pêcheurs à s’aventurer de plus en plus loin, au péril de leur vie.
En transformant cette zone de 1,2 hectare en aire marine protégée et en y établissant une ferme corallienne de 500 m² nous avons pu observer que la biodiversité s’y régénérait à grande vitesse. Une branche de corail grandit en moyenne de 1 cm par mois pour les plus rapides. Dès le lendemain d’une transplantation corallienne, on observe le retour de plusieurs espèces marines. Au bout de 3 ans, on revient à l’équilibre. La pêche à la dynamite est désormais illégale, mais le véritable enjeu sur cette zone où la pression humaine est maintenant limitée demeure le réchauffement climatique : la hausse de la température des océans entraine la mort des coraux.
Quelle relation entre votre activité de biologiste et celle de photographe ? Votre connaissance solide des écosystèmes marins impacte-t-elle votre approche de photographe ?
L’objectif de ma photographie était initialement documentaire. Je voulais garder une trace du fonctionnement de la transplantation corallienne et rendre plus explicite notre action pour sensibiliser les équipes et le public. Peu à peu je me suis éloigné de mon approche scientifique pour embrasser une démarche plus artistique et prêter plus d’attention à l’esthétisme de mes images. Mais il est vrai qu’en plongée je perçois certaines curiosités grâce à mes connaissances biologiques, ensuite je fais place au photographe pour mettre cette curiosité en lumière.
Quel arbitrage faites-vous entre le noir et blanc et la couleur qui coexistent dans Corail ?
Le noir et blanc permet de révéler la texture, l’architecture des coraux ; ce sont des détails que la couleur semble leur retirer. Le noir et blanc me semble également plus contemplatif. L’alternance de photographies monochromes et de photos couleur, de portraits et de photos sous-marines rythme la lecture.
Qu’est-ce qui rend la photographie sous-marine si particulière ?
On décrit souvent les fonds marins comme un espace de calme et de silence, c’est faux. Il s’y passe toujours quelque chose ! La vie y est foisonnante et le bruit omniprésent, comme le chant des baleines au loin. L’air est l’espace du vide, mais la moindre goutte d’eau contient des milliers de micro-organismes. C’est le territoire de la vie : y plonger c’est aussi prendre conscience de cela, même si la plupart de ces organismes sont invisibles à l’œil nu.
La photographie sous-marine permet de mettre magnifiquement en lumière le lien qui peut unir 2 espèces luttant pour leur survie, mais pouvant aussi se prêter main forte. Dans une de mes photos ont voit un bénitier à la fois captif, mais aussi protégé par le corail, ils grandissent ensemble.
Comment composez-vous avec le manque de lumière lors de vos plongées photographiques ?
Certaines photos sont prises à l’orée de la surface où la couleur et la lumière sont encore présentes. En allant en profondeur, on perd ce spectre lumineux. La plupart des photos du livre ont été prises entre 1 et 15 mètres de profondeur. Je n’ai pas un lourd équipement : j’utilise 2 flashs déportés en plus d’un caisson étanche pour mon appareil. En plaçant ces flashs de côté, cela permet d’éclairer autour du sujet sans photographier les matières en suspension placées devant l’objectif. Je plonge principalement en apnée bien que certaines sorties aient donné lieu à quelques plongées en bouteilles.
L’immobilité des récifs coralliens rend-elle plus difficile l’expressivité ? Par rapport à la photographie animalière par exemple…
Étudier et photographier le corail c’est presque se rapprocher de la science-fiction. C’est un être vivant immobile qui est visible depuis l’espace ! Il en existe tant d’espèces différentes. Je trouve particulièrement parlante cette photo de coraux ressemblant étrangement à un poumon.
Je ne suis pas un photographe animalier ni un photographe de la vie sauvage. Ce qui est au cœur de ma démarche photographique c’est de mettre en exergue l’impact de l’Humain sur son environnement naturel. De donner à voir le lien qui nous unit aux océans et à ceux qui les peuplent : le sujet de mes images est donc tout autant l’Humain que les coraux. C’était volontaire de ne pas faire des baleines, des tortues ou des requins le sujet central de mes images. Montrer qu’une fois restauré l’ancien désert marin attire requins et poissons, voilà l’angle qui m’intéresse.
Corail rassemble également des portraits pris au contact des communautés locales, c’est aussi une façon de montrer et faire entendre les plus vulnérables au changement climatique ?
Les portraits de ces pêcheurs sont venus assez naturellement alors que je passais une grande partie de mes journées auprès d’eux sur l’île comme en mer. Je voulais aussi mettre en lumière leur mode de vie au-dessus de la surface. Au début ils étaient légèrement farouches et inquiets que ma présence fasse fuir les poissons. Lorsqu’ils ont vu que ce n’était pas le cas, ils se sont détendus et se sont mis à apprécier et rechercher ma présence et celle de mon appareil.
Je suis arrivé en Indonésie avec un regard de scientifique, mais j’ai beaucoup appris d’eux, ils ont une connaissance empirique de la nature et de son fonctionnement. Ces hommes et ces femmes sont d’anciens nomades des mers. Leur culture est la même que celle de nos anciens chasseurs – cueilleurs : ils prélèvent en milieu naturel ce dont ils ont besoin pour vivre. Ils ont donc compris l’intérêt de la préservation, car leur survie est directement liée à celle de la biodiversité, la nôtre également, mais nous en sommes beaucoup moins conscients, nous sommes coupés de cette connexion à la nature.
Corail traite de la beauté des fonds et de notre empathie pour ces milieux, mais c’est aussi l’histoire de notre lien à la nature, de la souveraineté alimentaire.
Comment les personnes photographiées ont-elles accueilli le projet du livre ?
Chaque année je distribuais des tirages de mes photos aux habitants de l’île, un moment de joie et d’échange. Il n’était pas question pour moi de « voler leur image », ils étaient au cœur d’un projet commun.
L’idée du livre m’est venue plus tard, durant le confinement. Je souhaitais créer une histoire avec le grand nombre d’images à ma disposition. C’est à ce moment-là que le corail m’est apparu comme le véritable élément central de cette histoire et la pêche comme le lien entre les Humains et cet emblème. Je souhaitais mêler Art et sciences, humains et coraux au travers d’un hommage à cette espèce fascinante et méconnue.
Lorsque vous réalisez ces images avez-vous le souci d’immortaliser des cultures et modes de vie en train de disparaître ?
C’est plutôt l’illustration du changement à l’œuvre. Ils sont déjà sédentaires. Ils vivent sans électricité permanente ni eau courante et leur survie dépend de l’océan. Ils sont à la croisée des mondes et des cultures. C’est ce que montre bien cette photographie où l’une des fillettes tient un smartphone, objet incongru ici en l’absence de réseau. Au loin un muret les protège vainement de la montée des eaux, c’est un pansement bien désuet face à ce qui est une menace pour leur village.
Devant le succès de ce projet de conservation quelle est la suite ? Prévoyez-vous de partir pour d’autres territoires afin de porter ce message d’espoir et de réconciliation avec la nature ?
Le projet a magnifiquement fonctionné en Indonésie et les associations locales ont désormais pris le relais pour faire perdurer la renaissance de cet écosystème. Nous continuons de les soutenir, mais le flambeau a bel et bien été passé. Un programme identique a pu être mené en méditerranée dans le sud de l’Espagne à la Herradura. C’est un message d’espoir et un témoignage positif que porte le livre ; il est encore possible d’œuvrer pour la préservation de la biodiversité, il n’est pas trop tard !
Quels sont vos projets ?
Je me consacre désormais pleinement à la photographie documentaire et artistique. Mon envie est aussi d’agir plus localement, ne serait-ce que pour limiter mes déplacements en avion.
Merci à Martin Colognoli d’avoir répondu à nos questions.
Corail, disponible en français ou en anglais, est publié aux éditions Hemeria (156 pages, 25,5 x 34 cm). Le livre vendu à 59 euros est disponible en librairie et sur le site des éditions Hemeria.
Retrouvez le travail de Martin Colognoli sur son compte Instagram et son site Internet. Les actions menées par Corail Guardian sont à découvrir sur le site de l’association.