Fanny de Gouville se distingue par ses portraits d’acteurs, d’actrices et de personnalités du milieu culturel. Publiées dans Télérama, Libération et l’Obs, leur style est identifiable au premier coup d’œil. Fortement imprégnée d’une esthétique cinématographique et de ses codes, elle compose depuis quelques années un portfolio qui appelle une certaine admiration, que ce soit dans la diversité des personnalités photographiées ou dans la grande qualité de ses images.
Nous l’avons rencontrée pour lui poser quelques questions sur sa profession de photographe de commande, et plus particulièrement de portraitiste ; un métier à part entière souvent méconnu. Voilà l’occasion de découvrir ce qui l’a amenée au portrait, ses autres pratiques photographiques, et ce qui compose son esthétique bien à elle. Place à l’interview.

Comment êtes-vous arrivée à la photographie ?
J’ai toujours fait de la photo, depuis que je suis toute petite. C’est un moyen de regarder les choses qui m’a toujours attirée. Je me suis rendu compte très récemment à quel point c’était ancien, parce que je suis retombée sur des photos de moi à deux ou trois ans, avec déjà un appareil photo entre les mains.


Après, de manière professionnelle, j’y suis arrivée assez tard. J’ai fait une école de cinéma, je me suis spécialisée en image dans l’idée de devenir cheffe opératrice. Et finalement, les choses ont fait que j’ai travaillé dans la production, ce qui m’a amenée à naviguer à droite à gauche en touchant à pas mal de trucs. J’ai été électro, j’ai été au cadre… et ensuite j’ai été dans diverses boîtes pour divers projets, des clips, du cinéma d’animation, un peu de tout. Je faisais quand même des photos de plateau sur les projets que je produisais.
Il est arrivé un moment où j’ai eu un peu un déclic, celui de se mettre à la photographie concrètement. Et à ce moment-là de ma vie je pouvais me lancer, donc j’y suis allée.

Avez-vous commencé immédiatement par la pratique du portrait ?
J’ai commencé par me faire un book, en photographiant mes amis, ma famille, tous les gens qui le voulaient bien. Et en fait on se rend très vite compte que les gens aiment bien se faire photographier. Au début de chaque prise de vue, tout le monde dit qu’il est mal à l’aise en photo. Mais une fois que la confiance se met en place, les gens prennent finalement plaisir à être photographiés.

Après, cela m’est venu petit à petit. À Cannes, j’ai pu m’entraîner parce que j’y vais depuis longtemps, mon père m’emmenait depuis toujours et je savais un peu comment cela fonctionnait. J’ai rencontré des gens là-bas, dont une fille en particulier, une journaliste qui m’a dit de venir avec elle pour faire le portrait de ses interviews. Même si c’était un petit média, cela m’a permis de m’entraîner et de commencer à avoir des choses à montrer en tant que portraitiste.
Aussi, en parallèle, le cinéma le Louxor m’invitait à venir faire le portrait des personnes qu’ils recevaient. Un jour, j’y suis allé pour le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, il y avait Adèle Haenel et Noémie Merlant. Je les ai photographiées à ce moment-là. Libération m’a acheté le portrait d’Adèle Haenel quelque temps après. Ça a été ma première publication.

Et puis j’ai récemment rejoint Modds, une agence de portraitiste que j’affectionne énormément. J’étais allée les voir au tout début, quand j’avais juste des photographies de mes amis, et Olivia et Marie [directrices de l’agence, ndlr] m’ont donné plein de très bons conseils. Je suis retournée les voir plusieurs fois pour leur montrer mon travail, où j’en étais… on s’est suivies, au fil du temps. Jusqu’à l’année dernière où elles ont décidé qu’on travaille ensemble, et j’en ai pleuré de joie !
Si je comprends bien, votre lien avec le cinéma précède votre pratique professionnelle de la photographie ?
C’est quand même le cinéma qui me passionne depuis toujours. Je me suis penchée sur la photo plus tardivement que le cinéma qui a toujours été central dans ma vie. Je voyais, je ne sais pas, quatre, cinq, six films par semaine, je séchais les cours pour aller au cinéma. Ça a toujours été une grande passion.

Je pense qu’avant, quand je prenais des photos, je cherchais un peu à reproduire des plans de cinéma. Ma pratique a évolué depuis ; aussi parce qu’il faut répondre à des commandes, et qu’il y a certains « codes » à respecter. Aussi, je regarde maintenant beaucoup plus de photo, de peintures, mes sources d’inspirations sont plus variées qu’avant. Mais je vais toujours le plus possible au cinéma !
Ce sont quand même deux arts très poreux l’un envers l’autre.
Ils le sont sans l’être, c’est quand même différent à certains aspects. Quand on prend des comédiens ou des comédiennes en photo, ils ne sont vraiment à l’aise comme ils peuvent l’être devant une caméra. Parce qu’être statique ou savoir que le moment va être figé, à un instant précis, c’est peut-être plus intimidant que quand on joue un rôle, quand on a un texte, un costume.
Là, c’est vraiment leur visage, leur expression, leur regard. C’est très intime. La caméra, je pense, on est un peu obligé de l’oublier quand on joue. Je ne sais pas si on l’oublie vraiment, mais en tout cas on se met dans un rôle…

Vous disiez tout à l’heure qu’à deux ou trois ans, vous pouviez avoir un appareil photo à la main. Il y avait un appareil photo chez vous, alors, peut-être l’appareil de votre père ?
Mon père a eu (et perdu) beaucoup d’appareils. Et mes grands-parents m’ont dit que je demandais toujours des appareils photo à mes anniversaires. Jusqu’à maintenant, d’ailleurs ! C’était mon anniversaire la semaine dernière et j’ai encore eu un appareil photo.
Quelle est la particularité à photographier les acteurs et les actrices, en comparaison avec vos amis ou votre famille par exemple ?
En fait, c’est bien plus dur de photographier des gens qu’on connaît. Quand je prends un acteur ou une actrice en photo, tout doit se faire très rapidement, donc il doit y avoir une connexion très rapide entre la personne photographiée et moi.
Ça, c’est aussi propre au travail de commande, parce que vous avez une courte fenêtre.
Parfois, c’est deux minutes. Charlotte Gainsbourg, par exemple, j’ai eu sept secondes.
Il faut une connexion très rapide, effectivement.
Exactement. En sept secondes, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut trouver un moyen d’accrocher la personne et qu’elle vous regarde. Je ne sais pas comment la magie s’opère. Parfois, ça ne s’opère pas, et parfois, ça marche.Par exemple, Charlotte Gainsbourg, c’était à Cannes. Il y a une telle pression autour, parce qu’il y a cinquante attachés de presse, et moi j’essaie de créer une mini bulle pendant sept secondes pour qu’elle ne soit qu’avec moi.

Quand je photographie un ami et que j’ai deux ou trois heures, c’est différent. Et puis, en plus, si c’est ma sœur ou ma meilleure amie, je vais avoir envie qu’elle se trouve belle, et je sais comment elle va vouloir se trouver belle. Avec les acteurs et les actrices, je découvre le visage à l’instant T. Je ne connais pas encore ses mimiques. J’ai envie en quelques secondes de réussir à capter ce qui m’intéresse chez cette personne, comment je la vois, comment je la trouve belle ou pas.

À quel point choisissez-vous les personnes que vous photographiez ?
Zéro pour cent quand c’est une commande. On m’appelle et on me dit : tu vas photographier telle personne, à tel endroit, à telle heure. Quand c’est du travail perso, à cent pour cent.
Et à quel point choisissez-vous la presse avec qui vous travaillez ?
Je pense que tu choisis sans choisir. C’est-à-dire que, esthétiquement, je pense que je vais plus m’orienter vers telle ou telle presse. C’est peut-être idiot, mais par exemple, sur la table basse de mes parents il y a toujours eu un numéro de Télérama. Et de Libération aussi. Je pense que mon œil s’est aussi façonné en voyant ces images.
Justement, parlons un peu d’esthétique. Vous n’hésitez pas à utiliser des petits objets, des papiers ou des filtres que vous placez entre votre appareil et votre modèle.
Ça, pour le coup, c’est vraiment très cinématographique. C’est ce qu’on voit quand même beaucoup au cinéma : les avant-plans, les flous, etc. J’ai voulu transposer cette esthétique qui me plait dans la photographie. Je pense que c’est aussi une manière d’isoler, de faire un peu oublier le reste de l’image. Quand je fais un portrait, j’aime bien me dire que le plus important, ça va être le regard.

Il y a des gens qui vont vigneter pour ça, et ça va encadrer. Moi, je n’aime pas trop la vignette au noir. Il y a des gens qui le font très bien, mais moi, ce n’est pas mon esthétique. Je vais aller vigneter par le flou.
Une bulle, à nouveau.
Exactement, je recrée encore une bulle. Pour accentuer le focus sur le regard, sur la personne que je photographie. Je trouve que ça amène aussi quelque chose d’assez poétique…
Onirique ?
Onirique exactement. C’est le mot.
On a beaucoup parlé de portrait, mais vous avez également une pratique de reportage ?
En fait, ce que j’adore faire, c’est mélanger des lieux et des personnes. C’est rare que l’occasion se prête parfaitement, mais j’avais fait une série comme ça où tous les éléments étaient réunis, et c’était génial. C’était à Coney Island, à côté de New York, le premier janvier. Je suis arrivée là-bas, je suis descendue du métro, et je me suis tout de suite dit que j’avais tellement bien fait de venir.
C’était très lumineux – malgré la brume partout –, et il y avait tous ces gens en maillot de bain, un premier janvier, qui se baignaient, avec ce décor de Coney Island, hors saison, tous les manèges fermés… C’était incroyable. Dès que je voyage, je me force à essayer de trouver un sujet que je peux ramener. J’ai une certaine frustration à revenir de vacances sans une série.


Pour finir, quel est votre premier souvenir de photographie ?
J’ai un souvenir très marquant d’une photo que je n’ai pas faite. J’étais à Cannes, j’avais 12 ans, et comme je disais mon père me traînait partout, à ses interviews, etc. J’avais alors un petit appareil photo argentique qu’il m’avait donné pour le festival. C’était l’année où Quentin Tarantino était président du jury.
Tous les photographes vont devant le jury et prennent les photos officielles. Moi, du haut de mes 12 ans, je me faufile au milieu de tout le monde et je me mets devant tous les photographes – qui devaient se demander : c’est qui cette enfant qui prend des photos ? J’arrive à me faufiler devant et je mitraille. Je suis trop contente, forcément.

Le festival se termine pour moi. J’étais là trois ou quatre jours, j’imagine, parce que j’avais école quand même ! On rentre à Paris avec mon père et j’insiste pour qu’on développe la pellicule rapidement. On voit qu’on doit finir la pellicule d’abord, alors on prend quelques photos… puis quelques photos… et la pellicule ne se termine jamais.
Mon père, mortifié, me regarde, et comprend qu’il n’a pas mis de pellicule dans l’appareil quand il me l’a donné. Non-stop pendant deux heures j’ai pleuré de ne pas avoir eu ma photo. Je me souviens toujours très bien du cadre de cette photo, de la lumière, de l’expression de Tarantino… sur une photo qui n’existe pas.

Merci à Fanny de Gouville pour ses réponses.