Sandra Herber, Ice Fishing Huts : « je veux transmettre un sentiment de solitude absolue »

Passionnée de photo, Sandra Herber partage son temps entre son quotidien de bibliothécaire dans un collège de Toronto et la photographie. Son approche minimaliste s’exprime dans ses photoreportages canadiens comme dans ses séries photographiées à travers le monde.

Le travail de Sandra Herber a progressivement gagné la reconnaissance de nombreuses publications et obtenu plusieurs récompenses. La dernière en date ? Le 1er prix Sony World Photography Awards 2020 (SWPA) dans la catégorie Professional Architecture pour sa série Ice Fishing Huts, Lake Winnipeg. Rencontre avec la talentueuse photographe.

© Sandra Herber by Trina Koster

Comment avez-vous eu l’idée de photographier les cabanes de pêche de Manitoba ?

Comme la plupart des Canadiens, je sais que dans de nombreuses régions, les gens pêchent en hiver dans des cabanes bâties sur la glace. Ce n’est qu’en 2018 que j’ai eu l’idée de les photographier lorsqu’un ami m’a invité à visiter la province de Manitoba et à utiliser sa cabane sur le lac Winnipeg.

Je me suis immédiatement demandé si je pouvais trouver un sujet à photographier dans ces environs. Après une rapide recherche en ligne, j’ai découvert ces cabanes ; instantanément j’ai su que j’avais trouvé mon prochain sujet. Les images récompensées par le SWPA sont en fait issues d’un second voyage effectué en décembre 2019.

© Sandra Herber

Comment choisissez-vous le thème de votre prochaine série ?

Je travaille souvent sur plusieurs séries photo parallèles pendant de nombreuses années. Je travaille sur une série sur d’anciens silos à grain abandonnés dans les prairies canadiennes depuis 2013 et sur une autre série d’images infrarouges de ruines mayas au Mexique depuis 2014. Il arrive donc souvent que ma prochaine série, ou mon prochain voyage, ne soient que la suite d’une série précédente.

Je ne commence pas souvent de nouvelles séries. Ces derniers temps, je suis de plus en plus attirée par la photographie hivernale, au Canada et dans les régions polaires comme le Groenland et l’Antarctique.  J’espère que ce sera le fil conducteur de ma prochaine série, quand il sera à nouveau possible de voyager.

Votre intention photographique est de plus en plus minimaliste, comment décririez-vous votre approche ?

J’aime la simplicité, en photographie comme dans le design. J’espère que mes images transmettent un sentiment de paix, de sérénité et de contemplation tranquille. Je veux transmettre un sentiment de solitude absolue. Ce sont des émotions plus personnelles qui se reflètent dans le type de sujets que je choisis et dans la façon dont je les immortalise.

© Sandra Herber

Quel est votre conseil pour réussir une photo minimaliste d’un paysage hivernal ?

Je pense que le minimalisme en hiver est en fait relativement facile à obtenir puisque la neige recouvre les éventuelles distractions. J’aime particulièrement prendre des photos dans les prairies canadiennes où le paysage est déjà assez simple. Avec un tel décor et de la neige, vous aurez beaucoup de choix merveilleux pour des images minimalistes.

Je suis pour ma part particulièrement attirée par les éléments créés par l’homme dans ces paysages ouverts : un silo à grain, une cabane de pêche ou une ferme abandonnée. Je pense que les images minimalistes des prairies canadiennes traduisent la robustesse et la résilience des habitants de ces terres qui sont souvent confrontés à l’isolement et à des conditions difficiles (en hiver comme en été).

© Sandra Herber

Vous sentez vous témoin de l’effet du réchauffement climatique sur ces territoires polaires et leurs populations ?

Oui, tout à fait ! Lorsque j’étais au Groenland, la température avoisinait les 20°C. En février dernier je me suis rendue en Antarctique. Là-bas, une semaine avant mon arrivée, ont été enregistrées les températures les plus élevées jamais constatées. En plus de l’exceptionnel manque de neige à Manitoba cette année, il y a eu le manque de glace sur les lacs qui a causé plusieurs accidents.

Sur la rivière Rouge, aucune cabane n’est sortie cet hiver. La combinaison du manque de neige, de froid et de glaces brisées a rendu ce début de saison difficile pour les pêcheurs. Cette situation reflète les changements climatiques qui affectent les pêcheurs sur glace dans toute l’Amérique du Nord, comme dans beaucoup d’autres régions du monde.

© Sandra Herber

Quel est votre meilleur souvenir lié à ce photoreportage ?

J’ai engagé un guide de pêche sur glace pour m’emmener plus loin sur la glace afin de pouvoir photographier les cabanes situées au large. Dans certaines régions, il est possible de marcher pour photographier les huttes, mais je voulais accéder à des cabanes plus éloignées. Je voulais un type de lumière particulier :  une lumière douce et nuageuse.

En hiver à Manitoba, il est beaucoup plus probable d’avoir du soleil avec un ciel clair. Quelques jours avant notre sortie, les prévisions ont commencé à annoncer que la journée serait ensoleillée avec quelques nuages épars ; je ne pouvais pas annuler ma sortie alors j’ai décidé de voir quelques huttes sans m’attendre à revenir avec de bonnes images. Le soleil brillait intensément, mais au fur et à mesure que la journée avançait, des nuages s’annonçaient à l’horizon.

« Je pense que nous allons obtenir les nuages que vous vouliez », a dit mon guide et il avait raison ! J’ai eu la belle et douce lumière que je voulais. Il n’y a rien que nous puissions faire pour contrôler le temps ; les photographes de paysage connaissent ce sentiment d’être à la merci de la lumière, des conditions. Parfois, les photos que vous espériez prendre ne peuvent tout simplement pas être réalisées, mais parfois, comme ce jour-là, vous avez de la chance et c’est toujours un frisson.

© Sandra Herber

Votre prix SWPA va-t-il changer votre rapport à la photographie ? Quel est votre prochain projet ?

Je ne suis pas photographe à plein temps. J’ai beaucoup de chance d’avoir un travail que j’aime qui m’offre assez de temps pour m’adonner à mon amour des voyages, de l’aventure et de la photographie.

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Pour l’instant, la pandémie nous amène à rester chez nous et je ne prévois pas de voyager à l’étranger avant un bon moment. Je pourrai peut-être continuer à travailler sur mes projets minimalistes dans les Prairies canadiennes cet hiver.

© Sandra Herber

À long terme, j’aimerais retourner au Groenland au début ou à la fin de l’hiver et continuer à photographier dans les régions polaires. En ce moment, je travaille de chez moi sur mes images de voyages passés. Je pense que mon prochain projet ne sera pas lié aux voyages, mais plutôt dédié à l’impression de mes propres images.

Quels photographes vous inspirent ?

Il y a tant de photographes que j’admire et qui m’inspirent ! Parmi les icônes de la photographie, j’aime le travail de Michael Kenna, Ansel Adams, Michael Levin, Nick Brandt, Mitch Dobrowner, et Bernd et Hilla Becher.

Pour les photographes contemporains, dont beaucoup sont devenus des amis (du moins en ligne), mes préférés sont Rohan Reilly, Nathan Wirth, Brian Day, Cole Thompson, Hengki Koentjoro, Amy Sacka, Jan Bell, Trevor Cotton, Stephen Cairns, Vesa Pihanurmi, Pierre Pellegrini, Les Forrester, Andy Lee ou encore Swee Oh.


Merci à Sandra pour ses réponses.

Vous pouvez découvrir le travail de Sandra Herber sur son site internet ainsi que le site des Sony World Photography Awards.