© Tassiana Aït Tahar

Uber Life : reportage photo en immersion dans le quotidien des livreurs

Elle-même livreuse depuis 2018, Tassiana Aït Tahar a documenté le quotidien des livreurs bien avant le début de la pandémie dans sa série Uber Life. Une immersion nécessaire pour représenter au plus près et avec pertinence les conditions de travail d’une profession parfois caricaturée ou dépeinte avec misérabilisme par les médias.

Sans pour autant nier la réelle difficulté du métier, l’artiste se distingue par une volonté de montrer la face cachée des journées et des soirées de ces travailleurs : les moments de convivialité, la fraternité, mais aussi les nombreux dysfonctionnements de la profession.

Uber Life
© Tassiana Aït Tahar

Une exposition consacrée à son travail a été présentée au Centquatre à Paris le mois dernier. Tassiana Aït Tahar y a présenté des installations visuelles en plus de ses photographies. Sur de grands écrans, des extraits de messages à caractères sexuels et d’harcèlements envoyés par les clients. À côté, un collage qu’elle a intitulé Uburnout, composé de coupures de presse pas forcément à-propos sur la pratique de livreur, de captures d’écran d’échanges houleux avec des clients ou d’affiches menaçantes de restaurateurs (sur l’une d’elles : « pour chaque livreur qui rentre dans le restaurant, un pouce rouge sera mis immédiatement »)… tout ce qui épuise psychologiquement en plus de la fatigue physique.

Une silhouette blanche est tracée sur ce collage :

Uburnout – © Tassiana Aït Tahar

Les accidents du travail sont nombreux et ne sont pas toujours couverts par la protection sociale (uniquement pour les livreurs à vélo ou ceux disposant d’une licence scooter onéreuse). Pourtant, ils n’ont pas le choix : s’ils veulent toucher un salaire décent, ils doivent aller vite, toujours plus vite, jusqu’à prendre parfois des risques inconsidérés.

Uber Life
© Tassiana Aït Tahar

Une course à la performance nécessaire face au risque de se faire radier de la plateforme. À ce titre, Tassiana Aït Tahar a présenté, lors de son exposition, Oeuvredar, une sculpture en béton dorée de 120 kg représentant le sac isotherme qui unit tous les livreurs, placé dans une chambre noire, sous verre, illuminé comme une pièce de musée. Comme une façon de représenter le poids physique, mais aussi le poids de l’attente, de la peur, de l’instabilité.

mOeuvredar – © Tassiana Aït Tahar

Une façon de décrire les raisons pour lesquelles les gens font ce métier et ses désillusions : la perspective d’un travail rémunéré rapidement… dont on devient facilement dépendant, tributaire des courses à enchainer avec un rythme soutenu, assujetti à la solitude inhérente à la profession, même si les livreurs fraternisent souvent dans l’attente de commandes. Le sac doré comme une prison : celle de l’efficacité.

Uber Life
© Tassiana Aït Tahar

Malgré tout, ce sont les moments conviviaux qui apparaissent nettement dans les photographies de la série Uber Life de Tassiana Aït Tahar, où se dessinent des fous rires derrière les téléphones, téléphones parfois posés pour jouer au foot sur le parking d’une zone périphérique. Les pieds sur un scooter, prêts à partir, ou à l’arrière d’une voiture, ces livreurs – tous masculins, contrairement à la photographe – prennent une pause avant leur prochaine course.

Uber Life
© Tassiana Aït Tahar

Tassiana Aït Tahar est diplômée de l’école Kourtrajmé. Elle a exposé en 2020 sa série “Toujours la même” au cours de l’exposition “Jusqu’ici tout va bien” au Palais de Tokyo.

Retrouvez ses photos sur son compte Instagram.