Maître de la lumière et du mystère, Todd Hido explore depuis plus de trente ans la mélancolie et l’étrangeté des paysages suburbains américains. Par son style cinématographique et intimiste, il est parvenu à composer une œuvre influente à la frontière entre réalité et fiction.
À l’été 2025, son univers singulier se dévoile à Arles avec l’exposition Les Présages d’une lueur intérieure, ainsi qu’à l’occasion de la parution de la nouvelle édition augmentée de sa monographie, Intimate Distance II, publiée chez Textuel et Aperture (pour la version anglophone). L’occasion de revenir sur sa carrière riche avec ce nouveau Zoom photographe.
Le maître incontesté du suspense photographique
Voilà plus de trois décennies que Todd Hido tourne son objectif vers une Amérique suburbaine méconnue. Routes désolées, arbres aux silhouettes fantomatiques, pavillons figés éclairés par les faisceaux de phares ou dans la nuit, et nus et portraits énigmatiques d’inconnues partagent ce magnétisme troublant et une puissance d’évocation cinématographique.
Todd Hido, né en 1968 à Kent, dans l’Ohio, est un photographe américain reconnu pour ses images mystérieuses de paysages suburbains et de portraits énigmatiques. Diplômé d’un BFA de Tufts University et du School of the Museum of Fine Arts de Boston en 1991, il obtient ensuite un MFA du California College of Arts and Crafts. Installé depuis dans la région de San Francisco, il y enseigne également en tant que professeur adjoint à la California College of Art.
Souvent à l’écart, retirés, les lieux photographiés expriment une certaine solitude, entre mélancolie et lumière. Si l’interprétation de leur auteur demeure implicite, chaque image devient le point de départ d’un scénario subjectif.
Ces arrêts sur image, frôlant les images de repérage pour le cinéma, ont érigé ce natif de l’Ohio en maître du suspense photographique, l’étrange affleurant toujours sous la banalité de ce qui semble vidé de vie, de substance. À la fois familier et pourtant toujours légèrement inquiétant, chaque cliché entre fiction et réalité enrichit la narration de la série à laquelle il appartient tout en offrant la possibilité d’un récit en soi. Un talent de conteur dont la sérieThe End Sends Advance Warnings ou la monographie House Hunting de 2001 nous avait déjà assurées.
Quel que soit le lieu où ait été prise la photographie, le spectateur semble invité dans un lieu hors du temps, issu du passé tout autant que du présent. L’artiste a d’ailleurs pu faire de ce retour en arrière, jeu de piste sur les traces de son enfance, le thème central de ses images, comme celles publiées dans Excerpts From Silver Meadows.
Photographe courtisé par les publications, Todd Hido a parfois répondu à certaines commandes photographiques, comme celle du Times l’ayant envoyé sur les lieux où a en partie été tourné Twin Peaks. Une plongée dans l’univers de David Lynch, alter ego de cinéma pour le soin porté à l’image et au suspense.
Si son travail peut rappeler les mises en scène pharaoniques de Gregory Crewdson, autre génie contemporain de la photographie américaine, les images de Todd Hido ont un caractère plus naturel. Bien qu’elles ne soient pas prises à la sauvette mais réfléchies, toutes paraissent saisies par un mystérieux conducteur perdu dans un road trip, une errance sans destination finale plutôt que mises en scène par un photographe – deus ex machina. En post-traitement, l’artiste a confié retravailler les couleurs existantes pour en appuyer le caractère, tout en s’interdisant d’ajouter ou de modifier les effets de flou obtenus.
Lumière et couleurs pour outils narratifs
Si Todd Hido maitrise à la perfection la mise en scène d’images aux atmosphères dignes des plus grands films noirs, le photographe est un maître de la couleur abandonnant volontiers le monochrome.
Todd Hido est friand de prises de vue nocturne. Pour obtenir une telle palette et des jeux de lumière aussi maitrisés, du rougeoiement d’un lampadaire à la lueur blafarde d’un téléviseur échappée d’une fenêtre, il va sans dire que sa maîtrise technique se révèle absolument impeccable.
Feuilleter les pages de ce livre revient à passer d’une chambre à l’autre en sentant comment la lumière elle-même peut être observée, calibrée, transformée en objet de pensée. L’impact de la lumière est affectueux, indifférent, voire cruel, tout comme la vie humaine qu’elle éclaire.
David Campany, curateur
Adepte de photographies prises depuis l’intérieur de son véhicule, souvent lors de crépuscules nimbés de brouillard, Todd Hido saisit à travers le pare-brise des flous imprévisibles qui ajoutent au dramatisme et à la poésie de ses compositions.
Pour The Light from Within, la couleur et la luminosité si particulières ont été obtenues en photographiant face au soleil. Ce procédé devient pour le photographe une manière de contrer la noirceur ambiante et de faire entrer la lumière. Résilience et espoir font bel et bien partie du vocabulaire photographique de l’artiste.
Je photographie comme un documentariste, mais je fais mes tirages comme un peintre.
Todd Hido
Attaché à s’approcher d’images plus familières, attiré par la photographie vernaculaire, Todd Hido a souhaité présenter à Arles une sélection de photographies emblématiques de son travail, tout en leur adjoignant des collages de vieilles photographies de famille. À l’isolement et la mélancolie d’hier semble à présent répondre le réconfort de liens familiaux. L’exposition Les Présages d’une Lueur Intérieure atteste d’une manière nouvelle de la dimension autobiographique des images de Todd Hido. Une confirmation de son emploi de l’appareil photo comme un outil de « reconnaissance », le photographe n’ayant cessé de prendre la route à la recherche d’images en rapport avec ses propres souvenirs.
Une œuvre majeure en évolution
Génie de l’image, Todd Hido est par ailleurs l’un des plus fervents collectionneurs de livres photographiques. Propriétaire d’une bibliothèque personnelle de plus de 8500 ouvrages de toutes origines, le photographe met un point d’honneur à publier son travail. Régulièrement exposé dans les plus grands musées et collections privées, Todd Hido est considéré comme l’un des maîtres contemporains du paysage habité et de la photographie narrative.
Proposé dans une édition révisée depuis sa parution originelle de 2016 l’exhaustive monographie Intimate Distance II s’enrichit d’une nouvelle décennie d’images, parfois inédites, réalisées aux États-Unis, mais également pour la première fois France, en Islande ou au Japon. Partout, Todd Hido a su traquer ces scènes si emblématiques de son écriture photographique.
S’ouvrant sur les mots de David Campany, Intimate Distance II met en exergue tout le dramatisme dont la photographie sait se montrer capable. Pour mieux appuyer la construction d’un style, son aboutissement, l’organisation des pages respecte la chronologie de l’œuvre de Todd Hido. Aux côtés du commissaire et essayiste, Katya Tylevich signe les textes de la monographie.
Si ces photographies semblent narratives, c’est parce qu’elles suggèrent des histoires non racontées et de possibles scénarios. Derrière les rideaux de la maison, il se passe peut-être quelque chose, ou rien du tout.
David Campany
Livre le plus complet consacré à Todd Hido, Intimate Distance II (29 x 24,5 cm, 320 pages) est proposé par les éditions Textuel. Il est disponible au tarif de 69 €. L’ouvrage rejoint une collection littéraire comptant déjà plus d’une dizaine de livres photo.
L’exposition Todd Hido, Les Présages d’une Lueur Intérieure est à découvrir jusqu’au 5 octobre 2025 à l’Espace Van Gogh de Arles à l’occasion des 56e Rencontres de la Photographie. Une programmation et une publication comme un double regard sur une œuvre en constante réinvention, à la fois fidèle à elle-même et toujours en introspection.
