À l’occasion de la sortie aux éditions Flammarion d’un ouvrage d’anthologie consacré à Bill Brandt, nous vous proposons de redécouvrir l’univers d’un maitre incontesté de la photographie. La liberté de Bill Brandt lui permit de s’affranchir des écoles et des genres et le guidera du photoreportage au nu en passant par le portrait ou la photographie de paysage.
Né à Hambourg en 1904 d’un père anglais et d’une mère allemande, Bill Brandt, alors Hermann Wilhelm Brandt, grandit dans le tumulte de la Première Guerre mondiale et poursuit ses études à Vienne où il suit des cours de dessin. Souffrant de son lien à l’Allemagne nazie, il décide de renoncer à sa double nationalité et met à distance sa culture germanique. Fréquentant l’avant-garde viennoise, ses poètes et ses artistes, le jeune homme découvre la photographie auprès de Grete Holliner avant de rejoindre Paris sur ses recommandations pour y devenir l’assistant de Man Ray.
Donner corps aux contrastes de classes
En 1931, à 27 ans, il rejoint l’Angleterre où il dédie ses premiers reportages aux mineurs du nord du pays, durement frappé par la crise, mais aussi aux rendez-vous hippiques de l’aristocratie britannique d’Ascot à Eton, traitant ainsi les forts contrastes sociaux de l’époque. L’une de ses plus célèbres séries restera Coal Searcher Going Home to Jarrowest.
Femme de chambre au tablier immaculé et gueules noires suffoquant sous la suie : au-delà des individus, à la façon d’un ethnologue, c’est leur classe sociale, leur quotidien et celui de leurs semblables dont souhaite témoigner Bill Brandt. Ils seront le sujet de son ouvrage de 1936 The English at Home.
Le photographe continuera de s’intéresser au quotidien des Anglais sous la menace des bombes de la Seconde Guerre mondiale comme durant le black-out. Réquisitionné par le Home Office, il poursuit ses reportages en temps de guerre, des abris au Blitz à la campagne du Kent.
Proche de Brassaï, il immortalise lui aussi ses sorties nocturnes, préférant Londres à Paris, ville à laquelle il consacrera un ouvrage en 1938. A Night in London sera un clin d’œil au Paris de Nuit de l’ami rencontré à Paris. Cette période marque la reconnaissance de son travail, particulièrement celle de ses reportages socioculturels, qui paraissent alors régulièrement dans la presse illustrée britannique.
Des portraits et nus esquissant des paysages imaginaires
Reportage social et paysages, mais aussi nus et portraits, Bill Brandt s’est intéressé à quasiment tous les grands genres de la photographie. Lassé de la photographie documentaire, porté par son imagination, il renouera avec son goût pour le portrait à la sortie du conflit, immortalisant les artistes de l’époque et s’adonnera dès 1944 à la photographie de nu.
Ses portraits d’artistes s’inscrivent dans une démarche singulière. En se concentrant uniquement sur l’œil de Jean Arp, Picasso ou de Giacometti, Bill Brandt nous invite-t-il à percer le mystère de l’Homme ou celui du regard artistique ?
Bill Brandt restera éternellement marqué par l’empreinte surréaliste de ses années parisiennes passées auprès de Man Ray et de ses contemporains. Cette sensibilité surréaliste se traduira par des tirages en noir et blanc aux contrastes très marqués et à la composition étudiée frôlant avec l’abstraction.
Ses nus en plans rapprochés photographiés après la Seconde Guerre mondiale sur les plages de galets anglaises (quelques infidélités seront faites à l’Angleterre lors de séries prises en France dans la baie des Anges) témoignent eux aussi de son goût pour l’insolite. Bill Brandt propose une approche surréaliste du corps, légèrement déformé par l’utilisation d’un objectif grand-angle. Ses nus singuliers, à la dimension sculpturale, visent à créer des paysages imaginaires. Publié en 1961, Perspective of Nudes rassemble ces images singulières.
L’influence cinématographique
Chagall, Picasso, Matisse : tous l’inspirent. Mais le cinéma d’Hitchcock comme d’Orson Welles le nourrit pour aborder l’étrangeté dans ses nus et portraits aux mises en scènes théâtrales et poétiques. Citizen Kane réalisé en 1941 par Welles avec l’aide d’Edward Weston sera pour lui une révélation. Cette influence est perceptible dans l’image de Brandt nommée Portrait of a Young Girl. Son portrait de Francis Bacon pris en 1963 semble quant à lui tout droit issu d’un scénario hitchcockien.
En déformant le réel Bill Brandt porte à nous sa vérité. Brouillard, suie, nuit, son œuvre demeure sombre et ses personnages semblent emmurés dans le silence et la solitude. Peut-être faut-il y voir une portée légèrement autobiographique pour un homme qui a fait de l’exil son meilleur compagnon.
Sa mélancolie dans le traitement de son sujet et sa rigueur dans la composition ne le prive pas d’un sens inné de la poésie et de l’émerveillement. Lui-même résume ainsi le devoir d’un photographe : « Le travail du photographe consiste, en partie, à voir les choses plus intensément que la plupart des gens. Il doit avoir et garder en lui la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois, ou celle du voyageur qui découvre une contrée exotique… ils ont en eux une aptitude à l’émerveillement… »
Un artiste protéiforme devenu incontournable
Si Henri Cartier Bresson admire son œuvre, allant jusqu’à dire de lui : « c’est quelqu’un que j’aimais beaucoup, avec une perception tellement sensible et très affirmée. Les portraits sont remplis de perspicacité avec un grand sens de la forme et des valeurs », Bill Brandt n’est pas un adepte de la photo sur le vif et ne recherche pas l’instant décisif. Ses compositions sont méticuleuses et il n’hésite pas faire poser ses modèles, l’expliquant par la recherche et recomposition par l’image d’une émotion passée : « J’ai souvent l’impression d’avoir déjà vécu une situation présente, et j’essaie de la reconstituer telle qu’elle était dans mon souvenir. »
Bill Brandt est décédé en 1983, il avait 70 ans et consacra près d’un demi-siècle à la photographie. Son œuvre résume à elle seule les quatre grands genres du médium.
Maitre du noir et blanc, son apport fut considérable pour l’art et pour la photographie. Jeanloup Sieff ou Steve McCurry ont été fortement inspirés par l’œuvre de Bill Brandt, de nombreux photographes contemporains continuent d’admirer son travail.
Expositions et ouvrages rendent hommage à cet artiste multiple à la signature théâtrale immédiatement reconnaissable que Cecil Beaton, son contemporain, surnommait « le Samuel Beckett de la photographie ».
Si son travail documentaire dédié à l’Angleterre, sa terre d’adoption dont il ira jusqu’à se dira natif, accompagne ses iconiques nus surréalistes, l’ouvrage Bill Brandt proposé aux éditions Flammarion propose d’aller plus loin. Artistes immortalisés dans leur intérieur et photos prises en Hongrie complètent cette monographie dédiée à l’un des pionniers de la modernité photographique. Des essais approfondissent notre compréhension des images, asseyant la quête artistique, mais aussi identitaire et psychologique de l’homme derrière l’objectif.
L’ouvrage anthologique Bill Brandt édité par Flammarion (292 pages, 240 x 280mm) est disponible sur le site des éditions Flammarion ou chez Fnac au tarif de 59 €. L’ouvrage élaboré collectivement a été réalisé grâce aux archives Bill Brandt à Londres.
L’œuvre de Bill Brandt est également largement présentée et commentée sur le site Bill Brandt Archive.