© Lorenzo Poli

Interview de Lorenzo Poli : « Je cherche à capturer la magie d’un univers qui se situe entre le sacré et le magique »

Lorenzo Poli, photographe de paysage à la renommée internationale, a été le lauréat du Sony World Photography Awards 2022 catégorie Professional > Paysage avec sa série Life on earth. En cette rentrée, il a récemment exposé un autre travail, Ode to Nature, au Pool NYC, à Milan – en collaboration avec Eye-V Gallery, du 20 septembre au 22 octobre 2022.

Il y célèbre la mysticité de la nature aux côtés de treize autres artistes. Entre vernissage et promotion, il a accordé un échange fructueux à la rédaction de Phototrend pour revenir sur Life on earth et nous livrer quelques clefs de lecture pour mieux comprendre son travail. Nous avons pu lui poser des questions autant sur son approche artistique que sur son parcours, de l’architecture à la photographie de paysage:


Bonjour Lorenzo, vous avez été lauréat du Sony World Photography Awards 2022 dans la catégorie Paysage avec Life on earth. Comment-est-ce que cette série incarne autant qu’elle renouvelle votre travail de photographe ?

La série contient de nombreux thèmes qui inspirent mes recherches. Le silence, le temps, l’incroyable pouvoir régénérateur de la vie, l’effet de l’action humaine sur l’environnement, mais aussi le sens mystique et la spiritualité intrinsèque de la nature. La nécessité d’une révolution spirituelle de l’humanité. Je cherche à capturer la magie d’un univers qui se situe entre le sacré et le magique, dans lequel l’essence de la vie est protégée par le silence, et où le monde extérieur et le monde intérieur coïncident.

The Fertility Goddess. © Lorenzo Poli, Life on earth.

Comment est-ce que votre passion pour les paysages et votre engagement pour l’écologie s’inscrivent- ils ou au contraire rompent avec votre carrière précédente en architecture ?

Je vous avoue que je n’ai plus envie de construire, je n’ai plus envie de consommer sans modération. J’ai réduit mon style de vie au strict minimum. J’ai eu le besoin pressant de m’arrêter, de ralentir, de contempler le silence, en silence, d’observer les principes primordiaux qui animent la Planète Terre dans son essence. Et puis je me pose la question : L’architecture à succès contemporaine n’incarne-t-elle pas justement les valeurs d’une époque de l’histoire humaine dont le changement climatique est le résultat ?

Pendant le Covid, j’ai eu l’opportunité de vivre dans les Highlands isolés du nord de l’Écosse, pendant plusieurs mois dans mon camping-car, tout en travaillant à distance sur des stratégies environnementales pour des clients comme Apple. J’ai alors commencé à matérialiser intensément un seul désir et un seul rêve, immense : visualiser une humanité différente, en communion profonde avec la nature. Il s’agirait de restaurer les forêts, de reboiser les terres anthropisées, et d’embrasser une ère post-carbone.

Nous pourrions ainsi rétablir le silence naturel, qui régnait autrefois sur le monde. Ce serait cela le réel succès de l’humanité. Je pense qu’une révolution environnementale peut être mise en œuvre par des solutions technologiques seulement si elle est motivée par le désir profond de changer le cours de l’existant. Comme disait le Mahatma Gandhi “soyez le changement que vous voulez voir dans le monde”.

The Guardians. © Lorenzo Poli, Life on earth.

Soyons clairs, j’ai aussi la conviction première et absolue que la nature est la solution « technologique » au déséquilibre environnemental créé par l’espèce humaine. Au cours des 4 derniers milliards d’années, la nature a réussi à transformer une planète déserte en un écosystème complexe autorégulateur (i.e. Gaia) qui se manifeste comme un amortisseur des fluctuations climatiques. Je crois que la nature a la capacité de rétablir, avec ou sans l’homme, l’équilibre perdu : au prix parfois d’extinctions massives et au bout de plusieurs milliers d’années.

Vos photographies traversent l’univers de l’abstrait, et vous décrivez souvent les espaces naturels que vous capturez comme magiques. Quels liens établissez-vous entre la spiritualité et la photographie dans vos travaux ?

Je pense que l’un des grands pouvoirs de la photographie réside dans sa capacité à générer la méditation, la réflexion, à travers un médium visuel et à travers la couleur. L’art a le potentiel de communiquer un message à l’échelle mondiale. J’aimerais que mon travail transmette une vision transcendantale. Je suppose que cette force vitale qui m’attire et dont je veux être le témoin transcende les explications rationnelles.

J’ai passé les deux derniers mois à photographier des glaciers lors d’une retraite en Norvège : le sentiment le plus puissant que j’aie jamais ressenti ? La force régénératrice de la nature, capable de coloniser avec des lichens, des mousses, des arbustes et des arbres des kilomètres de vallées laissées vides par les glaciers en un temps très rapide et en synergie symbiotique. Pour atteindre la base des glaciers, j’ai marché pendant des jours seul dans ces vallées.

La photographie est pour moi une forme de méditation, de dépassement de l’individualité. Mon rituel : explorer la nature en solitude, en silence à pied ou en kayak, admirer en immobilité, plonger dans leséléments. J’observe l’écoulement du cosmos et la magie de la vie, comme un humble être humain avec un cœur rempli de gratitude. Dans ces moments d’observation, une sorte d’illumination ou de révélation mystique m’amène à prendre une photo à un certain moment. Chaque photo révèle ainsi le désir de raconter cette dimension de communion spirituelle.

Fluid Ashes. © Lorenzo Poli, Life on earth.

Comment utilisez-vous les contrastes et notamment les ombres et lumières dans vos photographies ? Quelle importance donnez-vous à la post-production ?

J’adore la blue hour, les heures qui suivent le crépuscule ou qui précèdent l’aube. J’ai tendance à sous-exposer les photos. J’accepte l’obscurité, j’aime l’immédiateté et le minimalisme du noir et blanc et le pouvoir émotionnel de la couleur. J’aime les derniers rayons de soleil sur la planète, et le sentiment de calme et de paix qu’apporte la nuit. Les biorythmes ralentissent, le silence s’installe dans la forêt. L’obscurité amplifie aussi les émotions intérieures, peut-être que c’est pour cela que nous la fuyons. Peut-être que la capacité d’expérimenter la réalité extérieure/intérieure décroît avec la diminution de la lumière ?

La postproduction n’en est pas une, elle fait partie du processus photographique au sens large. Il s’agit surtout de générer les mêmes émotions que vous éprouvez lorsque vous êtes complètement immergé dans le flux de la nature.

De quelle manière vous inspirez-vous pour nourrir votre art ? Quelques conseils pour des photographes amateurs, notamment en paysage ?

La nature est riche d’inspiration… Ainsi que les œuvres des grands maîtres des siècles précédents, tels que Goya, Rubéns, Michel-Ange, Caravage, Léonard de Vinci pour n’en nommer que quelques-uns. Pour la photographie je suis inspiré par les travaux de Sebastião Salgado, Vincent Munier, Walker Evans, Edward Burtynsky, Ansel Adams, Saul Leiter, Luca Locatelli, Daria Belikova, Benjamin Hardman, ou encore Jeremy Snell.

Mon conseil : éviter les dérives technologiques, éviter les lieux sur-photographiés et médiatisés, utiliser la photographie comme outil d’exploration et de rapprochement avec la nature, et comme un moyen de redécouverte de soi. Les clefs de mon travail : l’isolement et la préparation physique et mentale pour passer de longues périodes dans la solitude immergé et entouré par la nature. Je crois que l’essentiel en photographie c’est de communiquer une émotion.

Quelques mots sur vos futurs projets ?

Ode to Nature est une exposition-projet qui est le fruit d’une collaboration avec Paola Marzotto et avec la Eye-V Gallery. Elle fait partie d’une exposition collective réunissant 14 artistes, dédiée à la photographie contemporaine de la nature. La science et la religion n’ont pas réussi à expliquer l’incroyable évolution qui, au cours des millénaires, a transformé la Terre en un système de vie si complexe. L’art le peut-il ?

Glacial Sentinel. © Lorenzo Poli, Life on earth.

Je reviens de 8 semaines en Norvège durant lesquelles j’ai travaillé au projet Glacial Wisdom, sur l’évolution des glaciers norvégiens, en collaboration avec la Direction norvégienne des ressources en eau et de l’énergie (NVE). L’objectif est de raconter la sagesse millénaire qui émerge à la surface de ces énormes masses de glace. Une sagesse ramenée à la surface par l’accélération de la fonte des glaciers – conséquence du réchauffement de la planète – et qui est en train de disparaître.

En parallèle, je travaille sur plusieurs projets, à différents stades de développement : Microalgae, sur l’implémentation des microalgues à l’échelle industrielle ; Yielding Nature sur les technologies d’exploitation des ressources naturelles dans l’agriculture contemporaine ; Mutagens sur le Crispr et les dernières innovations dans le monde des modifications génétiques ; et Torn up, un projet visant à raconter la tempête Vaia qui a dévasté en 2018 des vallées entières des Dolomites et déraciné des millions d’arbres. Je travaille également au projet The Fabric of Clouds sur l’évolution de la sidérurgie aux Pays-Bas.


Merci Lorenzo Poli d’avoir répondu à nos questions.

Vous pouvez retrouver le travail de Lorenzo Poli sur son site internet.