Paul Almasy devant son domicile, son bureau et ses archives à Neuilly, Villa des Peupliers n°2. Photographie, 1964. Collection particulière

Zoom photographe : Paul Almasy, photographe humaniste et grand témoin du XXe siècle

Photojournaliste emblématique des années 30 et membre de l’agence AKG images, Paul Almasy (né Pál Almásy) a parcouru le monde pour figer sur la pellicule les mouvements du XXe siècle. Son riche héritage est donc autant visuel et artistique qu’historique et sociologique. 

Paul Almasy
Paris, Personnes attendant un taxi, 1967, Paul Almasy © AKG Images

Genèse d’un regard

Paul Almasy est né en 1906 à Budapest d’une mère aristocrate et d’un père juif. Il suivra des études de sciences politiques à Munich et à Vienne avant de rejoindre la France en 1938, à l’aube du conflit. Installé à Paris, Paul Almasy s’inscrit dans la lignée de nombreux et talentueux photographes hongrois ayant émigré en France : Brassaï, Lucien Hervé, André Kertész ou encore François Kollar.

Paul Almasy
Garçon observant une prostituée, vers 1952, Paul Almasy © AKG Images

Paul Almasy s’initie à la photographie à l’aube des années 30, laissant derrière lui ses ambitions diplomatiques. Une première mission de journaliste correspondant le mènera d’abord au Maroc puis en Amérique du Sud. De l’Allemagne, il couvrira les prémices de la Seconde Guerre mondiale avant son arrivée à Paris, mais aussi la préparation des athlètes nationaux avant les jeux olympiques de Berlin (1936). 

Le contraste entre l’approche de ce photographe attentif et celle des autres correspondants de guerre est marqué : pour Paul Almasy le conflit s’explique et s’observe aussi dans ce qui constitue sa réalité socio-économique. Cette vision réaliste du monde, non dénuée de sensibilité, le mènera par exemple à publier en 1965 un reportage complet sur le manque d’eau à travers le monde intitulé Le monde a soif. Précurseur de nos défis actuels, Paul Almasy semblait percevoir présent et futur au travers de son viseur.

Paul Almasy
Station Shell, Algérie 1963, Paul Almasy © AKG Images

Le XXe siècle dans le viseur 

Sa photographie sociale et documentaire a érigé Paul Almasy en l’un des plus précieux témoins de son temps – sans qu’il renie pour autant des sujets et portraits plus légers. 

Reconnu pour ses images ramenées de toutes les latitudes pour illustrer le progrès en matière de santé, d’éducation et l’urbanisation, le photographe n’en a pas moins couvert la foisonnante vie artistique de l’époque. Ses portraits d’André Breton, Marc Chagall, Man Ray ou Alberto Giacometti attestent de son ouverture sur tout ce qui pouvait forger les idées et les images du siècle. 

Les photographies de Paul Almasy s’enrichissent de reportages éditoriaux. C’est également le cas pour ses interviews de figures centrales du XXe siècle alors qu’il rencontre et photographie le Général de Gaulle, Konrad Adenauer ou Benito Mussolini

C’est pourtant la vie quotidienne que capture le mieux Paul Almasy. En témoignent ses clichés saisis en France entre 1950 et 1970, en juste représentation des trente glorieuses. 

Paul Almasy
Jeunes femmes dans une fête foraine, mai 1961, Paul Almasy © AKG Images

En parcourant ses images du Paris des années 50 c’est une cité désormais évanouie dont nous sillonnons les rues et côtoyons les habitants avec nostalgie ; une impression dont les images de Robert Doisneau ou Willy Ronis sont d’autres réminiscences.

De Monaco à l’Iran, de Broadway à l’Afrique du Sud, Paul Almasy aura su dépeindre la réalité de chacun. Son portfolio rassemble une mère et son enfant drapés sous un voile en Iran, des élégantes aux terrasses parisiennes, une silhouette fantomatique errant dans un lit de rivière asséchée au Pakistan ou encore le regard fier d’une jeune femme kurde en habits traditionnels. Toutes ces images sont autant de facettes de sa photographie profondément humaniste, attentive et jamais voyeuriste

Paul Almasy
Lazaristes jouant au volley-ball, 1951, Paul Almasy © AKG Images

À ses reportages se sont conjugués d’autres moments d’engagement aux côtés d’institutions internationales comme l’UNESCO ou l’OMS. Dès 1973, Paul Almasy enseignera le photojournalisme, trouvant dans cette activité un autre moyen de prolonger son travail d’engagement et de transmission.

Assemblée du conseil du village de Soninke, Soudan français (auj. Mali), Paul Almasy © AKG Images

Lever le voile sur l’Afghanistan

De ses voyages en Afghanistan entre 1963 et 1971, Paul Almasy rapportera de précieux clichés récemment mis à l’honneur lors de l’édition 2022 du festival photo La Gacilly. Au fil de l’exposition Voyage dans un royaume éclairé, ce sont les ultimes témoignages d’un pays en ouverture qui sont célébrés. Des images dans lesquelles il est désormais douloureux de plonger son regard.

Fillettes aux cheveux lâchés et garçons attentifs se serrent pour la première fois sur les bancs de l’école devant son objectif. Que sont devenues ces petites filles assoiffées d’espoir et de liberté – ainsi que leurs filles et petites filles – depuis ce premier passage du photographe en Afghanistan au début des années 60 ? 

Paul Almasy
Apprentissage de l’écriture, Iran 1976, Paul Almasy © AKG Images

Le photographe avait été parmi les premiers à observer la progression de la scolarisation, les efforts entrepris contre l’analphabétisme et l’avancée de l’émancipation féminine en Afghanistan. Il avait minutieusement reporté ces avancées – encouragées par le roi Mohammad Zaher Shah et la constitution (instaurant la monarchie parlementaire) adoptée en 1964 – dans Afghanistan – un Peuple à l’École.

La finesse des observations qu’il y partageait n’avait rien à envier aux clichés illustrant ce reportage. Des classes du primaire aux facultés de sciences, de l’école de musique de Kaboul aux campagnes de vaccinations entreprises : les images en noir et blanc qu’il produit immortalisent ces destins en passe de forger une nouvelle nation.

En Afghanistan, Paul Almasy perçoit l’accueil de la modernité dans un pays traditionaliste et conservateur. Témoin sensible, le photographe perçoit et transmet l’impression de grand écart ressentie entre les constructions à l’occidentale et les usages modernes coexistant avec les bazars et les habitudes séculaires afghanes.

Paul Almasy
École à Palime (Togo), 1955, Paul Almasy © AKG Images

L’Héritage d’un maître 

En 1978 Paul Almasy a été nommé Maître de la Photographie par le Conseil européen des Photographes professionnels, une récompense pour son engagement humaniste autant que pour sa maîtrise technique. 4 monographies ont été consacrées à son travail.

Du noir et blanc jaillissant de son Rolleiflex percent des lueurs d’espoir, même dans les zones sinistrées ou en proie au plus profond dénuement. Le mouvement est lui aussi présent, figé le temps d’un cliché par un photographe attentif et discret qui jamais ne triche ou ne met en scène.  

Conducteur de rickshaw à Saigon, 1950, Paul Almasy © AKG Images

Paul Almasy disparait en 2003, à 97 ans, en laissant derrière lui un vaste fonds photographique géré de l’Allemagne par AKG Images. Ses images voyagent toujours à travers le monde au fil d’expositions internationales organisées par l’agence. Ainsi, ce photographe voyageur qui aimait préciser qu’il avait traversé tous les pays du globe hormis la Mongolie, continue de toucher l’âme humaine, se jouant des frontières.