Homme de plume de génie, chef de file du roman naturaliste, Émile Zola (1840-1902) était également un fervent photographe. Si nous connaissons tous le romancier, peu d’entre nous ont découvert Zola par l’image. Bien que la photographie demeurât un hobby pour le père de la série des Rougon-Macquart, il n’en manquait pas moins de talent. Retour sur un pan photographique peu connu de l’histoire d’Émile Zola.
En 1894, Émile Zola a 54 ans. Il a achevé son œuvre littéraire majeure Les Rougon-Maquart. Loin d’Émile Zola pourtant l’envie de rester oisif. Le romancier s’éprend de la photographie, au point de faire installer un laboratoire de développement dans chacune de ses résidences, à Paris, Verneuil et Medan. Assoiffé d’images il réalisera plus de 7000 plaques photographiques.
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Immortaliser ses vies de famille
Dix ans durant, jusqu’à sa mort en 1902, Émile Zola capturera des instantanées de sa double vie. L’écrivain partage en effet sa vie de couple entre son épouse Alexandrine Meley, avec qui il n’aura jamais d’enfants, et Jeanne Rozerot, qui lui donnera deux enfants, Denise et Jacques. Cette double vie restera secrète jusqu’en 1891. À Medan, auprès d’Alexandrine, son cercle d’amis se plait à poser pour lui. Tour à tour Maupassant, Huysmans ou Cézanne se font tirer le portrait par l’ami Zola.
À Verneuil, Zola saisit le moindre profil de Jeanne, les débuts de leur histoire d’amour coïncideront d’ailleurs avec sa découverte de la photographie, mais surtout documente avec passion l’enfance de Denise et de Jacques en inlassable admirateur de ses enfants. Il réalise un album luxueusement relié intitulé Denise et Jacques, Histoire vraie par Émile Zola, juin-septembre 1897 qu’il dédicace à l’attention de sa maitresse. Pour mieux capturer la vigueur de l’enfance, Zola multiplie les prises, 96 pour ce seul album, les images s’enchainent à la façon d’un film, avant l’apparition du cinématographe. Regard tendre d’un père sur ses enfants ou volonté de légitimer cette famille cachée en lui offrant une existence sur l’image à la vue de tous ? Quoi qu’il en soit, Zola réalise à Verneuil des centaines de photos.
Un témoin scrupuleux de son temps
Figure de proue du naturalisme littéraire, romancier à qui l’on doit des descriptions de Paris plus vraies que nature, Zola ne s’est pas cantonné à photographier ses dimanches en famille et Paris est toujours présente. Derrière son objectif, l’auteur de Nana capture l’effervescence de la capitale notamment au moment de l’exposition universelle de 1900.
Sa pratique évolue en parallèle des avancées de la photographie, bientôt il saisit les trains en mouvement et se photographie à vélo. Contraint à l’exil en juillet 1898 pour son célèbre J’Accuse, Zola rejoint Londres. La photographie l’y accompagne. Au travers de ses clichés, c’est donc les dix dernières années de la vie d’Émile Zola qui se déroulent devant nous.
Émile Zola s’essaie également avec succès à l’autoportrait, il se met inlassablement en scène avant d’appuyer sur un déclencheur de sa fabrication. La mise en scène de ces clichés est alors minimaliste, Zola va à l’essentiel, utilise parfois une simple toile blanche en guise de décor pour mieux mettre en lumière le visage. C’est dans le tirage qu’il fait preuve de créativité, réalisant son autoportrait à l’aide de différentes techniques telles que le cyanotype.
Est-ce son regard de romancier, attentif à la force de chaque détail, qui guide sa lecture avertie des paysages ? Nul doute que Zola devient en peu de temps un photographe technique, au fait des lignes de force de l’image. Il maitrise l’utilisation de son appareil panoramique, n’hésite pas à varier les angles de vue, essaie sans relâche de saisir ce qu’il perçoit. Comme il y est si bien parvenu dans ses romans, Zola capture par l’image l’air du temps, la fin du XIXe. Peut-être moins détachée que son œuvre littéraire, sa photographie demeure intime, documente son quotidien et met en scène ceux qui lui sont chers.
Le sens du détail littéraire et visuel
Si Émile Zola s’adonne par passion à la photographie, l’auteur de l’Assommoir n’en manque pas moins de maitrise. Bien qu’il soit très probablement conseillé par Nadar, avec qui il entretient une correspondance nourrie, Zola se forme en autodidacte par l’expérimentation, fait quelques erreurs, mais surtout en tire de précieuses leçons. Zola met au point des techniques personnelles et, avec la rigueur et la minutie qui le caractérise, effectue de multiples recherches scrupuleusement annotées.
Temps de pose, corrections nécessaires, qualité des plaques de verre utilisées… ici encore aucun détail n’échappe à l’œil aiguisé de Zola qui déclarait : « À mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une photographie. » L’époque est aux tirages sur plaques de verre, mais bientôt la pellicule effectue ses premières apparitions et Zola s’y essaie. Argentique, papier citrate ou cyanotype, Zola n’hésite pas à varier les procédés. Le romancier maitrise d’ailleurs parfaitement le processus chimique, indispensable pour un photographe en cette période où la pratique est encore rare et réservée à quelques initiés fortunés.
« À mon avis, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose à fond si vous n’en avez pas pris une photographie. »
Émile Zola
Un célèbre photographe demeuré anonyme
Si le maitre a des velléités en matière de littérature, il n’en est rien pour la photographie. 10 ans durant, Zola composera des albums photographiques personnels, sans jamais rechercher la publication de ses images. Comme Zola le déclara lors d’une interview, la photographie sera « son nouveau violon d’Ingres », elle demeurera sa bulle de respiration, un loisir dédié à son propre plaisir, seulement soumis au regard de ses proches. Son éditeur Georges Charpentier faisait toutefois partie de ses quelques modèles de prédilection lors de leurs vacances à Royan.
Il faudra attendre un siècle, jusqu’aux années 80, pour que le public prenne la mesure de cette autre facette artistique de l’un des auteurs ayant façonné notre littérature. Ce sera d’ailleurs un livre, Zola Photographe écrit par son petit-fils qui se fera le messager de la passion que portait son illustre grand-père à la photographie.
Pour les experts et critiques, il ne fait aucun doute que le regard naturaliste de Zola imprègne sa pratique photographique épurée, là où d’autres écrivains amateurs de photographie, à l’image de Victor Hugo qui s’y adonnera lors de son exil de Jersey à Guernesey, adoptent un parti-pris et des mises en scène plus romantiques.
L’héritage d’un photographe et auteur prolifique
En 2017, la veuve du petit fils de l’écrivain et la maison de ventes aux enchères Artcurial organisaient une vente unique, adjugeant un vaste fonds photographique composé à la fois des œuvres et du matériel d’Émile Zola. Appareils photo – Zola en possédait plus de dix dont un Folding Eastman Kodak Cartridge N°5 – et tirages d’époque étaient bien sûr au rendez-vous ainsi que des effets personnels ayant appartenu à l’auteur, comme sa blouse de laboratoire brodée de ses initiales.
Parmi les 2000 exemplaires parvenus jusqu’à nous, une grande majorité des négatifs sur verre réalisés par l’auteur entre 1894 et 1902 étaient proposés lors de cette adjudication exceptionnelle, ils ont été acquis pour près de 50 000 euros. Les 8 épreuves d’un portrait de Denise réalisé entre 1898 et 1899 connurent un grand succès, établissant à 35 100 euros le record pour une photographie prise par l’auteur de Germinal. Achetées par l’État français au bénéfice de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ces plaques de verre ont pu être largement restaurées grâce à un appel public à contribution. Plusieurs tirages ont depuis fait l’objet d’expositions, notamment au Jeu de Paume et sont depuis entrés dans les collections publiques, comme celles du Musée d’Orsay.
Homme de lettres et d’images, Émile Zola est avant tout un témoin de son temps. À ces romans ont succédé ses albums photo. Page après page, tous apportent un éclairage précieux sur la France du XIXe, mais aussi sur l’intimité de l’auteur d’une œuvre littéraire fondatrice.