Josef Koudelka, Next : biographie d’un maître de la photographie du XXe siècle

Avec Josef Koudelka, Next, Melissa Harris livre un portrait rare et intime du photographe tchèque, figure majeure de la photographie contemporaine. Une biographie passionnante, entre confidences et archives, éminemment précieuse pour saisir la richesse d’un parcours aussi radical qu’universel.

Josef Koudelka avec deux appareils Exakta, Slovaquie, 1968 ; image issue de Josef Koudelka Next (delpire & co, 2024). Photo © 2024 Bohumil Puskailer

Un texte vécu au rythme de l’écriture

On le dit insaisissable, farouchement indépendant, animé d’un besoin vital de liberté et de mouvement. Josef Koudelka, né en Moravie en 1938 est d’abord ingénieur aéronautique avant de devenir l’un des photographes les plus célébrés de notre temps. Son œuvre, intense et singulière, témoigne d’un engagement total envers l’image.

Avec Josef Koudelka Next, publié aux éditions Delpire & Co, l’éditrice et commissaire d’exposition américaine Melissa Harris, rédactrice en chef d’Aperture de 2002 à 2012, consacre au maître une biographie aussi fouillée que sensible, fruit de plus de dix ans de dialogues intimes avec l’artiste et sa famille.

Josef Koudelka et Melissa Harris, 2014

Une vie au diapason de l’Histoire

De ses premières photographies prises dans la Tchécoslovaquie d’après-guerre jusqu’à ses explorations du bassin méditerranéen, Josef Koudelka a traversé l’Europe en posant sur son époque un regard d’une acuité rare. Révélé en 1975 avec Gitans, publié par Robert Delpire, Josef Koudelka s’impose alors comme le témoin d’une culture nomade en voie de disparition, affirmant déjà son don pour saisir ce qui s’efface et disparait inexorablement.

Trois ans plus tôt, ses clichés de l’invasion de Prague par les forces du Pacte de Varsovie avaient déjà marqué l’histoire de la photographie, diffusés anonymement pour protéger son identité, avant qu’il ne soit finalement contraint à l’exil et obtienne la nationalité française en 1987.

Toujours en noir et blanc, ses images révèlent un monde en mutation, un rapport au temps empreint de mélancolie et de lucidité. L’exil, la disparition, la trace : autant de thèmes clés qui structurent une œuvre humaniste, ancrée dans la réalité politique, mais bien ouverte à une lecture universelle plus sensible et poétique.

Un ouvrage à 2 voix

Longtemps réticent à parler de lui-même, Josef Koudelka s’est confié à Melissa Harris avec une grande sincérité. L’ouvrage né de ces rencontres, rendez-vous physiques d’Ivry-sur-Seine à Prague ou virtuels au temps de la pandémie, en témoigne. Richement illustré, le livre rassemble plusieurs centaines de photographies de Koudelka, mais aussi des documents personnels inédits, carnets, planches-contacts, correspondances, objets, qui permettent d’approcher et de mieux comprendre l’homme longtemps tenu dans l’ombre de la légende, lui qui fut récompensé du prix Nadar dès 1978.

On dit de lui qu’il est larger than life, hors du commun ; mais ce qui définit Koudelka naît de son engagement obsessionnel au sein même de l’existence. Il est trop présent pour être une légende, comme on le décrit si souvent. Le réduire à cela, c’est ne considérer que la charpente, la surface de l’homme.

Melissa Harris

La biographie suit une trame chronologique souple, articulée autour des grands cycles de son œuvre (les Gitans, Exils, Chaos, Ruines, Wall…), mais aussi des amitiés décisives, d’Henri Cartier-Bresson à Sarah Moon ou Robert Delpire. Le livre révèle aussi un mode de vie simple, souvent nomade, entièrement consacré à la photographie.

« J’aime photographier ce qui va bientôt finir », confie Koudelka à Melissa Harris. Ce rapport au temps, à l’impermanence, irrigue toute sa pratique. À la fois journal de bord et tentative de préservation, chaque image devient une trace : celle d’un peuple, d’un lieu, d’un instant. Pour Koudleka, la photographie n’est pas une construction esthétique, mais bien un outil de compréhension, de saisie, une manière de faire face à l’histoire, à l’oubli, à la perte.

J’aime photographier ce qui va bientôt finir, tenter de montrer ce qui existe encore et ce qui n’existera plus.

Josef Koudelka

Ses planches-contacts, qu’il appelle son « journal intime », en disent long sur sa rigueur et son obsession du cadre juste. Refusant toute mise en scène, Koudelka traque l’évidence dans le chaos du réel.

Josef Koudelka, Espagne, 1971, image issue de Josef Koudelka Next (delpire & co, 2024). © 2024 Josef Koudelka / Magnum Photos, courtesy Josef Koudelka Foundation

Une œuvre radicale, profondément libre

Membre de l’agence Magnum depuis 1974, Koudelka s’est toujours tenu à l’écart des commandes commerciales. Son œuvre s’est construite dans le refus des compromis, dans une recherche inlassable de liberté et de vérité. Ce parcours, souvent solitaire, n’en a pas moins rencontré une reconnaissance internationale : MoMA, Getty Museum, Centre Pompidou, BnF, Tokyo Photographic Art Museum, Art Institute of Chicago…

Mais au-delà des honneurs, ce que révèle Josef Koudelka Next, c’est la cohérence d’un engagement artistique total, porté par une intégrité rare. Un choix de vie, presque une ascèse, au service d’une vision intransigeante du monde et de la photographie.

Avec cette biographie, Melissa Harris signe un ouvrage de référence, œuvre littéraire à part entière plus que livre sur la photographie. Josef Koudelka Next capte l’essence d’un regard, d’une trajectoire, et propose une réflexion élargie sur le rôle du photographe, sur le pouvoir de l’image, sur la mémoire. Pour la version française de l’ouvrage c’est à Séverine Weiss que Delpire & Co a confié le soin de la traduction.

Publié chez Delpire & Co, dans un format élégant (352 pages, relié, 18,5 x 24 cm, 42 €), Josef Koudelka Next s’impose comme un indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la photographie, à l’histoire du XXe siècle, ou tout simplement à la liberté de création.