Evelyn - La Palmera, Santiago. Série Manzana de Adán, 1982-1987 © Paz Errázuriz, Collection privée, Paris.

Les Histoires Inachevées de Paz Errázuriz

Une exposition à découvrir à la Maison de l'Amérique latine

Mise à jour nov 2023 : l’exposition est prolongée jusqu’au 24 janvier 2024.

Exposée à Arles tout l’été grâce au hors les-murs La Poétique de l’Humain organisé par le musée du Jeu de Paume, la photographe chilienne Paz Errázuriz fait sa rentrée parisienne. L’exposition Histoires Inachevées est à découvrir à La Maison de l’Amérique latine jusqu’au 20 décembre 2023. Plus de 120 tirages issus de 15 séries sont présentés pour cette toute première exposition parisienne de grande ampleur dédiée à Paz Errázuriz.

Tango VIII. Série Tango, 1987 © P. Errázuriz Courtesy galerie Mor Charpentier, Paris

Du coup d’État au coup d’éclat

Née en 1944, à Santiago du Chili, Paz Errázuriz est d’abord professeure des écoles avant de perdre son emploi avec le coup d’État de 1973. Sous la dictature du général Pinochet (en place du 11 septembre 1973 au 11 mars 1990) la jeune femme met à profit ce temps retrouvé pour pratiquer la photographie en autodidacte. Elle crée d’abord un livre pour enfants avant de se diriger vers une pratique plus personnelle, pour témoigner de ses engagements et de ses inquiétudes.

Sans titre, Série Próceres (Grands hommes) 1983, © Paz Errázuriz, courtesy galerie Mor Charpentier, Paris.

Paz Errázuriz co-fonde en 1981 l’Association des Photographes indépendants pour défendre les photographes de la police et de la junte militaire. Elle-même utilise courageusement le portrait pour dénoncer subtilement la dictature politique chilienne, mais aussi et surtout celle des conventions sociales.

La photographie m’a permis de m’exprimer à ma façon et de participer à la résistance.

Paz Errázuriz
Boxeador 2. Série Boxeadores. © Paz Errázuriz, Courtesy galerie Mor Charpentier, Paris.

Ses images monochromes donnent à voir les oubliés, celles et ceux que la société marginalise jusqu’à les invisibiliser. Bravant les couvre-feux, la censure et les interdits, Paz Errázuriz va à leur rencontre. Lutteurs, prostitués travestis, mendiants ou malades mentaux peuplent ses pellicules. Ils ne font pas face qu’aux armes mais aussi aux tabous d’une société conservatrice ultra-contrôlée.

Artiste nomade, Paz Errázuriz parcourt sa terre natale, des plus grandes villes du pays aux plaines de la Patagonie. Sur sa pellicule elle fixe quelques paysages, mais tourne délibérément son objectif vers celles et ceux qui croisent sa route. Elle témoigne ainsi de leurs histoires individuelles mais aussi de l’histoire collective du Chili profondément marqué par les années de dictature.

Sans titre. Série Sepur Zarco 2016 © Paz Errázuriz, courtesy galerie Mor Charpentier, Paris.

Série après série, un autre Chili

En 1982, Paz Errázuriz travaille sur sa première série, El Circo, instantanés de la vie des cirques modestes des zones périphériques de Santiago, avec déjà le respect, la beauté et la bienveillance qui caractériseront son travail. La photographe partagera le quotidien et la vie nomade de ces forains marginaux pendant plusieurs mois. Cette curiosité pour l’autre, cette approche sociale engagée de la photographie n’est pas sans nous rappeler le travail de Diane Arbus auprès de ses freaks.

Magicien Caprirario, Série El Circo, 1982 © Paz Errázuriz, Collection privée, Buenos Aires

Les dormeurs, série montrée en 1980 lors de sa première exposition, est une mise en lumière des oubliés des rues du Chili autant qu’une métaphore sur la mise en sommeil du pays.

El caminante, 1987 © Paz Errázuriz

Paz Errázuriz poussera également les portes d’un hôpital psychiatrique de Putauendo. En collaborant avec les médecins et en passant plus de deux ans auprès des patients, elle réalisera une série touchante de portraits de couples de patients.

La série emblématique La Manzana de Adán réalisée entre 1982 et 1987 auprès des prostituées et travestis victimes des abus et de la violence de la police d’État fait partie de la sélection d’images présentée à Paris. Ces photos témoignent de l’empathie et du talent de la photographe pour immortaliser une double répression, celle de la violence sociale mais aussi l’arrivée du sida qui fera des ravages au sein de cette communauté.

La Carlina, Vivaceta, Santiago, Série Manzana de Adán 1987 © Paz Errázuriz, Collection privée, Paris.

Nouant une relation forte avec ses sujets, souvent jusqu’à l’amitié, Paz Errázuriz forge ses images en connexion avec son modèle. Cette confiance mutuelle, cette certitude d’être vu et entendu, se perçoit dans les regards figés sur les tirages de l’artiste, mais aussi dans les corps nus livrés à son objectif. Corps âgés ou corps transformés, Paz Errázuriz les capture avec le même douceur et bienveillance. Des enregistrements des conversations tenues entre la photographe et ses modèles font également partie de ses archives.

VII. Série Muñecas 2014, © Paz Errázuriz,Courtesy galerie Mor Charpentier, Paris.

Une exposition inédite

Avouant avoir du mal à clore une série, à rompre le lien, Paz Errázuriz montre pour la première fois au public parisien 3 séries inédites : Próceres (1983), Sepur Zarco (2016) et Ñuble (2019). La commissaire d’exposition Béatrice Andrieux parle très justement à l’encontre de la photographe d’une « éthique du regard ».

Ruby, Los luchadores del ring (les lutteurs), Série de 2000-03, © Paz Errázuriz, Courtesy galerie Mor Charpentier, Paris

L’exposition Histoires Inachevées s’accompagne d’un catalogue éponyme, première monographie en français consacrée à Paz Errázuriz. L’ouvrage (160 pages, 45 €) est édité par l’Atelier EXB avec le soutien de la fondation d’entreprise Kering Women In Motion.

Si le fonds photographique constitué année après année par la photographe nous parle de ces années Pinochet, nombre de ses images demeurent d’une troublante actualité, bien au-delà des frontières chiliennes.

Histoire Inachevées, Paz Errázuriz
Maison de l’Amérique latine
Du 8 septembre 2023 au 24 janvier 2024
Du lundi au vendredi, de 10 h à 20 h
Le samedi de 14 h à 18 h
Entrée libre