Ernest Cole, Photographe : un regard sur l’Apartheid et l’exil, au cinéma

Le film documentaire Ernest Cole, Photographe, réalisé par Raoul Peck, sortira en salles le 25 décembre prochain. Récompensé par l’Œil d’Or, prix du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2024, ce film puissant explore la vie du photographe sud-africain Ernest Cole (1940 – 1990), le traumatisme de l’Apartheid et la douleur de l’exil. Après le succès de I Am Not Your Negro, Raoul Peck signe une œuvre qui continue de résonner bien après la fin du visionnage. Le film a récemment été présenté en avant-première lors de la clôture du festival du film documentaire Vrai de Vrai au cinéma MK2 BnF.

© Ernest Cole

Photographier pour montrer l’indicible

Né à Pretoria le 21 mars 1940, Ernest Cole photographie la réalité de l’Apartheid dans l’Afrique du Sud des années 60. Avec courage, au péril de sa liberté et de sa vie, il fixe sur sa pellicule la vérité glaçante. Panneaux de ségrégation raciale, postures, gestes et regards disent l’injustice, l’indifférence, la violence, la misère ou, en de trop rares moments, la possible complicité. Plus qu’un travail de reportage, sa pratique autodidacte questionne, cherche du sens, en vain.

© Ernest Cole

Ernest Cole voit dès le départ le livre photo comme l’aboutissement de sa soif d’image. Pour que cette œuvre voie le jour, le photographe ne peut rester en Afrique du Sud.

Exilé, Ernest Cole rejoint les États-Unis. inspiré par Moscou d’Henri Cartier Bresson, le jeune photographe créera image par image ce qui deviendra House of Bondage (La Maison des Servitudes), édité en 1967. Son témoignage précieux, banni en Afrique du Sud, lui permettra d’accéder à une popularité internationale à seulement 27 ans. Pour ce témoignage nécessaire, Ernest Cole a payé le prix fort : la solitude, la nostalgie de son pays et des siens seront ses plus fidèles compagnons de route.

© Ernest Cole

L’histoire dans l’Histoire

Il peut sembler difficile d’insuffler du rythme à un tel projet. Pourtant, le récit proposé par le réalisateur haïtien Raoul Peck s’avère une double enquête palpitante, sur les traces d’Ernest Cole, mais aussi sur la lente accession à la liberté des Sud-africains. La succession de photographies en noir et blanc et en couleurs, prises de l’Afrique du Sud aux États-Unis, ranime les années 60 à 80. Une période de création prolifique pour Ernest Cole avant que la photographie, mais aussi l’espoir, ne le quittent.

ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE - Bande Annonce VF

Plusieurs images sont analysées, introduisant au public l’importance de la composition, la pluralité des points de vue et l’individualité des parties prenantes de ces moments, instants a priori fugaces qui ont pourtant marqué au fer la vie des communautés noires. Ernest Cole s’adresse au spectateur, s’exprimant à la première personne sous le timbre du réalisateur qui a choisi de prononcer le texte lui-même.

Entrecoupée d’interviews (notamment de Leslie Matlaisane, neveu et ayant droit du photographe), cette narration puissante, directe, permet de redonner au photographe, mais aussi à l’Homme noir, leur place principale. Tous les mots prononcés par la voix off interprétant Ernest Cole sont basés sur des faits directs, des lettres, ou des témoignages de proches du photographe.

© Ernest Cole

Libre ?

Aux États-Unis, Ernest Cole ne découvrira ni l’égalité ni la liberté. À l’Apartheid succèdent les lois Jim Crow, les émeutes, les assassinats… Parfois, une image prise à New York ou dans le sud des États-Unis rappelle cruellement un cliché de Pretoria ou un autre pris dans l’enceinte des camps d’exilés visités par le photographe.

© Ernest Cole

Le documentaire dit cette déception. Les désillusions d’un jeune artiste qui s’est rêvé libéré de sa condition hors d’Afrique du Sud. À New York, Ernest Cole se découvre prisonnier de son rôle de photographe noir, destiné à photographier la misère de ses semblables.

En Afrique du Sud j’avais peur d’être arrêté, dans le sud de l’Amérique, j’avais peur d’être tué.

Ernest Cole

Sans filtre, les pensées sombres du photographe mais aussi les répétitions sont intégrées au documentaire. Sa dernière partie comporte un effet de longueur qui sied à la langueur de l’exil, à l’attente d’un retour au pays qui n’adviendra probablement jamais. Aux nombreux couples et couples mixtes immortalisés par Cole répond alors la solitude d’un homme que seul son appareil semble encore rattaché au monde environnant.

La musique parfaitement posée accompagne les images à la perfection. Soignée, la bande son orchestre un medley de haute voltige faisant la part belle aux grands artistes sud africain et afro-américain contemporains de Cole.

La redécouverte d’un artiste

Exilé, tourmenté, Ernest Cole errera, basculant du succès vers l’extrême pauvreté et l’oubli. Désabusé, seul, il constate le silence complice des démocraties occidentales que le documentaire s’attache à transmettre, à l’aide d’archives, des débats filmés au sein des institutions internationales. 

© Ernest Cole

Ernest Cole, Photographe revient sur la surprenante découverte faite en 2017. Dans les coffres forts d’une banque suédoise, pays où se rendait régulièrement le photographe, trois malles renferment les archives d’Ernest Cole. Négatifs, parutions et 60 000 clichés y sont soigneusement classées sans information sur la raison de leur présence. Aux-côté du neveu du photographe le spectateur s’interroge : qui est le mystérieux bienfaiteur protecteur de ces précieuses archives ? Pourrait-il plutôt s’agir d’une censure soigneusement orchestrée ?

© Ernest Cole

La sortie officielle d’Ernest Cole Photographe est programmée pour le 25 décembre dans les salles françaises. Le film est réalisé en partenariat avec Arte, Télérama, Cinéma Teaser, Polka, Society, Sens Critique, la 7eme Obsession, les Inrockuptibles, France Inter, le MRAP, la Ligue des Droits de l’Homme, la LICRA et SOS RACISME.

Pour accompagner la sortie du documentaire, les éditions Denoël proposent le livre du film (240 pages, 22 x 30 cm, 35 €), une sortie concomitant avec le titre proposé aux États-Unis par Aperture.

Ernest Cole, Photographe © Éditions Denoël

2025 année Ernest Cole ? Le film de Raoul Peck donne toutes les raisons de le penser, mais surtout de l’espérer tout en prouvant que le biopic – comme le dernier film sur Lee Miller – n’est pas le seul médium apte à ressuciter un artiste.

Ernest Cole, Photographe
Un film documentaire de Raoul Peck
Durée 1h45 
En salle le 25 décembre 2024