Lauren Greenfield - Generation Wealth

Revue de livre : Generation Wealth de Lauren Greenfield

Il a fallu 25 ans à la photographe et réalisatrice américaine, Lauren Greenfield, pour mener à terme son grand projet documentaire sur la population américaine, mais pas seulement, obsédée par la quête de fortune et de célébrité. De ce projet ambitieux et de long-terme en est retirée une impressionnante monographie (23,5 cm × 31,2 cm × 4,8 cm) de plus de 500 pages et de plus de 3 kg (!), intitulée Generation Wealth, qui compte au total 672 photographies et 150 témoignages.

Lauren Greenfield – Generation Wealth
Lauren Greenfield – Generation Wealth

Publié cette année chez Phaidon, ce livre (en anglais uniquement !) donne à voir la consommation à outrance de Los Angeles, mais aussi de Dubai, de Moscou, de la Chine, etc. Lauren Greenfield dévoile avec ces clichés les extrémités auxquelles peuvent arriver ceux qui aspirent à « l’influence de l’aisance ». Car ce livre ne parle pas vraiment de richesse en soi, mais plutôt de l’illusion, des apparences, du rêve inconsidéré de devenir riche et célèbre.

Lauren Greenfield – Generation Wealth

Une monographie de 500 pages sur l’aspiration contemporaine à devenir riche

« It is more about wanting than having » (« c’est plus le vouloir que l’avoir »). C’est ce que l’on comprend dès que l’on a le livre en main, avec sa couverture soyeuse volontairement tape-à-l’oeil exhibant une couleur « d’or faux » et la photo d’un cadre luxueux où l’on voit une mère (et son pull affirmant « Je suis du luxe ») et sa fille incarnant cette classe sociale qui en demande toujours plus.

Car, c’est ce que Lauren Greenfield a souhaité mettre en avant : parmi ceux qu’elle photographie, tous ne sont pas riches, mais aspirent à le devenir au risque de tomber dans le « piège de la fortune » et de sacrifier beaucoup pour les apparences. A travers des pages et des pages de photos de billets, de sacs de luxe, de manoirs richissimes, et d’interviews où l’on avoue que le plus important c’est de « montrer au monde entier que j’en ai plus que toi ou toi », Lauren Greenfield met le doigt sur l’un des travers des sociétés de consommation aujourd’hui : l’idée du « fake till you make it » (« fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives »). En clair, si tu n’es pas riche, fais semblant, et in fine, ça marchera.

Lauren Greenfield – Generation Wealth

Et cette idée-là n’est pas nouvelle, puisque le projet de Lauren Greenfield prend racine au début des années 1990, dans les couloirs même de son ancien lycée à Los Angeles, ce qui fait l’objet de la première section de son livre intitulée « Fast Forward ». Elle documente cette jeunesse préoccupée par leur aspiration à devenir riche et célèbre et à exhiber des billets de $100, comme un symbole de leur addiction de vivre au-dessus de leurs moyens.

Lauren Greenfield – Generation Wealth

Parce que là est la différence aujourd’hui, comme l’explique Lauren Greenfield : on ne cherche plus à ressembler à nos voisins, mais on prend comme modèle les célébrités. Et ce « culte de la célébrité » est facilitée par la médiatisation des stars, dans des émissions de télé-réalité et des photos de leur vie de tous les jours, faisant paraître leur statut plus accessible. C’est le règne du buzz, de la vidéo virale, de la « célébrité de 15 minutes » comme le prédisait Andy Warhol quelques années plus tôt. Parmi les photos d’illustres inconnus, multi-millionnaires ou qui aspirent à l’être, se superposent des Kim Kardashian et des Paris Hilton, plus jeunes, sur la voie de leur célébrité. Au milieu des photos de boutiques et de vêtements de luxe, on comprend que les enfants interviewés par Lauren Greenfield ne pensent qu’à devenir « riche et célèbre » dans ce monde où « nous sommes ce que nous achetons ».

Lauren Greenfield – Generation Wealth
© Lauren Greenfield – Generation Wealth – Jackie Siegel et ses amies portant des sacs Versace à l’ouverture privée d’une boutique Versace à Bervely Hills, Los Angeles.

Organisée en 12 sections thématiques, chacune dévoilant souvent 3 à 4 images par double-page et plusieurs extraits de témoignages et légendes ajoutés en colonnes, la mise en page du livre fait écho à son contenu avec cette idée de « trop-plein ». Le grand nombre d’images et d’informations données, la taille et le poids du livre, bien sûr en adéquation avec la longueur du projet ayant duré 25 ans, semblent aussi refléter comme un miroir l’avidité insatiable des sujets, leur quête excessive pour atteindre fortune, célébrité et beauté éternelles.

Jeunesse éternelle, quête de la beauté, culte de la célébrité… Une immersion dans le monde du matérialisme jusqu’à la chute.

Chaque section du livre révèle un pan socio-économique de cette « Génération Richesse » en montrant ce dont on peut être capable pour atteindre ce rêve de fortune et célébrité. Lauren Greenfield montre ainsi l’envers du décor.

Lauren Greenfield – Generation Wealth

Dans la partie « The princess brand », elle témoigne de l’influence de cette « girl culture » à travers l’exemple de plusieurs de ses participantes, petites filles, adolescentes et mères. « Elevées dans une dimension fantaisiste de la Barbie et de la princesse », les filles doivent s’intégrer, en grandissant, dans le monde de ces modèles ultra minces, sexy et toujours bien habillées. Elles apprennent à voir le corps comme unique valeur chez les femmes, ce qui amène à des dérives (troubles alimentaires, abus de chirurgie esthétique, perte drastique de confiance en elles).

© Lauren Greenfield – Generation Wealth – Kailia Deliz, 5, remporte le Concours de beauté « Summer Fun » du Ventura County.
Lauren Greenfield – Generation Wealth

Alors, après les images, dérangeantes, des concours de Mini-Miss dévoilant des petites filles sur-maquillées et sexualisées, s’ensuivent des images de leurs parents qui cherchent à tout prix à préserver une jeunesse (en apparence, au moins). Un nouveau culte associé à ce monde du matérialisme qui crée un nouveau business : celui de la chirurgie, du sexe, de la vénération de la jeunesse. Les photos de ces patient(e)s supportant le bistouri, la peau tirée ou le visage recouvert de bandages, laissent un certain malaise.

Lauren Greenfield – Generation Wealth

Et enfin, Lauren Greenfield s’est attachée à étudier les conséquences de la « crise des subprimes » en 2008 qui a pu transformer cet « American Dream » en cauchemar. Elle consacre tout un chapitre (« The Queen of Versailles ») à l’exemple du couple de David et Jackie Siegel qui ont entrepris de construire l’un des plus grands manoirs des Etats-Unis, inspiré du château de Versailles (rien que ça). Avec la crise, David voit sa compagnie menacée et la construction du manoir suspendue.

Lauren Greenfield – Generation Wealth – Jackie et David Siegel
Lauren Greenfield – Generation Wealth

Mais ils ne sont pas les seuls à devoir faire face à cette chute, et à Dubai, en Irlande, ou ailleurs, des « nouveaux riches » se retrouvent sans emploi ou avec des maisons à peine construites et déjà à l’abandon. Lauren Greenfield note toutefois une prise de conscience chez eux de ce « cercle vicieux » qui oblige à « dépenser de l’argent que l’on n’a pas ».

Finalement, Generation Wealth ne montre pas seulement l’obsession de la richesse en images, mais fait aussi état de la réalité des inégalités socio-économiques aujourd’hui : le manque de mobilité sociale, bien plus marqué qu’avant encore, s’empire avec une fausse mobilité fondée sur le paraître et le faux-semblant.

Lauren Greenfield – Generation Wealth – Après la crise de 2008
Lauren Greenfield – Generation Wealth – Mouvement de protestation contre Wall Street

Un état des lieux de nos sociétés obsédées par l’argent et le paraître

Avec ce projet ambitieux porté sur 25 ans, aux Etats-Unis, en Inde, en Chine, Lauren Greenfield nous livre une présentation authentique et honnête de cette « Génération Richesse », en quête de fortune, de célébrité et de jeunesse éternelles. La photographe et réalisatrice, qui a aussi tourné plusieurs films courts sur ce sujet, ne porte jamais un jugement condescendant sur ceux qu’elle documente, mais dévoile toutes les facettes de leurs vies, de leurs obsessions et désirs.

C’est un livre pour ceux qui connaissent le travail de titan de la photographe hyper-dynamique et/ou qui s’intéressent aux enquêtes sociologiques consacrées à la réalité de nos sociétés de consommation à outrance et de matérialisme. Avec sa mise en page à l’américaine (textes en colonne et souvent plusieurs photos par page), « Generation Wealth » dresse un portrait complet de l’influence de l’argent et de l’apparence et de leurs dérives aujourd’hui.

Le livre, en anglais uniquement, est en vente chez Phaidon ou sur Amazon à 69,95€.

Contenu du livre
8.5
Mise en page et impression
7
Rapport qualité / prix
8.4
8