Zoom Helmut Newton
Lisa Taylor and Jerry Hall, Rudi Gernreich, American Vogue, Miami 1975 - © Helmut Newton Foundation, Berlin

Zoom photographe : Helmut Newton

Sensuel, érotique, évocateur : Helmut Newton (1920 – 2004) a incontestablement laissé son empreinte sulfureuse sur la photographie de mode et, avec elle, sur le huitième art. Portrait, nu et photographie de mode constituent les trois facettes de son travail, parfois unies sur une même image.

À l’occasion de ce qui aurait été le centenaire de sa naissance, le photographe allemand est mis à l’honneur dans Helmut Newton. Legacy (Éditions Taschen). L’ouvrage d’anthologie, édité par la fondation berlinoise qui porte son nom, propose de remonter le temps pour parcourir sur papier glacé plusieurs décennies marquées par le sceau du photographe. Helmut Newton avait dès 1999 été célébré chez Taschen au fil des pages (démesurées) d’une édition SUMO, une première et un privilège depuis resté réservé à un cercle très fermé (qui compte aussi David Bailey ou Sebastião Salgado).

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Helmut Newton, Legacy – couverture du livre Taschen

1920 – 1960, Helmut avant Newton

Helmut Neustädter nait à Berlin, le 30 octobre 1920. Sa mère est d’origine américaine et son père allemand de religion juive. Bientôt, déferle sur l’Allemagne la violence du régime nazi et son imagerie propagandiste. Jeune adolescent, Helmut Neustädter ne peut nier l’influence qu’auront ces images sur son esprit. Rapidement, il délaisse ses études pour le studio d’une photographe de mode, Else Neulander-Simon (Yva). Auprès d’elle, l’aspirant photographe exerce sa sensibilité, mais affûte également sa maitrise technique. Formatrice, cette période relativement insouciante s’achèvera en 1938 avec la fermeture imposée du studio et la déportation d’Yva.

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Self-Portrait in Yva’s Studio, 1936 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

La famille d’Helmut Newton est elle aussi forcée de fuir l’Allemagne nazie. Le jeune photographe gagnera d’abord la Chine puis Singapour d’où, devenu reporter-photographe, il est ensuite envoyé en Australie. Il y adoptera son nouveau patronyme et y rencontrera celle qui restera sa femme tout au long de sa vie : June Brunell (1923 – 2021). Cette dernière adoptera ensuite l’identité d’Alice Springs, devenant elle-même photographe. Ensemble, ils quittent l’Australie pour Paris dans les années 60, sur l’invitation de Vogue Paris, avec l’ambition d’y devenir un photographe indépendant reconnu. Des images d’Helmut Newton prises dans les années 50, il ne reste aujourd’hui que quelques archives : c’est dorénavant à Paris, capitale de la mode, qu’il déploiera pleinement son talent.

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June, 1959 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Capturer l’air du temps et demeurer intemporel

Ses années parisiennes marqueront sa collaboration avec Vogue Paris, mais aussi avec Elle, Paris Match, Vanity Fair ou Harper’s Bazaar. Publié dans les pages des éditions internationales de nombreux titres, le travail d’Helmut Newton nous est familier et l’on croit souvent, à tort, en avoir fait le tour. Pourtant, son portfolio regorge d’images plus intimes, ambiguës. Même ses clichés les plus iconiques se dévoilent sous un nouveau jour à qui veut bien prendre le temps de s’y attarder. Comme le mythique smoking Yves Saint-Laurent immortalisé en 1975 sur le corps de Vibeke Knudsen rue Aubriot à la lueur de réverbères. Si ses images dénudées battent tous les records de publication, Helmut Newton n’est jamais véritablement mis à nu.

Le Dessous des Images : Le Smoking d’Helmut Newton

Pouvoir, rapports de force, libération des mœurs, ouverture de la société aux questions de sexualité : les images d’Helmut Newton attestent de leur époque. Devant son objectif, fantasmes et témoignages documentaires s’entremêlent sans y paraitre, car après tout, c’est aussi des rapports sociaux de son époque que nous parlent la mode et sa photographie. La provocation chez Helmut Newton n’est pas gratuite. Triomphante, elle donne à voir la femme sous toutes ses coutures, laisse transparaitre forces et faiblesses, ambitions et attraction.

Lisa Taylor and Jerry Hall, Rudi Gernreich, American Vogue, Miami 1975 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Si ses modèles sont souvent dévêtus, c’est pourtant bien de mode qu’il est question chez Helmut Newton. Le vêtement raconte et lorsqu’il brille par son absence, il fait encore parler de lui. Bas, chapeau, résille ou lignes affûtées d’un escarpin : l’accessoire aiguise l’inspiration du photographe. Son installation à Paris dans les années 60 coïncide avec l’arrivée de collections visionnaires, idéales pour transmettre le dynamisme de sa photographie comme le feront les créations d’André Courrèges. Plus tard, ce seront Yves Saint Laurent, Karl Lagerfeld ou Thierry Mugler qui amorceront un dialogue avec le photographe.

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Thierry Mugler, American Vogue, Monte Carlo 1995 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Car comme une révolution, le luxe s’affranchit dès la fin des années 50 de ses salons feutrés par le biais de collections de prêt-à-porter proposées au sein de nouvelles adresses. Si la mode se réinvente, sa représentation n’est pas en reste et Helmut Newton fait descendre la photographie de mode dans la rue. Il saisit l’intensité de l’époque, le Zeitgest (esprit du temps) parfois à la manière d’un photographe de rue, bien que chez lui l’imprévu ne soit jamais vraiment de mise.

Des images parfaitement léchées destinées à embrasser le scandale

Le noir et blanc, dénué de toute retouche, signe chez Newton une esthétique cinématographique qui appuie les jeux d’ombres et lumière et souligne les contours de la silhouette. Plus tard, Helmut Newton s’affranchit du monochrome pour plonger dans la couleur. L’époque est alors à l’exubérance, jusqu’au bling des années 80 et 90. L’artiste aime explorer ce que beaucoup nomment le mauvais goût, fuira toute sa vie les standards et la normalisation du regard.

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Carla Bruni, Blumarine, Nice 1993 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Chez Newton, l’image s’accompagne d’une narration et bien souvent de références cinématographiques. Metteur en scène de ses images, les préparant minutieusement à l’aide de nombreux polaroïds, Helmut Newton y intègre parfois sa présence, voire celle de June. Il incorpore son image de manière plus ou moins appuyée dans le champ, comme en 1981 avec Portrait with Wife and Models.

La mise en scène théâtrale d’un cliché « newtonien » n’oublie pas de jouer de son décor. Hall d’hôtel, cage d’escalier, appartement haussmannien ; sous les moulures, se révèlent les charmes féminins. Après la rue, ce sera plus tard au bord de piscines inondées de la lumière de la Côte d’Azur (le photographe quittera Paris pour Monte-Carlo en 1982) ou de Miami que se dénuderont ses modèles. Pourrait-on y voir pour la sexualité féminine la sortie de la sphère intime, son affranchissement du monde intérieur ?

Heather looking through a keyhole, Paris 1994 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Le magnétisme qui transparait de ses clichés témoigne de sa volonté de mettre la femme à nu. Un dessein à ne pas seulement prendre au sens propre, bien que son travail sur le nu soit indissociable de son œuvre et que le photographe ait collaboré avec Playboy dès les années 50. Au travers des poses affirmées de ses modèles, se lit la puissance d’une femme confiante, nue et sexuelle, mais jamais objectivée et souvent mise sur un piédestal. Faire fi des bonnes mœurs, c’est aussi une question de liberté : une quête légitime pour celui qui a grandi sous l’emprise d’un régime brutal aux innombrables interdictions. Dominante, la femme chez Helmut Newton semble prête à tout, est maitresse de ses désirs et bien décidée à s’épanouir.

Fashion, Melbourne 1955 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Helmut Newton dispose de la confiance et des budgets des plus prestigieuses rédactions pour concrétiser ses visions sur papier glacé. C’est cette confiance qui permettra au photographe de voir la grande majorité de ses images publiées sans recours à la censure de la part des rédactions. Le scandale n’est pourtant jamais loin comme avec la publication de ses Naked and Dressed, diptyques nus et vêtus, ou ses Big Nudes, tirages inédits de nus grandeur nature au cœur des années 80.

Le centenaire du photographe d’une mode devenue éternelle

Mannequins, célébrités (de Salvador Dali à Andy Warhol ou Elizabeth Taylor) puis super-modèles tels que Claudia Schiffer, Kate Moss ou Cindy Crawford se sont pressés devant l’objectif d’Helmut Newton. Seul photographe à avoir obtenu de Sylvia Gobbel de poser nue, Helmut Newton restera très attaché à sa muse au point de lui proposer un contrat d’exclusivité. Des séances de pose, la plupart retiennent encore aujourd’hui l’exigence du photographe, mais aussi son génie : une force créatrice à même de percevoir et de décupler leur beauté. D’autres, comme l’essayiste Susan Sontag, l’accusèrent de misogynie. Controversées ou célébrées, les photographies d’Helmut Newton ne laissent jamais leur public indifférent.

French Vogue, Paris 1975 – © Helmut Newton Foundation, Berlin

Comme Richard Avedon, Peter Lindbergh ou Irving Penn, Helmut Newton a participé à offrir ses lettres de noblesse à la photographie de mode. Des pages de publications éphémères, elle en est venue à s’exposer au sein de galeries renommées puis de prestigieux musées.

Affaibli par une crise cardiaque en 1971, Helmut Newton bénéficiera de l’aide de sa femme pour continuer de travailler, mais choisira dès ce moment de ne se consacrer qu’à un ambitieux travail de commandes. Si le photographe est prolifique, il ne se détourne pas des images achevées, œuvrant à leur publication et à leur conservation. Après son accident et jusqu’à la fin de sa vie, il répertorie ses planches contacts, négatifs, et archive soigneusement sa production. Dès 1984, une rétrospective lui a été dédiée au musée d’Art moderne de Paris.

En 2003, Helmut Newton crée à Berlin sa fondation éponyme, quelques mois seulement avant sa disparition. Un documentaire lui est plus tard consacré (The Bad and The Beautiful). Revenant sur son héritage photographique et esthétique au cours d’entretiens avec celles qui l’ont connu, le film a été proposé sous le titre L’Effronté dans sa version française sortie en salle en juillet dernier.

Sa mort accidentelle à Los Angeles en 2004 dans un accident de voiture au Château Marmont marque l’avant-dernier chapitre de sa sulfureuse légende. Le dernier, celui de l’héritage qu’Helmut Newton nous a laissé, s’écrit encore, témoignant de l’attraction qu’exerce toujours le photographe cent ans après sa naissance.

L’ouvrage Helmut Newton. Legacy est disponible aux éditions Taschen. Une exposition internationale itinéraire consacrée à l’œuvre du photographe est présentée à la Fondation Helmut Newton à Berlin du 31 octobre 2021 au 22 mai 2022.

Ce zoom est à retrouver dans le numéro 5 de la Revue Epic qui sort début février.