© Philong Sovan

Philong Sovan : portraits d’un chasseur de nuit dans les rues cambodgiennes

Pendant 10 ans, le photographe cambodgien Philong Sovan a photographié l’animation des rues de Pnom Penh, seulement éclairées par le phare de sa moto. De ces rencontres éphémères, au style résolument cinématographique, il a tiré une monographie, City Night Life, publié aux éditions du Bec en l’air.

© Philong Sovan

Dans les rues de Phnom Penh, au Cambodge, l’absence quasi-totale d’éclairage public plonge la ville dans le noir à partir de 18h. Pendant dix ans, Philong Sovan a occupé ses nuits blanches en sillonnant sa ville à moto – et y a retrouvé des rues tout sauf endormies.

Ils occupent l’espace public malgré l’absence de lumière : groupes d’amis regroupés autour d’une table basse pour jouer aux cartes et boire un peu d’alcool, couples d’amoureux, enfants et adolescents en deux-roues ou à pied, et tous ces livreurs et travailleurs de nuit qui ne dormiront pas.

Avec humour, il se compare parfois au chasseur qui éblouit le lapin dans le faisceau lumineux.

Christian Caujolle

À l’origine de son projet, la découverte de Philong Sovan que le phare puissant de sa moto illumine des scènes tout à fait insoupçonnables ; autant d’apparitions nocturnes qu’il a décidé de documenter et qui constituent un très beau livre aux éditions du Bec en l’air.

Un style cinématographique au service de la modernité…

La pratique photographique de Philong Sovan est moderne parce qu’il montre le processus de création, la fabrication de sa mise en scène. L’éclairage irréel du phare de sa moto introduit une esthétique cinématographique à ses images. L’artificialité de la lumière est pleinement perceptible, elle explore une scène et sélectionne ce qu’elle révèle.

Ce dispositif dévoile un sentiment particulier, comme une inquiétude partagée avec le photographe. Ce dernier pose la question : jusqu’à quand ? Avec la métropolisation qui transforme les villes et repousse ses habitants précaires le plus loin possible des centres, jusqu’à quand ces scènes perdureront-elles ?

© Philong Sovan

… pour mieux saisir une vérité protéiforme

Bien qu’il ne s’inscrive pas dans une photographie documentaire dite réaliste, Philong Sovan produit des images qui montrent les situations complexes de ceux qui vivent la nuit, invisibles : taxis, adolescents vagabonds, précaires contraints à des petits boulots nocturnes… Philong Sovan parvient à mêler la mise en scène et une volonté de documenter. Il éclaire la rue, l’écrit, et nous donne à voir ses habitants au gré des hasards et des rencontres.

© Philong Sovan

Issu d’une famille pauvre du Cambodge, Philong Sovan livre ici un projet d’une grande maturité. Agé de seulement 32 ans, le talent de ce jeune photographe a su traverser les frontières : après une bourse d’étude en France à l’École Louis-Lumière (2012-2013), il est aujourd’hui représenté par la Galerie Lee, qui a présenté ses travaux lors d’une exposition au printemps 2022. Il a également été mis en avant lors du festival Image Singulières de Sète, ainsi qu’aux Rencontres d’Arles de 2022.

Sa première monographie, City Night Lights, est à retrouver aux éditions Le Bec en l’air au tarif de 35 euros. L’ouvrage, composé 112 pages pour 60 photographies couleur, inclut une présentation de Christian Caujolle, figure incontournable de la photographie contemporaine, co-fondateur de l’agence VU’, ancien responsable de la photographie de Libération, et critique d’art.

© Philong Sovan, Le Bec en l’air