Les éditions EXB publient la première monographie française consacrée à Akihiko Okamura, en se focalisant particulièrement sur ses photographies nord-irlandaises. Une sélection d’images couleur et un texte de Pauline Vermare viennent apporter un éclairage inédit sur le photographe japonais, dont l’apport au médium et à la représentation du conflit irlandais restent encore en grande partie méconnus.
Il fallait sans doute, aussi, éclairer le mystère de sa longue présence en Irlande au plein cœur d’un conflit – il s’y installe durablement et y fonde même sa famille – et son attachement particulier aux « souvenirs des autres », pour paraphraser le titre de ce livre.

De la guerre du Vietnam au conflit nord-irlandais
Au regard de la biographie d’Akihiko Okamura, il apparaît évident que, comme pour beaucoup d’artistes, sa vie, ses combats et sa pratique artistique sont inextricablement liés. Par l’image et l’enseignement, on le voit lutter contre l’utilisation des armes chimiques au Vietnam, là où il fera ses armes en tant que photographe. Il se fait rapidement remarquer, notamment par le magazine Life qui le compare alors à Robert Capa.

Comment ne pas voir effectivement une forme de corrélation entre les deux ? Une sorte de point de départ comme photographe : dans la guerre d’Espagne pour Capa, et la guerre du Vietnam pour Okamura, résident la fondation du regard et d’un certain engagement.

À la fin des années 1960, Akihiko Okamura décide de s’installer à Dublin alors que les violences commencent à émerger. C’est ainsi qu’il est présent, accompagné par d’autres photographes étrangers, pour couvrir le défilé des Apprentice Boys – une parade qui fera date, puisque les émeutes serviront de prétexte pour déployer l’armée britannique en Irlande du Nord (une première depuis 1921).

On le sait maintenant : il était alors accompagné par le français Gilles Caron, et l’anglais Clive Limpkin, notamment, dont les photographies ont été largement relayées dans la presse internationale. Celles d’Akihiko Okamura, cependant, restent quasiment inédites (seuls quelques magazines japonais spécialisés les diffusent alors). Comment expliquer cette certaine confidentialité, surtout après ses photographies remarquées de la guerre du Vietnam ? Ça reste encore un mystère.

Comme de nombreux intellectuels venus d’ailleurs, l’Irlande est pour Akihiko Okamura et sa famille (sa femme et ses quatre enfants) une terre d’accueil, où résident à la fois un certain idéal politique et, sans doute également, une ressemblance disons géographique – une île, comme son Japon natal. C’est ainsi qu’il est, selon l’historienne de la photographie Pauline Vermare, le seul japonais connu à ce jour à avoir photographié le conflit irlandais.

Malgré sa relative distance avec le conflit et ses enjeux, Akihiko Okamura réfléchit cependant activement à la manière dont la photographie peut rendre compte de ce moment clé de l’histoire irlandaise. Soldats britanniques et membres de l’IRA sont photographiés conjointement, au gré de ses pérégrinations à travers le territoire.

L’histoire photographique d’Okamura convoque autant de portraits individuels que collectifs, de paysages que de natures mortes… une panoplie d’images qui inscrit son travail dans un courant alors tout à fait avant-gardiste : la photographie documentaire subjective.

Une photographie documentaire subjective : les souvenirs des autres
La plupart des images provenant d’Irlande du Nord sont alors en noir et blanc – photojournalisme oblige. Les confrontations montrées, à l’instar de l’esthétique que provoque l’absence de couleur, appellent à une certaine binarité de représentation. La couleur et son utilisation, chez Akihiko Okamura, convoquent un autre type d’imaginaire, une autre forme d’iconographie pour un conflit d’une grande violence.

C’est un paradoxe qu’évoquent les couleurs et les teintes dans les photographies d’Okamura, tant elles contrastent avec la dureté de ce qui est en train de se passer au moment où elles sont réalisées. Les couleurs sont volontiers « fanées, passées, douces », pour reprendre les mots justes de Pauline Vermare.
Les photographies emploient un vocabulaire et une esthétique presque poétiques – sans pour autant toucher à l’indécence d’une esthétisation douce de la violence. Comme l’exprime si bien le photographe Michio Nakagawa, les images d’Okamura sont autant des poèmes que des pièces à conviction.

Une photographie documentaire, véritablement, qui ne cède ni à l’abstraction ni à une subjectivité omniprésente. Ses images témoignent d’une présence au monde tout à fait singulière ; une manière d’être et de voir qui devient caractéristique de son travail d’orfèvre, son travail d’exception.
Il fallait un livre pour l’appréhender, pour le comprendre. Pour voir ce qui relève parfois de la mythologie chère à Roland Barthes : qu’est-ce qu’incarnent ces bouteilles de lait photographiées en couverture de l’ouvrage ? Pauline Vermare l’explique : si on retrouve dans ses archives une pellicule remplie de clichés de ces bouteilles de lait, c’est parce qu’elles incarnent l’essence même du conflit.

Objets du quotidien, distribuées au pas de la porte, porteuses d’une certaine douceur… des bouteilles qui peuvent servir de cocktails molotov une fois vidées. La métaphore, outil poétique par excellence ; son utilisation en photographie, tout à fait novatrice. C’est certain : Akihiko Okamura fait partie des grands, et la découverte de ses archives constitue un évènement pour l’histoire de la photographie, et pour l’histoire du conflit irlandais.
Les souvenirs des autres, Akihiko Okamura
Éditeur : Atelier EXB
49 €, 160 pages dont 75 photographies, format relié, 20,4 x 28,8 cm
Acheter le livre : Atelier EXB / Fnac