© Alexandre Deschaumes

Interview d’Alexandre Deschaumes, artiste-photographe de paysages éthérés

Alexandre Deschaumes est un jeune photographe français de Haute-Savoie qui cherche à donner une « vision onirique et évocatrice de la nature » à travers ses photos. Sa rencontre avec le réalisateur Mathieu Le Lay, avec lequel nous nous étions entretenus dans une interview précédente, a été une expérience marquante qui s’est conclue avec la sortie de “La quête d’inspiration”, un film documentaire sur la démarche photographique d’Alexandre.

Toujours en quête de nouveaux lieux à explorer et de sensations à exprimer en images, Alexandre a pu discuter un peu avec nous de son travail et de son cheminement en photo. Voici son témoignage.

Tout d’abord, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Alexandre Deschaumes, j’ai 34 ans. Je ne sais pas trop comment me présenter. Disons que je fais des photos. J’aime bien retranscrire mes émotions en images. Je suis musicien aussi, plutôt dans l’improvisation spontanée. J’ai fait beaucoup de musique avant de faire de la photo, et j’ai d’ailleurs donné des cours de guitare pour gagner un peu d’argent dans les débuts.

© Alexandre Deschaumes
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Qu’est-ce qui t’a amené vers la photographie ?

Je fais de la photo depuis 2002-2003. À l’époque, je me sentais vraiment perdu. Je n’avais pas vraiment fait d’études, seulement un bac pro en informatique qui ne m’a pas du tout servi. J’ai fait des jobs alimentaires comme distribuer du courrier pour la Poste. Je me sentais mal et je n’aimais pas ce que je faisais. J’étais dans une sorte de mélancolie un peu spéciale. J’ai commencé à errer dans la forêt avec un appareil photo, à découvrir différentes ambiances et à apprécier ces sorties. C’est ce qui a amené ce besoin de m’exprimer. La musique ne suffisait plus, je pense, et donc j’ai essayé de faire des images. Ça m’est venu assez naturellement.

© Alexandre Deschaumes
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Comment t’es-tu formé en autodidacte au début des années 2000 ? Et que penses-tu des formations photo et sites de conseils aujourd’hui ?

Je n’ai pas suivi de cours, j’ai fait ça à ma façon, tranquillement. Quand j’ai commencé la photo, il n’y avait pas encore beaucoup de forums, de stages, des conseils en photo. Ce n’était pas la même dynamique qu’aujourd’hui. Donc dans mes débuts, je me suis formé par tâtonnements. Je faisais même des images un peu kitsch ! Mais j’ai appris comme ça.

Les blogs et cours en photo, c’est bien pour débuter. Mais je trouve que ça pose problème aussi, car ça peut avoir tendance à uniformiser. Après un stage ou deux, ou trop de tutoriel, quelqu’un peut réussir à refaire les mêmes photos que quelqu’un d’autre… Et au final, souvent, tout se ressemble. Particulièrement sur Instagram, on remarque assez facilement les modes, les tendances… C’est aussi généralement lié au business, relativement contradictoire avec l’inspiration pure et personnelle. J’ai de plus en plus de mal à trouver des nouveaux artistes qui me font encore réellement rêver.

C’est le même problème avec mes stages d’ailleurs. Ceux qui viennent finissent parfois par faire des images trop proches de mon travail. Donc je forme moi-même des clones voir des concurrents ensuite. Mais aujourd’hui j’essaye vraiment de leur dire de se prévoir de l’espace personnel pour développer leur propre chemin et leur propre style. Ce qui est très long ! Tout le monde n’a pas l’énergie et le temps pour ça.

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Quelles sont tes sources d’inspiration, parmi des photographes ou des artistes ?

Au-delà des émotions humaines, mes sources d’inspiration sont plutôt nombreuses, musiciens, artistes, peintres comme William Turner et Caspar David Friedrich par exemple. Quelques photographes m’inspirent aussi, mais surtout dans des genres que je ne fais pas moi-même. Ils m’apportent autre chose, surtout quand il arrive à montrer des détails très naturels, très simples d’une manière très belle. Par exemple, le travail de Vincent Munier m’attire beaucoup, dans toute sa poésie, sa finesse et sa simplicité.

Comment exprimes-tu tes ressentis, notamment ton rapport avec la nature, à travers tes photos ? Quels sont tes sujets de prédilection ?

À travers les environnements et les ambiances qui m’émeuvent, je cherche un écho avec mes sensations intérieures. J’ai tendance à décrire mon style de photo en “photographies éthérées”. C’est d’ailleurs le titre de mon livre, Voyage Ethéré. Ethéré, ça pourrait définir quelque chose de céleste. C’est difficile à expliquer, mais je cherche à donner à ma photographie une sorte de poésie, d’évocation mystérieuse. Enfin, c’est comme ça que ma photo devrait être idéalement, mais ce n’est pas toujours le cas !

© Alexandre Deschaumes
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Par exemple, j’aime bien explorer la forêt dans son atmosphère mystérieuse, brumeuse, un peu intimiste. La montagne m’attire aussi, avec son côté onirique, ses grands sommets esthétiques, sa roche gelée, ses pointes acérées qui sortent de la brume, etc. Je m’attarde souvent sur les détails simples de la nature. L’essentiel c’est que ça fasse appel à une forme de poésie.

Tes portraits et photos de paysages dégagent tous une atmosphère onirique. Comment parviens-tu à ce résultat ?

Ce qui est essentiel au-delà de tout, c’est la sensation de fascination avec la scène en face. Il faut un déclencheur visuel, une lumière particulière, des formes d’ombres sur un col de montagne. Après vient la technique : la focale adaptée, la sur/sous-exposition, les contrastes, la balance des blancs manuelle adaptée. Parfois il y a besoin de passer par la postproduction parce que les réglages sur place ne sont pas suffisants. Dans 80% des cas, j’essaye de rendre un contraste plus complexe pour une meilleure harmonie visuelle.

© Alexandre Deschaumes
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Mais je ne fais pas de transformations, je ne remplace pas un ciel ou je ne rajoute pas un animal. J’essaye de rester plus ou moins fidèle à ce qui s’est passé, même si certains paysages ont un aspect surréaliste. J’essaye de créer une ambiance avec des contrastes précis. C’est assez difficile de combiner le dilemme entre le perfectionnisme qu’on a pour l’ambiance qu’on veut créer et le respect de l’expérience réelle.

Par rapport aux paysages que tu photographies, où préfères-tu te rendre ?

Comme j’habite en Haute-Savoie vers Chamonix, je vais souvent en montagne pour faire des randos et prendre des photos. J’aime beaucoup les environs de Sixt Fer-à-Cheval, car il y a une montagne un peu spéciale, haute, avec des cascades. Je vérifie toujours la quarantaine de webcams dans la région que j’ai dans mes favoris pour regarder ce qu’il se passe un peu dans un endroit. Pour ça, il faut être réactif et avoir le sens du détail.

© Alexandre Deschaumes
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Sinon je fais aussi des voyages. Je suis allé 6 fois en Patagonie, 7 fois en Islande. Je vais souvent aux mêmes endroits, ça permet de peaufiner mes photos. La Patagonie continue toujours de m’inspirer, c’est un pays extraordinaire. Ce que je trouve dommage c’est que depuis 2013-2014, ça a beaucoup changé, c’est devenu plus touristique : tout le monde prend les mêmes photos des mêmes endroits, en mode grand-angle et pose longue. C’est pour ça que quand j’y vais, en faisant du trek dans les montagnes pendant 5-6 jours, j’essaye de diversifier les angles et les points de vue, et de capter des détails insoupçonnés.

Aujourd’hui je voudrais changer un peu, j’ai quelques idées de projets surtout dans l’Himalaya.

Tu voyages pas mal dans des endroits où les conditions de terrain ne sont pas les meilleures. Comment gères-tu ces difficultés ?

Je gère assez mal ces difficultés justement ! Je peux casser du matériel, l’équipement peut s’abîmer à cause de mauvaises conditions climatiques. J’ai essayé différentes techniques comme des housses protectrices sur l’appareil qui laissent un accès au contrôle du boîtier. Mais je trouve que ça gêne beaucoup la spontanéité et ça demande du temps. Donc ce que je finis par faire, c’est que je protège mon appareil sous ma veste imperméable, ma Gore-Tex.

Il faut savoir changer d’objectif et déclencher tout en bougeant. C’est très physique. Mais c’est souvent de ce genre d’action que j’aime, ces moments de fougue, quand il y a du vent, de la tempête. Ça donne quelque chose de vivant à l’image.

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Et niveau matériel photo et équipement, qu’est-ce que tu utilises quand tu pars en virée ?

Actuellement j’utilise un Canon 5DS R et un Canon 5D Mark IV. J’ai aussi toute une collection d’objectifs de différentes focales pour faire un peu de tout. J’aime bien le Canon 85mm f/1.2, notamment pour les portraits, parce que j’en fais aussi. Mais je m’en sers également dans la nature pour des détails. J’ai aussi des focales longues, 200, 300, 600mm pour isoler une montagne et en faire un portrait avec plus d’intensité et de détail. J’ai quelques objectifs grand-angles, du 24mm, que j’utilise moins aujourd’hui, au fisheye.

En plus de ça, je m’équipe avec des vêtements adaptés pour la montagne et du matériel de camping. Avant je prenais souvent mon trépied, mais de moins en moins aujourd’hui. Je trouve que ça enlève de ma spontanéité encore. Le dernier équipement essentiel pour moi, ce sont mes jumelles. C’est souvent grâce à elles que me vient l’inspiration : elles me permettent de scruter les détails et de m’immerger dans l’environnement.

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En plus de tout ce travail, tu es aussi formateur depuis 2008. Qu’est-ce qui t’a amené à faire ces stages ?

Organiser des workshops m’a amené à gagner un peu d’argent en faisant un job qui faisait sens pour moi pour la première fois de ma vie. J’aime bien transmettre ma passion, et c’est une façon de combiner les deux. J’ai pu rencontrer des personnes intriguées par mon travail et les emmener en montagne pour partager ce que je vis. Dans les débuts c’était intéressant. J’ai fait des voyages photo, en Patagonie par exemple avec 5-6 personnes. Ça me permet de prendre des photos et d’échanger sur ma passion, de créer des liens.

Mais ensuite, c’est devenu plus compliqué, parce que je ne voulais pas parler que de technique, que ce soit seulement un calquage de ce que je fais. Donc aujourd’hui, j’oriente plus sur l’espace que l’on s’accorde à soi, sur l’interprétation personnelle, sur la façon dont on peut s’exprimer avec les images. Ce sont plus des stages sur l’inspiration et la capacité à voir.

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On en a déjà bien parlé avec Mathieu Le Lay, mais peux-tu évoquer rapidement votre rencontre et le tournage de « La quête d’inspiration » ?

J’ai rencontré Mathieu en 2011 grâce à un ami commun. À l’époque, Mathieu faisait un premier documentaire sur le gypaète barbu, un oiseau de la région des Alpes. Mathieu s’est intéressé à ce que je faisais, puis il est revenu vers moi quelque temps après pour me dire qu’il voulait faire un vrai film d’auteur sur ma démarche de travail photo.

C’était une collaboration intéressante : j’ai aidé pour certains cadrages, je l’ai amené dans les endroits où j’allais comme en Patagonie par exemple. Ce film est un mélange entre mon regard personnel et son regard plus neutre, avec lequel il essaye de se mettre un peu dans ma peau pour faire en sorte qu’on soit proche de ma réflexion.

As-tu des conseils à donner à ceux qui aimeraient se lancer dans la photo de paysage ?

C’est compliqué parce que je ne peux donner des conseils que par rapport à mon cas. Le plus important c’est d’avoir un regard vif, d’être alerte et de rester proche de ses sensations, plus que de bien respecter les règles, d’aligner son trépied, de trouver la bonne focale. Tout ça peut amener à des images très esthétiques, mais qui sont vides d’émotions particulières. J’essaye d’aller à l’encontre de ça aujourd’hui même si j’ai beaucoup photographié comme ça auparavant.

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Celui qui veut débuter en photo de paysage doit aussi acquérir la technique ce qui permet de reproduire ce qu’on voit et de progresser. Mais il faut qu’il prenne conscience qu’il est encore loin d’une vision personnelle en photo. Il est important de se détacher des tendances, d’être à l’écoute de soi. Déterminer son style, c’est très long. C’est essentiel de se laisser de l’espace personnel, c‘est-à-dire du temps pour soi pour comprendre ses émotions et pour expérimenter, en allant au-delà de ce qui peut nous influencer. La photo paraît simple aujourd’hui puisqu’on peut facilement tout reproduire, mais c’est difficile de construire son propre style.

Un dernier mot ?

Je suis content d’avoir discuté, et en mot de fin généralement, c’est merci ! Je suis intrigué de voir comment l’interview va se présenter.