Revue de livre : Lartigue, l’enfance d’un photographe

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sur 10

Les éditions La Martinière et Louise Baring, auteur de plusieurs livres sur la photographie, nous invitent à découvrir des photographies inédites de Jacques Henri Lartigue (1894-1986). Lartigue, L’enfance d’un Photographe rassemble des clichés du photographe français pris de son enfance à son adolescence mais aussi des extraits de ses carnets. Insatiable homme d’image, Jacques Henri Lartigue se révèle au fil des pages comme un génie précoce dont l’enfance accompagna les premiers temps de la photographie.

La photographie comme curiosité familiale

En 1963, Jaques Henri Lartigue a 69 ans, le MoMA lui dédie sa première exposition et présente ses photos d’enfance. Le conservateur reconnait son génie précoce: « Il n’y avait peut-être qu’un enfant doté d’énormes talents et livré à lui-même, pour faire ces images ». Voici qu’environ 60 ans après ses débuts, Jacques Henri Lartigue se fait un nom !

Jacques Henri Lartigue s’initie dès ses 7 ans à la photographie grâce à un appareil offert par son père. De l’avis des critiques, dès ses 11 ans, ses photos tiennent du chef-d’œuvre. Lartigue ne s’est pas fait seul. Son père, un riche photographe amateur, lui a ouvert les portes de sa chambre noire dans une France à l’orée du XXe siècle captivée par la photographie.

À 7 ans, Henri Lartigue, voulait déjà fabriquer un « piège d’œil » qui permettrait en clignant des yeux de ne jamais oublier une scène. Ce dont le père a rêvé, le fils le sublimera grâce à son talent et à sa maitrise de la composition. Sa nourrice, son frère ainé Zissou, sa cousine… ce sont eux ses premiers modèles, capturés par un Jacques Henri Lartigue jamais à court d’idées pour saisir un geste, une attitude, un mouvement. Son envie est déjà d’immortaliser, de capturer à jamais ces courts instants et d’attraper « le bonheur au vol ».

Un collectionneur d’instants fugaces

Voir le monde à l’envers, derrière le fin voile noir refuge du photographe, voilà où commence la mémoire photographique de Jaques Henri Lartigue. Il ne se lasse pas de développer des photos dans la chambre noire familiale puis les annote et les classe patiemment. Observateur, il croque ses photos avant leur développement par peur d’un tirage raté.

Les pages des journaux de Jacques Henri Lartigue documentent scrupuleusement chacune de ses journées et permettent de découvrir croquis, annotations et dessins d’enfants. Plus que tout, il désire saisir « ces choses qui passent très vite et restent en photo » ; une fugacité parfois bien difficile à saisir au vu des temps de pose des appareils de l’époque, pourtant la maitrise technique du garçon est impressionnante.

Un Gaumont Block-Notes 4,5 × 6 cm puis des appareils de plus en plus légers et rapides lui permettent de réaliser ses instantanées. Autoportrait à l’heure du bain, prise de vue au ras du sol… un rien suscite l’imagination du jeune garçon. La photographie est un jeu qu’il pratique chaque jour avec la même excitation.

Jacques Henri Lartigue vit pour la photographie. Chaque instant digne d’être vécu doit devenir une photographie – et une tentative ratée vaut mieux qu’une photo manquée. « Le regret de la photo manquée commence à rôder en moi. C’est même autre chose qu’un regret […] comme une espèce de chagrin dont on ne peut pas se consoler », écrit-t-il.

Avec son inséparable Kodak Brownie N°2, il immortalise sa cousine Simone, son premier amour, sur les plages normandes. Dans le parc de la maison de campagne familiale, plongeons, construction de planeurs et jeux au cours desquels les adultes retombent en enfance sont saisis avec humour.

Spectateur du monde de l’enfance, Jacques Henri Lartigue vit à travers son objectif, mais est aussi un spectateur curieux du monde des adultes qui se refuse encore à lui, pour son plus grand bonheur.

Des petits riens qui font une vie de photographe

Les sept chapitres du livre constituent un véritable inventaire à la Prévert. Album balnéaire et vie sportive captivent en effet le jeune garçon. « Le vent, la pluie, les vagues sont les trois seules choses qui savent trouver une petite porte pour pénétrer la mémoire », écrit-il en 1927.

Hôtel des Roches Noires à Trouville, élégantes en jupon et chapeaux le long du rivage d’Étretat… Jacques Henri Lartigue a saisi la belle société du début du XXe. Dans ce jeu de piste décrypté pour nous par l’auteur, les personnages du microcosme parisien refont surface le long du rivage normand. Il en va ainsi des clichés volés de Claude Debussy pris par un Jacques Henri Lartigue paparazzi avant l’heure.

Le jeune garçon perçoit ce monde à travers ses yeux d’enfant épris d’aventures, confiné dans la bonne société de l’époque. Il réalise des clichés d’une grande fraicheur comme cette photographie d’une femme de chambre mi-ébahie mi-suspicieuse qui découvre la mer pour la première fois.

Grand observateur, Jacques Henri Lartigue profitera des sorties des élégantes au bois de Boulogne pour faire des photos de mode qu’il prolonge dans des séries de croquis parfaitement exécutés. Les actrices et les cocottes, vêtues de robes majestueuses et d’exubérants chapeaux de plumes, constituent ses modèles de prédilection. Lartigue croque les femmes qui paradent au bois ou aux courses hippiques à la manière de caricatures. Si l’adolescent a un œil pour l’élégance, il ne manque pas de mordant.

Capturer le changement du monde

Jacques Henri Lartigue connaît une enfance choyée. Père et fils aiment s’amuser, essayer de nouvelles inventions, de la voiture aux lampes électriques. Tour Eiffel, exposition universelles, cinéma, automobiles, premiers vols en aéroplane, grands magasins, premier métro… L’époque est fascinante pour cet enfant de 6 ans et toute aventure est hautement photogénique. D’ailleurs il ne veut pas grandir : l’idée de quitter cet âge d’or de l’enfance le remplit de chagrin.

Muni d’une fausse carte de presse, Lartigue parviendra des années plus tard à se faire une place dans l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux. Carte peu usurpée, car ses photos sont sélectionnées pour la une de La Vie au Grand Air. Vols, courses automobiles… la vitesse l’attire, il parvient à saisir des images sportives arrêtant ces hommes de légendes dans leur course effrénée vers l’avenir. Jaques Henri Lartigue incarne lui-même parfaitement cette jeunesse assoiffée d’aventures, prises entre deux siècles.

« Un film, vous pouvez le voir deux ou trois fois, après, ça devient une rengaine, alors que les photos, on peut les revoir avec un grand plaisir. »

En 1912, Jacques Henri Lartigue s’essaie aux autochromes puis étrenne ses premières caméras. Le garçon comme la photographie quittent doucement l’enfance. Sa caméra Pathé professionnelle 35 mm l’accompagne et toujours, son crayon esquisse le storyboard des aventures. Pathé lui achète des bobines ; non sans fierté Lartigue savoure cette petite notoriété avant de revenir à la photographie dont au moins il ne se lasse jamais : « Un film, vous pouvez le voir deux ou trois fois, après, ça devient une rengaine, alors que les photos, on peut les revoir avec un grand plaisir. »

La fin de l’insouciance ?

L’ouvrage s’achève sur quelques pages consacrées à l’appel à la mobilisation en août 1914. L’enfance, comme la paix, semble bel et bien finie, mais pour le jeune Lartigue l’insouciance perdure encore un temps.

Lartigue s’est éteint en 1986 à 92 ans, nous laissant des milliers de tirages, négatifs et carnets. Nul doute que ses images ne cesseront d’être revisitées et redécouvertes, lui-même ne se lassait pas de ses albums « nouveaux vieux » mêlant archives personnelles et travail contemporain.

Ne pas perdre la mémoire de ces instants, voilà ce qui animait Jacques Henri Lartigue. Ce livre est un précieux témoignage qui nous assure à notre tour de ne jamais perdre la mémoire de ce grand monsieur, éternel petit garçon.

Les textes de Louise Baring ressuscitent avec justesse le souvenir des jeunes années de ce talentueux photographe comme de son époque. Lartigue, L’enfance d’un photographe (192 pages, 90 x 240 mm) est disponible au tarif de 29,90 euros.

Revue de livre : Lartigue, l’enfance d’un photographe
Contenu du livre
9
Mise en page & impression
7
Rapport qualité-prix
8
Points forts
Photographies, journaux d'enfances & croquis savamment mêlés
Textes instructifs révélant le caractère historique de l'époque
Bel hommage à ces quelques années décisives dans l'oeuvre du photographe
Points faibles
Davantage l'histoire de Lartigue qu'une analyse d'images
Format un peu petit pour apprécier les photos
8
sur 10