Le photographe Christophe Hargoues s’est rendu dans une résidence pour personnes atteintes de maladies neuromusculaires dégénératives. Touché par leurs univers à tous, l’artiste a souhaité faire un portrait personnalisé à chacun. Le résultat est publié dans la série EXTRA/ordinaire qu’il nous présente.

Christophe était ingénieur en bois à l’origine, responsable de productions dans une scierie dans les Landes. Après une année sabbatique remplie de questionnement, la photographie est venue à lui un peu comme une évidence : « J’avais l’impression depuis très longtemps que je voyais des choses, que j’étais contemplatif, que c’était des choses plus faciles peut-être, mais sans jamais franchir le pas. »
Après avoir vu le court métrage très photogénique Cashback, Christophe Hargoues a décidé de se lancer dans cet art. Son ami d’école, le photographe Stéphane Lavoué, lui a conseillé une école ainsi que quelques astuces indispensables pour réussir dans le monde de la photographie. Depuis, il enchaine les commandes, principalement dans le secteur social.

Extra ordinaire est venue également par hasard, au détour d’une impasse pendant un autre reportage qui n’avait aucun rapport. Le photographe devait passer par la résidence pour personnes handicapées pour aller au point de rendez-vous.
« Cette série est née d’une sorte de choc »

En traversant les couloirs remplis de chambres ouvertes, l’artiste s’est rendu compte que chacun des résidents avait un univers bien à eux dont ils imprégnaient leur chambre, leur unique lieu de vie pour beaucoup. « Il y a une sorte de concentré de vie dans ces 15 ou 20 m² de chaque résident », nous explique le photographe. « À chaque fois que vous faites 3 mètres, vous découvrez un nouvel univers. »

« À partir de cette émotion-là et de ces univers, je me suis dit que j’allais faire des portraits et travailler sur le réel et l’imaginaire. »

Après un an d’échanges avec la direction de la résidence en août 2011, Christophe a pu démarrer son projet petit à petit. S’en est suivi un an de discussions avec les personnes handicapées de l’établissement, plus ou moins compliquées selon les types de handicaps. Une des dames, Annick ne pouvait plus parler par exemple. Elle clignait des yeux pour épeler chaque lettre une à une. Un travail fastidieux qui a donné une très jolie photographie (ci-dessous).

De septembre 2013 à mars 2016, Christophe Hargoues s’est attelé à la prise de vue. Chacune durait environ une demie-journée. La durée du projet est également due à la distance qui sépare le photographe parisien et la résidence de Saint Georges sur Loire à une quinzaine de kilomètres d’Angers.
Pendant cette période de shooting, d’autres personnes se sont intéressées au projet et ont souhaité avoir leur photographie. Ainsi, deux personnes se sont rajoutées au neufs personnes déjà intégrées dès le départ dans le projet.

Le décor a également été monté pièce par pièce par le photographe. Sans financement, mais avec beaucoup de bonne volonté, Christophe a fait tout son possible pour réaliser les rêves et les fantasmes que les résidents lui ont confiés : « On n’a pas d’argent, mais on a du temps alors on va le prendre. »

Ainsi, les 300 ballons ont été prêtés par un magasin pour faire plaisir au fan de football François, les plantes ont été amenées par une fleuriste locale, les peluches ont également été amenées sur place pour l’occasion…
Rien n’a été rajouté dans le cadre en postproduction. Tout ce que l’on voit dans la photographie a été disposé ainsi lors de la séance, sans cacher pour autant les appareils médicaux. Cela permet de naviguer entre la dure réalité des nécessités médicales d’une part, mais également dans l’irréel avec ces décors exagérés et envahissants.

De plus, les personnes qui accompagnent les résidents sur les photographies sont réellement issues des univers décrits. Les pom-pom girls et les footballeurs américains viennent tout droit de l’équipe d’Angers, le tatoueur est une connaissance d’une résidente qui a amené des amis métalleux et les militaires sont de vrais soldats venus du génie d’Angers avec une tenue authentique de démineur. Certains sont même restés en contact par la suite avec les habitants de la résidence.
Ça n’a pas toujours été facile de répondre exactement à leur demande, mais le photographe a tout fait pour satisfaire ses modèles et avoir de belles photographies. « Je leur ai dit « Soyez fou, lâchez-vous et après on verra ce qu’il est possible de faire. » »
« Je voulais rajouter de la folie, du surréalisme, de l’intemporel, des choses qui dépassent leur propre condition et qui fasse oublier aussi cette condition de personnes en souffrance. »

Grâce à ces échanges et à cette séance photo, les résidents ont pu s’évader et oublier leur situation. Cependant, la réalité est revenue plus brutalement que le photographe ne l’aurait pensé. Deux semaines après la séance photo de la jungle (en une), Laurent est décédé sans même avoir vu la photographie. Mais personne n’a perdu espoir et chacun a poursuivi le projet : « C’est une sorte de bras d’honneur à la mort ou au destin. »

Après un travail de cinq ans, le photographe partage maintenant sa série un peu partout, à commencer par son site. Il est également présent à la biennale de Nancy jusqu’au 13 mai 2018.