Mise à jour du 27 janvier : Paris Photo conserve son rendez-vous en novembre, mais la FIAC se voit remplacée par le groupe suisse MCH, qui organise notamment la foire Art Basel et organisera désormais une foire d’art contemporain à Paris dès octobre 2022.
Pas de trêve des confiseurs pour le marché de la photo en France. En décembre dernier, la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) lançait un « avis d’appel à propositions pour l’occupation du Grand Palais » aux mêmes dates que la FIAC et Paris Photo. Ces deux événements sont-ils en danger dès 2022 ? L’incertitude plane et les acteurs de la photo en France retiennent leur souffle et s’adressent à l’Etat dans une lettre ouverte. Explications.
En novembre dernier, nous rappelions la place primordiale qu’occupaient Paris et la France dans le paysage de la photographie, notamment grâce à l’évènement devenu incontournable qu’est Paris Photo. La foire célébrait alors sa 24e édition, toute à la joie de voir se retrouver artistes photographes, galeristes, tireurs, collectionneurs et visiteurs après une édition 2020 annulée.
L’édition 2021 montre un recul en termes de fréquentation, avec 58 000 visiteurs (contre 70 000 en 2019), marquée par l’absence de voyageurs étrangers. Est-ce la raison pour laquelle le Grand Palais remet en cause la tenue de l’évènement en son sein dès novembre prochain ?
Si officiellement rien n’a encore été annoncé, le lancement le 8 décembre dernier d’un appel d’offres pour l’organisation d’événements artistiques aux dates habituelles de la FIAC (la foire d’art contemporain) et de Paris Photo par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) inquiète.
Au caractère inattendu de cette annonce aux portes des fêtes de fin d’année s’est ajouté l’étrange brièveté du délai de 3 semaines de cet appel d’offres dont l’enjeu est de taille : 7 années et 20 millions d’euros d’engagements fermes minimum.
Dans le détail de cet « avis d’appel à propositions », on trouve la mention de deux événements distincts, présentés comme une manifestation internationale d’art contemporain en octobre et une manifestation de photographie en novembre.
Cette dernière doit ainsi « être d’envergure internationale tant par ses galeristes que par son visitorat et faire internationalement référence dans le secteur de la photographie, tout comme son directeur artistique », peut-on lire dans les conditions d’exploitation de l’appel.
Remplacer Paris Photo, comme la quasi-cinquantenaire FIAC, en proposant ces dates comme « deux lots distincts » à qui souhaitait y substituer d’autres manifestations serait lourd de conséquences pour les acteurs de la scène culturelle et photographique. La première serait la perte des noms FIAC et Paris Photo, que l’organisateur actuel ne souhaite pas céder.
D’autant plus que cet appel d’offres, initié suite à la demande d’un acteur international ayant montré une « marque d’intérêt spontanée », se réalise de manière soudaine et rapide. Rappelons tout de même que RX France est une filiale de la société anglo-néerlandaise RX Global. Certains parient déjà sur le suisse Art Basel ou l’anglais Frieze.
Paris Photo a réussi à s’imposer comme un rendez-vous incontournables dans le domaine de la photographie et de l’art, en constituant un écosystème d’acteurs dynamiques mais fragiles. En outre, l’événement offre un rayonnement de Paris et de la France avec une part non négligeable de visiteurs et surtout d’acheteurs étrangers.
Les Filles de la Photo ont été parmi les premières à faire entendre leurs inquiétudes en publiant une lettre ouverte au président de la République et à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Signé par nombre de professionnels de la photographie, le texte suivant a été envoyé à nos élus. Un message de la part de RX France (organisateur des deux foires) est également en ligne sur le site de Paris Photo comme de la FIAC.
Voici la lettre de l’association Les Filles de la Photo, republiée en entier ci-dessous :
« Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre,
Ce sont les acteurs majeurs de la photographie qui s’adressent à vous dans cette lettre ouverte pour vous faire part de leur crainte de voir la foire Paris Photo remise en question alors même que la France est l’un des fleurons des grandes rencontres photographiques mondiales au travers de deux événements incontournables que sont Paris Photo en novembre et les Rencontres d’Arles en été.
Le récent appel d’offre annoncé par la Réunion des Musées Nationaux Grand Palais le 8 décembre à RX, opérateur depuis plusieurs années de Paris Photo, pour un rendu le 31 décembre, a pour le moins surpris dans un premier temps puis inquiété dans un second temps. Ce dernier aurait été lancé à la suite d’une récente manifestation d’intérêt d’un opérateur international qui souhaiterait préempter les créneaux d’octobre et novembre respectivement attribués à la FIAC et à Paris Photo depuis de nombreuses années. En outre, le périmètre de cet appel d’offre porte de 2022 à 2028, incluant une augmentation substantielle du loyer.
Paris Photo est un levier majeur du rayonnement de la création photographique française et internationale, ainsi que de l’édition spécialisée pour qui cette rencontre annuelle est essentielle en termes de visibilité, de ventes mais aussi de liens tissés pour des projets transnationaux.
Dans un contexte où les auteurs photographes subissent une forte chute de leur chiffre d’affaires et peinent à défendre leurs droits d’auteurs, où les galeries ont pâti de la pandémie depuis deux ans et où les photojournalistes sont mis à mal dans leur travail, ce signal est de nature à générer de la confusion sur les ambitions culturelles de la France. L’un des sujets portés par la commission Franceschini, dont le rapport est attendu dans les jours qui viennent, n’est-il pas de proposer des solutions pour donner de la visibilité à la scène française en France et à l’international ? Son auteure n’a-t-elle pas également consulté des filières du livre, de la création, de la diffusion pour repenser leur modèle économique ?
L’année a démarré avec l’annonce des cent premiers lauréats de la grande commande photographique opérée par la Bnf mais cette dernière ne constitue pas à elle-seule un signal rassurant d’une politique volontariste pour soutenir la photographie en France.
Pour la défense des intérêts de notre secteur, nous vous encourageons vivement à soutenir le projet de Paris Photo. La foire a tissé des liens depuis plusieurs années avec les galeristes, les artistes auteurs, les commissaires d’exposition, les éditeurs, les critiques d’art, les collectionneurs, garants de la vitalité et de la créativité de la scène française notamment, tout en ayant réussi à fidéliser les acteurs internationaux (collectionneurs, galeries, institutions) à haut pouvoir d’achat au sein de la foire et dans notre capitale (instances publiques et privées du monde de l’art au sens large, hôtellerie- restauration etc.) pour une semaine au moins.
Le parcours des femmes photographes, réalisé à l’initiative du ministère de la Culture est également une preuve de l’ouverture de la foire aux enjeux sociétaux de mixité et de représentation des diversités.
Paris Photo est le premier rendez-vous photographique international qui attire un public large de collectionneurs et d’amateurs et est également une foire qui essaime dans le cadre d’un parcours off, d’événements coordonnés sur les mêmes dates, permettant de générer des ventes pour les galeries parisiennes mais aussi des salons spécialisés dans l’édition tels Polycopie ou encore Offprint.
C’est pourquoi il nous apparaît aujourd’hui essentiel de garantir la pérennité de cette foire Paris Photo au Grand Palais en novembre. Pour les photographes, associations, organisations professionnelles, galeries, éditeurs, entreprises culturelles et centres d’art que nous représentons collectivement, l’enjeu est stratégique.
Se connaissant bien et depuis longtemps, Paris Photo et la scène française sont en mesure de collaborer de façon constructive et innovante pour répondre aux nouveaux défis créatifs et économiques que rencontre la photographie et satisfaire voire dépasser les ambitions d’une telle foire internationale.
Les industries culturelles et créatives de la photographie sont inquiètes de la précipitation dans laquelle est mené cet appel d’offre et du risque de voir disparaître Paris Photo au Grand Palais Ephémère dès 2022 puis au Grand Palais après travaux.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Les Filles de la Photo »