Alors que la réparation et de la durabilité des biens sont plus que jamais essentielles pour réduire notre impact environnemental, le secteur de la photographie se retrouve face à un double défi : encourager la durabilité tout en surmontant des obstacles industriels persistants.
Franck Mazellier, expert en réparation et gérant de l’atelier Photo Ciné Réparation, nous offre un éclairage précieux sur les enjeux, les défis et les opportunités d’un secteur en quête de résilience.
Sommaire
- Un marché de la réparation en pleine transformation
- Les enjeux techniques de la réparabilité
- Une économie de la réparation encore fragile
- Les défis des appareils d’occasion
- Une réparation pensée pour le client
- Réparatibilité : une refonte de l’industrie photo nécessaire
- Prévenir les pannes : des conseils pratiques
Un marché de la réparation en pleine transformation
Ces dernières années, la demande en réparation d’appareils photo est en hausse, portée par une prise de conscience environnementale. Cependant, les défis sont nombreux. « La réparation, on dit qu’elle est en pleine expansion en ce moment, parce que c’est un sujet dont on parle beaucoup », explique le réparateur. Mais derrière cette apparente dynamique se cache une réalité plus nuancée : « Les constructeurs, eux, ne jouent pas du tout le jeu de la réparation. »
Des initiatives comme le label QualiRépar – certification qui atteste de la qualité et de la fiabilité des services de réparation – cherchent à valoriser les réparateurs. « Photo Ciné Réparation a été le premier à être labellisé en réparation d’appareils photo, mais nous avons rencontré des difficultés lors des premiers tests », note Franck Mazellier.
Un problème majeur réside dans l’accès limité aux pièces détachées et aux informations techniques. « Certains fabricants en sont au point de fabriquer des produits où il n’y a pas de part list [liste de pièces détachées, NDLR]. Qui dit pas de part list, dit impossibilité d’identifier la pièce à changer, donc forcément, impossible de la commander. On en est encore là aujourd’hui. » Ces obstacles freinent les réparateurs indépendants, qui se retrouvent souvent dans l’impossibilité de prolonger la durée de vie des appareils.
“L’activité de réparation de matériel photo est de moins en moins représentée en France aujourd’hui. Comme vous le savez peut-être, certains constructeurs ont préféré externaliser leur SAV dans des pays de l’Union européenne. Il est donc difficile d’évaluer le marché de la réparation”, conclut Franck Mazellier.
Les enjeux techniques de la réparabilité
Bien que les appareils modernes soient globalement mieux conçus, la réparabilité reste entravée par une complexité croissante. « Les produits haut de gamme sont chers, avec une conception plutôt bien pensée. Ça veut dire que c’est démontable, c’est réparable. Ça, c’est la bonne nouvelle », note Franck Mazellier. Cependant, l’accès aux ressources nécessaires reste un frein majeur : « Une fois de plus, si on n’a pas accès aux part lists, aux pièces détachées, ou aux notices techniques, ça reste compliqué. »
Certains problèmes se répètent néanmoins sur les générations successives d’appareils. « Sur les hybrides Sony, la série A7, on change les obturateurs régulièrement, parfois à seulement 20 000 déclenchements, alors qu’ils sont censés tenir bien plus. Ça affiche un message d’erreur, on le change, et ça remarche, mais c’est difficile de comprendre pourquoi. » Cela reste cependant un problème qui existait déjà sur certains reflex, avec les rivets des lamelles qui cassaient. »
Les pannes les plus courantes incluent également des problèmes de diaphragme sur certains objectifs Canon 24-70 mm, 24-105 mm, 100-400 mm , 28-300 mm. “Chez Canon, ils prennent cela comme une révision : un changement de courroie sur une voiture. Là, la nappe qui alimente le diaphragme casse, et du coup, il faut changer cette nappe.” Cette réparation s’accompagne également d’un nouveau réglage du centrage optique, sur une machine spécifique utilisée par le réparateur.
Les réparateurs doivent également intervenir sur des problématiques liées à l’usure, comme les lamelles d’obturateur ou les guides de zooms, souvent endommagés par des utilisateurs qui forcent après une chute ou un blocage.
Une économie de la réparation encore fragile
Malgré une augmentation de la clientèle, la rentabilité des réparations reste un défi. « Aujourd’hui, il y a moins d’appareils sur le marché, et pour maintenir autant de réparations, il faut beaucoup plus de clients. » Photo Ciné Réparation a dû doubler son volume de clients pour arriver au même volume d’activité.
Le coût des réparations reflète également une évolution du marché. « La montée en gamme du matériel photo vendu aujourd’hui fait que le panier moyen des réparations augmente. Mais les discours commerciaux favorisent encore trop souvent la vente de nouveaux produits plutôt que la réparation. C’est une aberration dans un monde où l’on ne passe pas un jour sans entendre parler de ‘reconditionné’ ou de ‘recyclage’. »
“Nous pourrions réparer encore plus de matériel, mais pour cela il faudrait une prise de conscience globale. Aujourd’hui les constructeurs ne le souhaitent pas, encore moins qu’avant” conclut-il.
Les défis des appareils d’occasion
Le marché de l’occasion connaît un essor, mais avec des nuances. « Nous faisons du reconditionnement de matériel, notamment pour des enseignes qui veulent revendre des appareils réparés. Mais entre le coût de l’appareil, la réparation, et les accessoires manquants, le calcul peut décourager certains acheteurs. »
Franck Mazellier observe cependant un intérêt croissant pour l’occasion et la réparation. « On a des gens qui viennent en disant : ‘Je veux acheter de l’occasion, je ne veux pas de neuf’, ou encore : ‘Je veux faire réparer mon appareil.’ » Le boom des hybrides a cependant entraîné une chute de valeur pour les reflex, sauf pour des modèles spécifiques comme le Nikon D850 ou le Canon 5D Mark IV, qui restent prisés.
Une réparation pensée pour le client
Face à la complexité croissante des réparations, Photo Ciné Réparation (PCR) a développé un service en ligne innovant. « Tout est fait aujourd’hui pour consommer, mais pour faire réparer, cela se complique. Pourquoi ne pas rendre la réparation aussi simple que l’achat ? C’était notre objectif. ».
Depuis 2015, l’entreprise propose une plateforme en ligne permettant de suivre en temps réel l’état de la réparation, de communiquer avec les techniciens, et de connaître les coûts à l’avance.
Cette transparence rassure les clients. « Notre demande d’estimation en ligne ne coûte rien et permet au propriétaire de prendre une décision réfléchie. S’il faut aller plus loin, on propose un diagnostic précis avec une étiquette de port gratuite. »
Pour autant, certaines réparations ont leur limite : “Nous ne sommes pas pour ‘l’acharnement thérapeutique’ et nous n’avons pas peur de conseiller le client d’en racheter un nouveau si cette solution est la plus juste au vu de l’état de son appareil.”
De plus, PCR a également fait de gros développements informatiques pour proposer un hub adapté aux professionnels. “Des magasins faisant partie des plus grandes enseignes comme Camara ou Images Photo nous font confiance. Des sites internet spécialisés dans la vente de matériel photo aussi”, explique Photo Ciné Réparation, qui a également une clientèle fidèle chez les loueurs, qui apprécient la réactivité et le suivi.
L’atelier gère aussi le SAV et le support hors garantie de certaines marques comme Samyang, ou les marques du distributeur Digit-Access comme Laowa, Benro, Zhiyun, Lexar, Leofoto, Polaroid, Peak Design, etc.
Réparatibilité : une refonte de l’industrie photo nécessaire
Pour Franck Mazellier, la réparabilité ne peut s’améliorer sans une refonte des pratiques industrielles. « Il faudrait obliger les constructeurs à fournir des part lists, accessibles au moins aux réparateurs. Aujourd’hui, certains produits ne peuvent même pas être identifiés correctement. » Il milite également pour un indice de durabilité intégrant le coût et la disponibilité des pièces détachées, une démarche déjà portée par l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée).
Enfin, il regrette le manque d’optimisation dans la conception des appareils. « Certains constructeurs privilégient la rapidité et la facilité de production au détriment de la durabilité. Cela donne des produits performants, mais pas toujours conçus pour durer. »
“On a trop d’électroniques, de nappes ou de petites pièces avec des sertissages qui ne peuvent pas durer dans le temps. » Pour autant, le spécialiste de la réparation est bien conscient des limites : « Si on essaie de trouver des pièces plus solides, j’ai peur qu’on perde en compacité, et tout ne peut pas aller ensemble”, explique-t-il.
Prévenir les pannes : des conseils pratiques
Pour faire durer son matériel, quelques conseils pratiques s’imposent. “Mon premier conseil est de ne pas chercher à réparer son appareil soi-même”. Le réparateur a trop souvent reçu des boîtiers Sony démontés, où des composants avaient été cassés.
Franck Mazellier insiste sur l’importance de l’entretien régulier : « un nettoyage extérieur avec un pinceau à poils longs et une lingette, c’est tout bête, mais ça prévient beaucoup de problèmes, comme des molettes bloquées ou des boutons grippés. ». À quelle fréquence ? “Une fois par mois”.
Il recommande aussi de réagir rapidement aux premiers signes de faiblesse. « Si un objectif commence à avoir du jeu, mieux vaut prendre contact rapidement avec un réparateur pour resserrer les éléments. Sinon, ça peut entraîner des dégâts plus coûteux. »
Quant aux idées reçues, il met en garde contre les solutions simplistes. « La fameuse histoire du riz pour sécher un appareil mouillé, c’est du grand n’importe quoi. Si c’est de l’eau douce, il faut enlever la batterie et laisser sécher, par exemple à l’air libre s’il y a du vent. Si c’est de l’eau salée, rincez à l’eau douce avant que le sel ne détruise les composants. »
Dernier conseil pour les gens qui habitent en milieu humide : “si on ne veut pas que les champignons se développent dans les objectifs, il faut qu’il y ait de la lumière qui traverse les lentilles”. Exit donc le rangement des objectifs avec les bouchons avant et arrière au fond du sac ou à la cave.
En conclusion, Franck Mazellier met en avant la nécessité de réformes profondes pour que la réparation devienne une alternative viable à l’achat neuf. « Les constructeurs doivent rendre les appareils plus accessibles à la réparation, mais il faut aussi sensibiliser les utilisateurs à entretenir leur matériel. »
Avec des solutions comme celles proposées par Photo Ciné Réparation, la réparation peut devenir une habitude aussi simple que l’achat, contribuant ainsi à un avenir plus durable pour la photographie.
Merci à Franck Mazellier d’avoir répondu à nos questions.
Liens utiles :