L’image à venir, mémoires de Pierre Apraxine et destin d’un homme d’images

Mémoires d’un collecteur, coécrit avec Jean Poderos, retrace le parcours exceptionnel de Pierre Apraxine (1934 – 2023), figure discrète mais influente du monde de l’art. Ce livre dévoile les coulisses de l’acquisition de chefs-d’œuvre photographiques et raconte comment, de l’Estonie à New York en passant par l’Europe, Apraxine a consacré sa vie à constituer des collections qui ont redéfini la place de la photographie dans l’art.

La formation d’un œil 

Pierre Apraxine naît en Estonie à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. Sa famille émigre et s’installe confortablement en Belgique. Son père, resté en Estonie avant de disparaitre, manquera toute sa vie à celui qui n’est alors qu’étudiant en histoire de l’art. Sa rencontre avec le baron Léon Lambert, riche patron de la banque d’affaires éponyme, changera son destin. Il confie au jeune homme la constitution de sa collection d’art conceptuel et minimaliste, un goût affiné durant 3 années de recherches et acquisitions qui demeurera celui de Pierre Apraxine toute au long de sa vie.

Pierre Apraxine, courtesy Johan Creten

New York pour terrain de jeu

En 1969, Pierre Apraxine succombe à l’appel de New York, qu’il ne quittera plus. Conservateur au MoMA, il est d’abord en charge de ce qui est alors le Lending Art Service, bureau dédié à l’achat et location d’œuvres d’art. Il monte bientôt des expositions audacieuses pour lesquelles il imagine des agencements inédits.

Son premier contact avec la photographie interviendra dans ces années 70, une cliente lui confiant la constitution de son fonds de photographie d’architecture et d’urbanisme. Devenu collaborateur à la galerie Malborough, il accompagne l’adresse souhaitant mettre à distance le scandale concernant sa gestion des toiles de Rothko en s’ouvrant à d’autres médiums, dont la photographie. C’est par lui que sera organisé le premier solo show de Richard Avedon en octobre 1975.

Pierre Apraxine est alors choisi par le magnat du papier Howard Gilman pour constituer une collection d’œuvres ayant vocation à décorer ses bureaux. Ce sera l’expérience de sa vie, celle qui forgera sa réputation, son œil, et la reconnaissance de la photographie ancienne dans le monde de l’Art.

Robert Howlett, 1857, tirage 1863-1864. Acquisition le 6 novembre 1987.

La collection Gilman, chef-d’œuvre d’une vie

Pierre Apraxine constituera trois collections pour l’industriel. D’abord un ensemble contemporain et minimaliste puis, fait rare, une collection de dessins d’architecture utopiques. Mais c’est bien la troisième collection, celle dédiée à la photographie ancienne, qui fera la renommée d’Howard Gilman, et dans son ombre, celle de son curateur. 

C’est l’acquisition à Saint Ouen en avril 1978 d’une photographie d’Édouard Baldus prise en 1856, qui, telle une épiphanie, marquera le point de départ d’une collection constituée entre 1976 et 1998. Celle-ci atteindra les 8 000 images.

Pierre Apraxine acquiert et rassemble un corpus sans précédent. Nadar, Édouard Baldus, William Henry Fox Talbot, Gustave Le Gray, Julia Margaret Cameron, Eugène Atget… Pierre Apraxine parcourt les rares ventes aux enchères et marchands d’art et de photographies, des galeries des grandes capitales aux puces parisiennes, pour rassembler cette impressionnante collection de tirages et albums. S’y côtoient les grands noms de la genèse photographique et des auteurs moins connus saisissant son intérêt. 

Onésipe Aguado de las Marismas, vers 1862. Acquisition le 30 septembre 1980.

En achetant des albums complets, Pierre Apraxine évite la dispersion, et la plongée dans l’anonymat, de nombreuses photographies anciennes. Doté d’un généreux budget par son mécène, le collectionneur se fera un nom. On lui réserve les tirages les plus recherchés. Les achats réalisés par Pierre Apraxine pour le compte d’Howard Gilman fixeront bientôt une côte à des images jusque-là boudées par le marché de l’art. À la mort d’Howard Gilman, après d’âpres négociations, ses collections finiront par rejoindre le MoMA en 2005.

Pierre Apraxine deviendra le conseil de nombreux musées et institutions et renouvellera à de multiples reprises son expérience de commissaire d’expositions. C’est peut-être celle consacrée à La Castiglione présentée en 1999 au Musée d’Orsay, à Turin et au Met à New York qui marquera le plus fortement les mémoires. 

Une vie croquée par l’ami

Rencontrés en 2005 par l’entremise d’artistes et amis communs, Pierre Apraxine et Jean Poderos ont scellé une amitié sous la forme de conversations-fleuves. Tête-à-tête, appel et correspondance ont nourri l’écriture de ces passionnantes mémoires de 2019 jusqu’en 2023, année de disparition de Pierre Apraxine.

Jean Poderos souligne l’extraordinaire curiosité du collectionneur, sa manière unique de considérer chaque image pour lui conférer une valeur esthétique et culturelle qui part d’abord de soi. Comme Pierre Apraxine, il tient à chacun d’entre nous de plonger notre regard dans l’image, pour en saisir une des multiples vérités et apprécier ce qu’il y voyait, « ces mille couleurs faites de noir et de blanc ».

L’Image à Venir, mémoires d’un collectionneur est le deuxième ouvrage publié dans la collection Les Grands de la maison d’édition Courtes et Longues ayant pour mot d’ordre « Regarder l’art, lire les images, découvrir le monde ». Le titre s’inscrit parfaitement dans l’ambition de revenir par les mots sur la trajectoire de celles et ceux qui ont façonné leur discipline. Au texte de Jean Poderos faisant s’élever à nouveau la voix de Pierre Apraxine, s’ajoute la beauté des photographies ponctuant notre lecture.

Orateur passionné, Jean Poderos fait revivre Pierre Apraxine au fil des pages, mais aussi à l’occasion de rencontres et conférences dont le programme est à découvrir sur les réseaux sociaux de sa maison d’édition. 

L’Image à Venir, Mémoires d’un Collectionneur
Mémoires de Pierre Apraxine avec Jean Poderos
Éditions Courtes et Longues
17 x 24 cm, 352 pages
24 €, disponible sur le site des éditions Courtes et Longues à la Fnac et en librairie