Profitant du CP+ 2025, nous avons eu l’opportunité de rencontrer l’équipe de direction de Canon Corp, composée de Go Tokura, vice-président exécutif et directeur de la division Imaging, Manabu Kato, responsable de la division IBO (Imaging Business Operations) en charge des produits, Yasuhiko Shiomi, directeur de la division IBO en charge du développement et Tetsushi Hibi, directeur de la division IBO dédiée à l’optique.
L’occasion de revenir sur les lancements des Canon EOS R1 et R5 Mark II, de discuter du nouveau PowerShot V1 ou encore des récents objectifs « hybrides » de la série Z. Place à l’interview.

English version of the interview
En 2024, Canon a dévoilé deux appareils photo plein format, l’EOS R5 Mark II et l’EOS R1. Leur lancement a-t-il été un succès ? Pouvez-vous partager des chiffres de vente avec nous ?
Go Tokura : Comme nous l’avions anticipé, les deux modèles fonctionnent très bien. Je dois également dire qu’il y a eu des commandes en attente depuis le lancement, donc je voudrais profiter de cette occasion pour m’excuser auprès de ceux qui attendent encore nos produits.

Nous faisons de notre mieux. Concernant l’EOS R5 Mark II, la situation s’est améliorée, donc ceux qui en ont besoin devraient y avoir un meilleur accès maintenant. Nous ne publions aucun chiffre de vente. Cependant, si vous regardez les performances de notre groupe, ces deux modèles ont grandement contribué à nos résultats.
Bien que l’EOS R5 Mark II semble remporter une approbation unanime, l’EOS R1 rencontre moins de succès, surtout en considérant son rôle dans la gamme. Quels ont été les choix qui ont conduit à cet appareil ? Pourquoi n’a-t-il pas été davantage différencié de l’EOS R3 ?
Yasuhiko Shiomi : Nous avons développé les modèles de la série EOS-1 sur plusieurs générations. Notre standard a toujours été que chaque nouveau modèle de la série EOS-1 doit surpasser son prédécesseur dans tous les aspects. C’est comme notre valeur étalon pour nous.

C’est suivant cela que nous avons planifié et développé l’EOS R1. Pour les photographes professionnels, les caractéristiques sont certes importantes, mais la fiabilité est tout aussi cruciale. Les modèles de la série EOS-1 sont conçus avec une philosophie constante de qualité en tant qu’appareils phares. L’EOS R1 hérite de la philosophie de la série EOS-1 et répond aux mêmes normes de qualité rigoureuses que ses prédécesseurs, sans aucun compromis.

C’était la réflexion derrière la planification de ce produit. Bien sûr, nous comprenons lorsque les gens remarquent qu’il y a le même nombre de pixels entre l’EOS R1 et l’EOS R3. Mais j’espère que les utilisateurs reconnaîtront les différences entre les modèles. Par exemple, les performances de l’AF sont considérablement améliorées, y compris l’AF croisé.
En termes de précision et de performance, nous avons grandement amélioré la gestion du rolling-shutter, la vitesse d’obturation et le viseur électronique. Donc, en termes de caractéristiques, si vous savez vraiment comment l’utiliser, vous verrez la différence, et nous sommes convaincus que les professionnels remarqueront cette différence.
Peut-être que les différences entre l’EOS R5 Mark II et l’EOS R1 ne sont pas significatives. Aussi, certains professionnels qui envisageaient d’acheter l’EOS R1 pourraient se contenter de l’EOS R5 Mark II. Il est plus polyvalent grâce à son capteur plus défini et peut gérer une plus grande variété de scénarios. Comment faites-vous la distinction entre ces deux modèles ?
Yasuhiko Shiomi : l’EOS R5 Mark II est davantage un appareil photo hybride visant à obtenir des performances élevées à la fois en photo et en vidéo, tandis que l’EOS R1 est un appareil conçu pour capturer les meilleures photos de manière plus fiable, même dans des environnements difficiles.

Go Tokura : Permettez-moi de vous donner une perspective professionnelle. L’EOS R1 est conçu pour les photographes professionnels—c’est quelque chose que nous avons établi. Et les professionnels aiment continuer à utiliser celui avec le numéro 1, comme vous le savez.
Bien que l’EOS R5 Mark II soit également utilisé parmi les photographes professionnels, il n’est pas considéré comme un « appareil photo professionnel » traditionnel. Donc, ils veulent s’assurer que le nouvel EOS R1 doit être meilleur que le précédent pour les professionnels. C’est pourquoi nous avons dû tirer parti de toutes les fonctions qui entrent dans l’EOS R1. Si vous comparez chacune des spécifications, vous remarquerez qu’il y a certaines choses qui ne sont pas couvertes par l’EOS R5 Mark II, mais qui sont définitivement couvertes par l’EOS R1 pour les professionnels qui souhaitent prendre les bonnes photos.
Canon a lancé cinq objectifs « hybrides » pour la photo et la vidéo. Pourquoi la vidéo occupe-t-elle une place si importante dans l’écosystème RF ?
Manabu Kato : Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. Un aspect est l’évolution des appareils photo eux-mêmes. Dans le passé, les caméscopes et les appareils photo étaient des appareils complètement séparés, mais avec l’avènement de l’ère des appareils photo hybrides, la fusion des deux a considérablement progressé.
Maintenant, même avec l’appareil photo que vous avez, vous pouvez capturer de belles vidéos, n’est-ce pas ? Je pense que c’est la raison principale pour laquelle nous commençons à voir cette demande d’objectifs hybrides sur le marché. Une autre raison est, bien sûr, l’évolution de la tendance parmi les utilisateurs ou les clients.

Récemment, sur le marché professionnel, il y a eu une tendance à la diminution des équipements et à la réduction des équipes en taille. Chez les amateurs, la propagation des smartphones et des réseaux sociaux a conduit à une augmentation des utilisateurs recherchant une meilleure qualité et des vidéo plus créatives. En conséquence, les professionnels et les amateurs utilisent de plus en plus un seul appareil pour filmer à la fois des vidéos et prendre des photos.
Je pense donc qu’un seul appareil photo capable de faire les deux est devenu beaucoup plus demandé par les utilisateurs. Et donc, nous devons répondre à de tels besoins et tendances, c’est pourquoi notre série Z est exactement conçue dans ce but. Nous nous devons d’avoir des objectifs hybrides.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur le nouveau moteur AF VCM ? En quoi est-il différent de l’USM ? Quels sont ses avantages ?
Tetsushi Hibi : Nos nouveaux objectifs RF 24 mm, 35 mm et 50 mm f/1,4 L sont équipés du VCM. Sur nos produits, nous utilisons différents types d’actionneurs pour l’autofocus : VCM, USM et STM. La force du VCM est qu’il permet un couple élevé, ce qui signifie qu’il peut déplacer les lentilles lourdes. Le compromis est que le moteur devient un peu plus grand, mais vous pouvez mieux gérer l’AF des gros objectifs.
Verra-t-on donc des moteurs VCM dans plus de téléobjectifs zoom à l’avenir ?
Tetsushi Hibi : Notre politique est de décider quel moteur va dans quel produit en fonction de l’intention du produit. Mais encore une fois, c’est une possibilité.
En 2024, la grande révolution a été l’arrivée d’objectifs tiers pour la monture RF, mais uniquement pour l’APS-C. Pourquoi n’y a-t-il pas d’objectifs tiers pour la monture RF plein format ?
Go Tokura : Concernant les objectifs tiers, je ne peux pas entrer dans les détails des contrats avec les autres fabricants. Cela dit, les fabricants tiers ont leurs propres stratégies et plans. Au cours des 12 derniers mois depuis notre dernière rencontre, ils ont sorti plusieurs produits.
Nous surveillerons quel type d’objectifs tiers apparaîtra sur le marché à l’avenir. Ce qui est important ici, c’est que nous observons, nous écoutons nos clients et nous aimerions refléter leurs besoins et demandes dans nos produits.
Canon a lancé un zoom lumineux et relativement abordable, le RF 28-70 mm f/2,8 IS STM. Est-ce une manière de combler le segment des objectifs tiers et de les empêcher d’entrer sur le marché de la monture RF plein format ?
Tetsushi Hibi : Nous écoutons toujours ce que les clients ont à dire, et ce type d’objectif est très demandé, c’est pourquoi nous essayons de répondre à leurs besoins et désirs. Cela dit, nous ne dirions pas que cela n’est pas incompatible avec les développements des fabricants d’objectifs tiers.
Nos objectifs f/2,8 offrent la luminosité, le bokeh et la haute qualité d’image que tout le monde aspire à obtenir. Pour répondre à cela, nous avons les trois principaux objectifs, que nous appelons les objectifs de la Trinité en série L. Mais ils sont encore trop chers pour beaucoup de photographes. C’est pourquoi nous répondons à leurs envies avec cet objectif RF 28-70 mm f/2,8 IS STM.

Go Tokura : En pensant à l’ensemble de la gamme d’objectifs, nous avons déjà environ 50 optiques en monture RF. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup de choses que nous devons couvrir et sur lesquelles nous devons travailler. Et bien sûr, tout ce que nous faisons dans le développement et la planification des produits est de répondre aux besoins des clients.
Peut-être peut-on dire que Canon possède le système industriel et les capacités pour créer toutes sortes d’objectifs, donc peut-être n’avez-vous pas besoin de fabricants d’objectifs tiers et préférez-vous contrôler les options plein format ?
Go Tokura : Je pense que pour toute entreprise, avoir une stratégie réussie, comme vous le suggérez, pourrait inclure le désir de contrôler le marché. Oui, c’est un point valable. Bien qu’il soit idéal de répondre à tous les besoins diversifiés de nos clients avec des produits Canon, compte tenu des contraintes de ressources de développement et de coûts, il a été impossible de l’atteindre, même à l’ère des objectifs EF.
Les utilisateurs veulent de la diversité et des options, c’est pourquoi nous avons des partenaires qui travaillent avec nous. Cette approche nous a permis de construire un catalogue d’objectifs étendu dans le passé, et avoir des clients satisfaits est fondamental pour tout ce que nous faisons. Je pense donc que c’est l’approche que nous continuerons à suivre.
L’année 2024 a été largement axée sur le plein format. Peut-on s’attendre à de nouveaux développements pour l’APS-C en 2025 ?
Manabu Kato : Bien sûr, l’APS-C est un aspect très important de notre activité, donc nous y consacrons beaucoup d’efforts. Je ne peux pas divulguer de nouvelles planifications de produits. Nous comprenons vos attentes. Restez à l’écoute—nous nous engageons à les satisfaire, sans déception.
Canon continue d’investir dans la réalité virtuelle et la photographie 3D, en particulier avec un partenariat avec Apple pour la vidéo spatiale. Quel est le plan de Canon derrière cela ?
Manabu Kato : Tout d’abord, l’industrie de l’imagerie passe actuellement de la 2D à la 3D, et compte tenu de cette tendance, nous voyons le potentiel d’expansion du secteur. Cependant, à ce jour, nous ne constatons aucune expansion réelle du marché.

Bien entendu, comme vous avez pu le constater sur notre stand, nous mettons plus de poids sur la 3D et avons planifié de nombreuses choses. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls car vous avez besoin de contenu de haute qualité, de bonnes applications pour l’édition vidéo 3D, ainsi que d’appareils pour regarder le contenu de haute qualité, ce qui est la partie difficile.
Nous pensons donc qu’il doit y avoir une bonne collaboration et coopération entre différentes entreprises et acteurs. Un bon exemple de cette collaboration est avec Apple. Mais pas seulement avec Apple—nous aimerions collaborer avec différents partenaires pour nous assurer d’apporter le meilleur à la 3D.
Canon lance un nouveau compact : le PowerShot V1 avec un capteur inédit de 1,4 pouce. Pouvez-vous expliquer la raison du lancement ce boîtier ?
Yasuhiko Shiomi : Nous utilisons un capteur plus grand, ce qui permet, à la fois pour les photos et les vidéos, d’obtenir une meilleure qualité d’image avec le PowerShot V1 par rapport à un capteur de type 1″. Une autre raison est que c’est un capteur que nous avons fabriqué en interne, aussi nous avons accumulé nos connaissances et notre expérience de l’autofocus avec les hybrides qui pourraient être partagées et reflétées dans ce produit.

Go Tokura : Ça sera notre appareil compact phare. Il y a aussi un ventilateur, ce qui le rendra très pertinent pour les longues sessions de prises de vidéos. Je pense que vous pourriez en tirer pleinement parti—c’est un appareil photo robuste.
Est-ce le premier produit Canon à utiliser ce capteur de 1,4 pouce ?
Yasuhiko Shiomi : Oui.
Dans une interview avec le journal Nikkei, le PDG de Canon, Fujio Mitarai, a mentionné la possibilité d’externaliser une partie de la production de vos appareils photo compacts d’entrée de gamme à d’autres entreprises. Quelle est votre stratégie alors que les appareils photo compacts connaissent une telle croissance ?
Go Tokura : Le volume total d’appareils photo compacts était d’environ 120 millions unités expédiées par an à leur apogée [toutes marques confondues, NDLR]. Mais aujourd’hui, ce n’est plus qu’un quarantième de ce volume (3 millions). Actuellement, nous produisons ces appareils au Japon.

Je pense que toutes les entreprises, y compris nous, pensaient que le marché des appareils photo compacts en général avait tellement rétréci que nous nous sommes trop accommodés de ce rétrécissement, ce qui explique pourquoi vous voyez moins d’approvisionnement en ce moment et des gens qui attendent. Mais je pense que cela sera bientôt résolu de notre côté car nous augmentons la production.
En 2026, le Canon AE-1 fêtera son 50e anniversaire. Canon étant l’un des rares fabricants à ne pas avoir d’appareil photo hybride au look vintage, pouvons-nous envisager la sortie d’un appareil de ce type ?
Manabu Kato : Je suis vraiment ravi d’entendre que vous êtes un enthousiaste de l’AE-1 car j’aime aussi cet appareil photo.
Merci pour la question sur le look rétro, le style et le design. Ce n’est pas aussi simple que de dire « d’accord, développons cet appareil photo pour qu’il ait l’air vintage. » Dans un appareil photo comme celui-ci [EOS R5 Mark II, NDLR], nous avons la partie appareil photo, la partie objectif et la partie accessoires, et elles doivent toutes se coordonner pour former un appareil photo. C’est pourquoi nous devons commencer la conception en considérant la chose suivante : « si nous changeons la partie appareil photo, comment cela affectera-t-il l’objectif, comment cela affectera-t-il les accessoires ? » Ce sont les choses que nous considérons en premier lieu dans nos conceptions.
Et nous nous concentrons vraiment sur l’ergonomie de la poignée, le positionnement des molettes, des boutons et d’autres éléments. Donc, si nous devions faire cela avec le design de l’AE-1, cela atteindrait-il vraiment le type d’ergonomie et de convivialité dont nous avons besoin dans un appareil photo Canon ? Voilà la grande question.

Je vous entends, et il y a en effet beaucoup de demande pour des boîtiers au look vintage, et ce n’est pas quelque chose que nous ignorons. Nous écoutons. Mais ces défis technologiques, ainsi que les défis de viabilité commerciale, sont des choses que nous devrons aussi considérer prudemment avant de pouvoir avancer avec un design vintage.
Fujifilm et d’autres fabricants montrent que cela semble être une bonne décision commerciale. En ce qui concerne l’ergonomie, vous pourriez décider de créer un appareil photo au look vintage sans poignée et offrir la possibilité d’ajouter une poignée en option ?
Manabu Kato : Merci pour votre avis. Nous prendrons également en compte vos conseils, mais encore une fois, nous ne rejetons pas le design vintage, ne vous méprenez pas. C’est simplement que nous étudions actuellement la manière d’allier les deux.
Pourquoi avez-vous décidé de créer deux versions du Canon RF 70-200 mm F2,8 L IS USM Z, une blanche et une noire ?
Manabu Kato : Comme vous le savez, en photographie, nos téléobjectifs sont généralement blancs. Mais les vidéastes n’aiment pas le blanc qui peut causer des reflets non désirés dans leurs images. Il y avait donc une forte demander pour un modèle noir. Nous avons alors dû répondre aux deux besoins.

Go Tokura : En interne, vous pouvez imaginer que nous avons tous dit qu’une seule couleur suffirait, mais ce n’était pas le cas. Vidéastes et photographes voulaient des couleurs différentes et elles se vendent toutes les deux bien.

Quelle est la stratégie de Canon en matière de photographie computationnelle ?
Yasuhiko Shiomi : Avec l’EOS R1, bien sûr, nous avons des fonctions d’upscaling et de réduction du bruit intégrées. Mais pour les autres appareils photo, nous avons l’application DPP. En termes de fonctionnalités, DPP offre des services beaucoup plus diversifiés. Par example, le dématriçage est possible et d’autres traitements d’image sont disponibles pour garantir une haute qualité d’image. Vous pouvez également effectuer de nombreuses corrections optiques via l’application.

Nous testons les nouvelles technologies sur l’application. Une fois qu’elles sont prouvées et vérifiées comme viables, nous les développons pour les intégrer à un appareil photo (ce qui nécessite un certain temps). Par conséquent, les technologies bien accueillies seront intégrées dans le matériel lui-même, et c’est le genre de cycle que nous suivons.

Go Tokura : Nous ne nous concentrons pas uniquement sur l’amélioration de la qualité logicielle. L’évolution du matériel ne s’arrêtera pas, et bien sûr, il en va de même pour le logiciel.
Nous devons donc être attentifs lorsque nous abordons le traitement d’image et voir quel rôle l’IA pourrait jouer et jusqu’où nous pourrions réellement créer quelque chose. Même si ce monde délicatement équilibré se rapproche de nous, nous devons je pense obtenir un maximum de données à partir du matériel, et c’est sur cela que nous allons nous concentrer.
Pensez-vous intégrer des options de marquage C2PA dans vos appareils photo professionnels ?
Go Tokura : C’est en cours d’application. Durant l’année 2025, nous devrions être en mesure de fournir cette option dans nos appareils photo tels que l’EOS R5 Mark II et l’EOS R1.

Merci à Canon Corp pour cette interview. Nous remercions également Marion de Canon France pour avoir organisé cette rencontre.