Laure Albin-Guillot Zoom Photographe Phototrend
Etude de nu féminin. France, 1941. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Zoom photographe : les multiples facettes de Laure Albin Guillot

Laure Albin Guillot est sans conteste une icône de la nouvelle photographie de l’entre-deux guerres. Ses premières oeuvres apparaissent dès 1920, mais c’est entre les années 1930 et 1940 qu’elle connait son apothéose artistique mais aussi institutionnelle.

Longtemps oubliée et pourtant incontournable dans l’histoire de la photographie, elle a consacré sa carrière et sa vie à un art qui n’était pas encore reconnu comme tel. Aujourd’hui, ses productions sont réinvesties et redécouvertes par les photographes et les chercheurs contemporains. Laure Albin Guillot avait d’ailleurs déjà fait l’objet d’une exposition au Jeu de Paume en 2013 (« Laure Albin Guillot, L’Enjeu classique »).

L’artiste photographe à l’activité prolifique a laissé derrière elle de nombreux clichés, dont une majorité a été acquise par l’agence Roger-Viollet en 1964. A l’occasion de l’exposition « L’élégance du regard » et dans le cadre de PhotoSaintGermain, la Galerie nous invite à redécouvrir cette « grande dame de la photographie, et présente 65 de ses tirages, en édition limitée et numérotée, à voir jusqu’au 21 janvier 2023.

Laure Albin Guillot, l'Elégance du regard

Revendiquer la reconnaissance artistique de la photographie

Née dans la bourgeoisie parisienne du seizième arrondissement, la photographe vit longtemps dans l’ombre de son époux et de son couple avant de publier ses premières photographies de mode en 1922. C’est ainsi, dans les années 1920, alors qu’elle a déjà 43 ans, qu’elle commence sa carrière fulgurante. Elle collabore régulièrement avec des magazines tels que Le Jardin des modes, Femina, L’Officiel de la couture et de la mode, ou encore l’encore incontournable Vogue.

Laure Albin Guillot initie alors une phase d’hyperactivité photographique, qui allie recherche et production pour explorer cet art à 360 degré. Ses œuvres traversent tous les domaines du possible en photographie : le nu, masculin et féminin, l’image de publicité, la nature morte, la mode, ou encore le portrait. Elle apporte à la discipline autant du point de vue artistique que technique et théorique. 

A l’époque de la modernité et de l’avant-garde, elle ose explorer le classicisme et ses potentialités. Son style élégant s’incarne dans le noir et blanc, et les sujets variés sur lesquels elle pose son regard en ressortent sublimés.

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Homme masqué. Vers 1935-1940. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Mais Laure Albin Guillot ne se limite pas à capturer la beauté, elle développe une recherche théorique approfondie afin de révéler le potentiel de la technique photographique dans l’exploration de sphères artistiques variées. C’est à travers ces recherches qu’elle oeuvrera toute sa carrière en faveur de la reconnaissance officielle de la photographie.

La photographie d’un point de vue théorique et patrimonial

Personnalité à l’avant-garde, Laure Albin Guillot saisit rapidement la nouvelle place que prend l’image dans la société d’entre-deux guerres. Dans un contexte où le cinéma, la radio mais aussi la presse illustrée se développent, elle comprend que la photographie a un rôle très important à jouer en tant qu’outil de communication mais aussi comme discipline artistique.  En 1933, elle publie une brochure nommé « Photographie publicitaire », qui décrypte les enjeux de l’acte photographique et de la perception de l’image moderne.

Laure Albin Guillot est alors directrice des archives photographiques des Beaux-Arts et de la Cinémathèque Nationale. Présidente de l’Union féminine des carrières libérales, elle co-organise entre autre la grande exposition des femmes artistes d’Europe en 1937, au Jeu de Paume, où plus de cinq cents œuvres d’artistes féminines seront présentées.

Parallèlement à une posture institutionnelle puissante, Laure Albin Guillot cultive ainsi celle de la photographe indépendante, passionnée par la recherche et l’innovation dans le médium photographique.

Elle envisage d’ailleurs dès 1934 les prémisses de ce qui est devenu aujourd’hui un centre d’art multimédia. En effet, elle propose cette année-là un projet de musée visant à conserver, diffuser et collectionner les ouvrages photographiques, radiophoniques et cinématographiques dans un même lieu. Ce projet réunissant les « arts mécaniques » (photographie, cinéma, disque) n’aboutira pas, mais il incarnera encore une fois un esprit en avance sur son temps, essentiel à la constitution de la photographie comme discipline reconnue.

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Etude de nu masculin. Paris, vers 1930-1940. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Un vaste palmarès artistique

Femme et artiste de renom, Laure Albin Guillot participe à un nombre vertigineux d’expositions dans les années 1930. Elle est alors célèbre et reconnue à la fois pour ses photographies de mode, de publicité et d’industrie que pour ses compétences en décoration, création plastique et illustration.

Artiste mondaine, Laure Albin Guillot est aussi portraitiste : elle photographie les personnalités connues du monde de l’art et de la culture. Elle sait manier ses réseaux et ceux de son mari pour s’affirmer dans les cercles les plus fermés et faire parler de son art. Proche des icônes de son temps, artistes, musiciens et écrivains, elle réalise également de nombreuses illustrations comme « le Narcisse » de Paul Valéry (1936) ou « les Chansons de Bilitis » de Pierre Louÿs (1937).

Mais l’ambition de la photographe n’est pas celle du protagonisme : elle utilise sa notoriété comme instrument pour faire valoir la photographie dans les sphères artistiques et faire évoluer la recherche sur l’image moderne.

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Jean Cocteau (1889-1963), écrivain français, en 1939. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Ses multiples dons et sa personnalité hors norme servent une démarche artistique plurielle, mais aussi des innovations importantes. Inspirée par sa vie aux côtés de son mari, chercheur spécialisé dans les préparations microscopiques, elle développe la technique singulière de microphotographies sur autochromes, qui crée des formes abstraites à partir de détails invisibles à l’œil nu. C’est ainsi que Laure Albin Guillot, à travers ses recherches techniques et son génie artistique, développe pour la première fois une application décorative de la photographie.

Microphotographie avec procédé autochrome. Vers 1929. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Ces microphotographies incarnent parfaitement la personnalité méticuleuse et originale de l’artiste, et les motifs semblent alors futuristes. On y voit les prémisses de l’art graphique et des pattern que l’on pourra retrouver dans le monde de la mode et de la décoration, en plein essor, et dont elle est très proche.

Jeux d’ombres fait par une lame de rasoir. Vers 1930-1940 © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

En 1931, en hommage à son mari alors décédé, elle fait paraître en plus de trois cent exemplaires un portfolio de grand format intitulé « Microphotographie décorative« , qui comporte vingt-cinq planches imprimées en héliogravure sur papier teinté et métallisé, révélant le potentiel graphique inattendu de diatomées, de cristallisations minérales ou encore de cellules végétales.

Fin de partie

Des années plus tard, en 1940, alors âgée de de soixante-douze ans, Laure Albin Guillot met fin à ses fonctions officielles. Elle demeure néanmoins toujours active dans son studio du boulevard Beauséjour où elle réalise notamment des portraits. Elle continue également de cultiver la photographie comme illustration, et s’engage dans la publication de livres d’artistes, comme « Les Préludes de Debussy » (1948) qu’elle illustre de ses clichés.

Elle poursuivra ainsi ces activités jusqu’en 1956, où elle mettra définitivement fin à sa carrière pour se retirer entre les murs de la Maison nationale des artistes de Nogent-sur-Marne. Après une vie entière de femme célèbre, puissante et mondaine, elle choisira ainsi le calme et le retrait, jusqu’à ses derniers souffles en 1962, à l’aube de grands changements pour la France.

Une renaissance dans un lieu d’archive emblématique

Ce parcours riche et foisonnant n’était pas simple à synthétiser, mais l’exposition « Laure Albin Guillot, l’élégance du regard » à la Galerie Roger Viollet en rend parfaitement compte et retranscrit avec finesse l’âme impétueuse de l’artiste et la vaste gamme de ses productions.

Les nombreuses images exposées donnent à voir les personnalités multiples de la photographe, de l’institutionnelle et de la chercheuse. La Galerie, lieu emblématique de l’image historique depuis 1938, semble incarner parfaitement le classicisme élégant de l’artiste, qui a su trouver l’avant-garde et la modernité dans la tradition.

On achève l’itinéraire photographique proposé par la galerie avec la vive conviction que la nouvelle photographie a été portée, constituée et réinventée par une icône de génie, mais aussi et surtout par une femme, à travers son regard sur le monde.

Informations pratiques :
Laure Albin Guillot, l’élégance du regard
Galerie Roger Viollet
Du 6 octobre 2022 au 21 janvier 2023
6 Rue de Seine, 75006 Paris
Entrée libre et gratuite
Du Mardi au Samedi de 11h à 19h