"Ce qui reste / Ceux qui restent" © Camille Gharbi, 2023

Ce(ux) qui reste(nt) de Camille Gharbi : « On habite un lieu, et ce lieu nous habite »

Album photographique d'une ancienne cité ouvrière

La photographe Camille Gharbi, dont le travail  « Ce(ux) qui rest(ent) » a été présenté cet été à l’occasion du festival Urbi&Orbi, publie un livre éponyme aux éditions Process. L’ouvrage rend compte de sa résidence artistique à Bogny-sur-Meuse, dans les Ardennes, au printemps 2022. Elle y aborde l’attachement à son lieu de vie, sur fond de fracture géographique hexagonale, de désindustrialisation et de montée de l’extrême droite.

Ce qui reste / Ceux qui restent © Camille Gharbi, 2023

Pour une architecture vivante

Camille Gharbi est photographe plasticienne : elle capture une architecture vivante, qui renferme de nombreux récits de vie et de villes, et un large spectre de problématiques sociales. Son intérêt pour les zones marginalisées avait déjà été incarné par sa série Lieux de vie en 2016-2017. Elle y matérialisait l’attachement des « habitants » de la Jungle de Calais pour cette « ville dans la ville » qu’ils avaient créée au fil du temps avec des matériaux de fortune.

Avec la série Ce(ux) qui reste(nt), la photographe retourne vers des mondes sociaux qui l’interpellent, et tente, selon ses mots « de rendre sensibles des réalités auxquelles nous ne sommes pas forcément confrontés, celles des laissés pour compte de la société« .

« On habite un lieu, et ce lieu nous habite. »

En 2021, le bailleur social Habitat 08 lance un appel pour une résidence artistique ayant pour objectif de recueillir et donner corps aux mémoires des habitants d’un ensemble HLM voué à la démolition, dans l’ancien pôle industriel métallurgique de Bogny-sur-Meuse.

La Salle d’Attente, association de photographie contemporaine, fait appel à Camille Gharbi pour ce travail croisant architecture, histoire urbaine et mémoires individuelles.

La résidence de l’artiste se traduit par un ensemble de clichés qui composent des récits individuels et collectifs. On y observe des visages marqués par les souvenirs du passé industriel, ou encore des objets divers trônant sur de vieilles commodes comme des totems d’une époque révolue. On change ensuite d’échelle, et on plonge dans les images d’une nature ardennaise entourant avec grâce les barres vétustes des années 1960.

"Ce qui reste / Ceux qui restent" © Camille Gharbi, 2023
Ce qui reste / Ceux qui restent © Camille Gharbi, 2023

Camille Gharbi aborde ainsi avec finesse et douceur des questions pourtant très crues : celle de l’habitat indigne et de l’insalubrité dans un territoire fragilisé par la désindustrialisation et le chômage. En toile de fond, on perçoit bien la volonté de la photographe de retranscrire, selon ses dires, « une fracture qui se creuse entre la France des métropoles et celle des petites villes péri-urbaines », notamment politiquement, dans un contexte de montée de l’extrême droite.

Ce qui reste / Ceux qui restent © Camille Gharbi, 2023

Des pages en images, pour une mémoire collective

Le livre Ce qui reste / Ceux qui restent rend compte des propos des habitants de la rue Tisserand, qui accompagnent et font parler les photographies. Ils racontent leur sentiment d’exclusion et d’échec face à une société des élites, mais aussi leur attachement au lieu qu’ils ont habité si longtemps, et qui maintenant « les habite », malgré les mauvaises conditions de logement et la précarité.

Ce qui reste / Ceux qui restent © Camille Gharbi, 2023

Ainsi, la série « Ce(ux) qui reste(nt) », qui avait été présélectionnée pour le Prix Caritas et exposée in-situ avant de s’installer au festival Urbi&Orbi de Sedan, a su convaincre les éditions Process, qui en ont fait leur premier ouvrage publié. Benoît Pelletier, le fondateur, était jusque-là connu pour la publication d’un magazine en diffusion gratuite et indépendante à Paris et Reims.  

La préface du livre est écrite par Raphaële Bertho, historienne de la photographie et commissaire d’exposition. Un texte du Bailleur HABITAT 08 introduit également l’ouvrage et rend compte de la réflexivité critique du commanditaire quant aux conditions de son parc social.

Comme dans ses autres travaux, à travers ces pages Camille Gharbi tente de nous faire sortir un instant des logiques sensationnalistes, et de nous donner à voir des images qui suggèrent plus qu’elles ne montrent. On parcourt la mémoire des habitants de la rue Tisserand, et on remonte l’histoire industrielle du territoire en suivant le fil des mots et des images.

Ce qui reste / Ceux qui restent © Camille Gharbi, 2023

Ce qui reste / Ceux qui restent, Camille Gharbi, 2023
Éditions Process
30 €, 80 pages, format relié,  22 cm x 27 cm  
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