Zoom photographe : Stephen Shore

À l’occasion de son exposition aux 46ème rencontres d’Arles cette année jusqu’au 20 septembre 2015, nous avons choisi de vous reparler du travail du grand coloriste américain, Stephen Shore.

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Né en 1947 à New York, Stephen Shore a été rapidement reconnu comme l’un des grands photographes contemporains ayant apporté la couleur à la photographie à l’époque ou le noir et blanc prévaut. Enfant, Shore se lance dans la photographie après avoir découvert le livre American Photographs de Walker Evans, réalisé en 1938 après la Grande Dépression américaine post-krach de 1929. Evans a en effet dédié sa vie à la photographie sociale, utilisant les magazines populaires de l’époque pour créer un commentaire social et documentariste sur la société américaine de l’Après-guerre. Arles lui dédie une exposition en parallèle de celle de Shore, présentant les photoreportages de Walker Evans réalisés pendant ses 40 années d’exercice.

Avant de se lancer dans ses tournées frénétiques américaines pour documenter les seventies comme Walker Evans ou Jack Kerouac l’avait fait respectivement en photographie ou en littérature quelque décennies auparavant, Shore fréquente la Factory d’Andy Warhol de 1965 à 1967 à New York, aux côtés des Velvets en plein développement. Il s’inspire de la Factory et du travail de ses artistes prolifiques pour trouver son créneau et impose son genre de photographie : la photographie en couleur, grande nouveauté pour l’époque puisqu’elle est alors largement associée à la photographie publicitaire, comparée au noir et blanc qui représente la grâce de la photographie artistique et esthétique.

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Prenant les rênes d’un Walker Evans, Stephen Shore parcourt l’Amérique de long en large. Pas tellement intéressé par les personnes, ce sont les paysages et les styles de vie qu’il documente : les vieilles voitures, les panneaux publicitaires incessants, les épiceries de banlieues anonymes… Sa série « American Surfaces » le fait connaître au grand public et lance sa carrière au début des années 70.

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La force des photographies de Stephen Shore, c’est leur second degré. Comme si le photographe avait réussi, sur le coup, à avoir tout le recul nécessaire pour juger son propre pays : l’Amérique bien américaine, celle que l’on reconnaît dans ses clichés les plus faciles, les bouillies d’œufs en poudre servies dans les diners miteux, les rues vides où les panneaux publicitaires foisonnent, les commandes de nourriture « to go » servies dans une sorte de Tupperware en aluminium ragoûtant, des toasts sur-beurrés peu appétissants, un café trônant sur une table qu’on arrive à croire froid et particulièrement mauvais…

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La ville et la nourriture, deux thèmes que Shore explore dans ses séries avec une ironie que l’on parvient à saisir d’autant plus aujourd’hui et qui inspirera un peu plus tard de nombreux photographes comme l’anglais Martin Parr. Le recul de Shore au moment de sa prise de vue, alors qu’il décide de photographier des choses banales et sans intérêt, documente aussi l’époque elle-même : il photographie souvent des chambres de motels crasseuses dans des banlieues anonymes, à la déco marquées seventies, comme s’il savait que cette Amérique des années 70 serait rapidement démodée.

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Loin de ses contemporains, Shore ne cherche pas la beauté, il ne cherche pas à dire ou à juger, il cherche seulement à montrer la réalité. Un cadrage étonnant et précis, une réalité brute et crue : pas de chichi, Stephen Shore photographie le paysage américain telle qu’il est. Sans faux-semblant, sans recherche esthétique. Il ne prémédite pas ses photos, il ne prévoit pas de mise en scène mais enregistre le banal, le cadre et le sublime. C’est une désacralisation de la photographie artistique qu’il impose à son époque, créant ainsi son propre genre d’images.

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Si personne ne voyait l’intérêt des photos de Stephen Shore dans les années 70, où l’on aime que l’esthétisme et le sur-mesure, ses séries « American Surfaces » et « Uncommon Places » ont un écho particulièrement intéressant aujourd’hui, à l’heure où les réseaux sociaux – Instagram en particulier – et la valorisation de la banalité de notre quotidien sont rois.